Par ailleurs, madame la ministre, je voudrais vous faire part de quelques réflexions précises, pouvant déboucher sur des propositions.
En matière de formation, plusieurs doyens de faculté de médecine française ont affirmé que le cursus médical dans certains pays était inférieur à celui qui est dispensé en France. Cela interpelle, compte tenu de la reconnaissance européenne des diplômes. Pendant ce temps, les médecins les mieux formés en France partent exercer dans d’autres pays, notamment au Canada et en Allemagne. C’est le « grand mercato » des médecins, comme l’écrivait récemment une analyste dans un journal bien connu.
Nos étudiants, quant à eux, lorsqu’ils se trouvent recalés en première année malgré des notes satisfaisantes, sont contraints de choisir un autre cursus en France – cela ne les empêche pas de réussir bien entendu –, tandis qu’ils peuvent s’inscrire dans des établissements de proches pays européens pour suivre des études de médecine non sélectives, moyennant finances. Il faut compter en général 5 000 euros de droits d’entrée.
En ce qui concerne le numerus clausus, les gouvernements successifs ont adopté depuis trop longtemps – j’ai été moi-même formé du temps du numerus clausus, ce qui remonte à un certain nombre d’années – l’idée selon laquelle plus les médecins étaient nombreux, plus cela coûterait cher à la sécurité sociale, donc à la nation.
Or la féminisation de la profession, la réduction du temps de travail, l’évolution des mentalités, la conciliation légitimement réclamée entre vie professionnelle et vie familiale, l’évolution du secteur médico-social, la protection maternelle et infantile, la pédopsychiatrie, les programmes de médicalisation des systèmes d’information dans les hôpitaux, les médecins spécialisés dans la reconnaissance du handicap, l’alourdissement des tâches administratives, les récupérations obligatoires des gardes de nuit – et j’en oublie sûrement – auraient dû inciter à pratiquement doubler le numerus clausus pour mettre en œuvre la politique nationale de médecine et répondre aux besoins de la population.
Enfin, en matière de gestion des cabinets médicaux, l’évolution informatique est nécessaire et évidente, mais les logiciels sont de plus en plus complexes, au nom de la sécurisation. De plus, la conformité des réponses médicales et les statistiques de suivi impliquent que les médecins généralistes soient en première ligne pour remonter les données exploitables. Mais pendant qu’ils font cela, ils ne soignent pas les malades !
En outre, la gestion du personnel au sein d’un cabinet médical de groupe est contraignante et peu adaptable. Les remplaçants, futurs associés, qui viennent travailler dans les cabinets médicaux ruraux sont toujours effarés par les frais de cabinet, les charges sociales, les assurances, les cotisations à la CARMF – la Caisse autonome de retraite des médecins de France –, les charges d’exploitation, la répartition de la cotisation foncière des entreprises ou les charges informatiques. II convient donc de mieux former les jeunes à ce type d’exercice et de réduire les contraintes de gestion, si l’on souhaite que ceux-ci s’investissent, notamment en milieu rural.
Pour conclure, je voudrais avancer, à titre tout à fait personnel, quelques propositions.
Afin de permettre à des jeunes de s’implanter sans avoir à s’associer à travers une société civile de moyens, ce qui est particulièrement contraignant, il est important de promouvoir, pour les médecins ayant soutenu leur thèse, le statut de collaborateur avec carte professionnelle de santé ou, pour les autres, le statut de remplaçant permanent avec utilisation de la carte professionnelle du médecin remplacé pour télétransmettre. En effet, par définition, s’il y a un remplaçant, le médecin attitré ne peut pas exercer et, par conséquent, une seule carte professionnelle suffit.
Il me semble également nécessaire de respecter la liberté d’installation individuelle pour permettre à un médecin généraliste motivé d’exercer sa vocation de médecin de famille là où il le souhaite, mais de soumettre à appel d’offres des conventions de secteur 1 pour des activités libérales ou salariées, à disposition des maisons de santé pluridisciplinaires sous-équipées. Il s’agirait là d’une mesure intermédiaire non contraignante, qui pourrait peut-être répondre aux besoins locaux.
Je ne reviens pas sur la nécessité d’ouvrir le numerus clausus.
Il faut par ailleurs reconnaître, dans le cadre des remboursements de la sécurité sociale, les transports à la demande dans les secteurs ruraux, ce qui n’est pas toujours le cas. Ces remboursements portent plus sur quelques euros que sur des dizaines d’euros !
Il m’apparaît souhaitable d’uniformiser, en Europe, les entrées dans la formation médicale, en plus de la reconnaissance du diplôme.
Tout en maintenant la médecine à l’acte, il convient de renforcer les mesures actuelles prévoyant des rémunérations complémentaires liées aux résultats épidémiologiques, aux équilibres biologiques et aux frais informatiques. Ce sont, me semble-t-il, de bonnes mesures.
En outre, madame la ministre, les décrets portant création d’une structure spécifique adaptée à l’exercice en groupe doivent être publiés. À ma connaissance, cette mesure avait été décidée dans le cadre de la loi HPST, mais n’a toujours pas été mise en œuvre.
Il faut faire confiance aux territoires pour proposer une solution plus adaptée aux besoins de la population locale qu’aux exigences nationales des ARS.
Enfin, il peut être utile d’autoriser le rattachement des maisons de santé pluridisciplinaires aux hôpitaux locaux, cette solution constituant une voie intéressante de conciliation entre secteurs public et privé.
Voilà donc quelques propositions, fondées sur trois principes : le compromis, la liberté et la souplesse.
Le compromis s’entend entre les territoires et la politique de santé.
La liberté d’installation est l’un des fondements du modèle médical français et sa remise en cause entraînerait fatalement des départs plus nombreux vers l’étranger. Toutefois, des incitations ou des adaptations territoriales peuvent s’envisager.
La souplesse du type d’exercice, enfin, est aussi à promouvoir. Comme le disent certains économistes, si la médecine à l’acte produit trop, la médecine salariée ne produit pas assez. La complémentarité des deux est peut-être la voie du consensus.