Intervention de Dominique Gillot

Réunion du 11 juin 2013 à 14h30
Débat sur le bilan d'application de la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités

Photo de Dominique GillotDominique Gillot :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au bout de cinq ans, il s’agissait non pas de refaire le travail des experts, mais bien d’identifier, dans une démarche objective, autant les avancées que les difficultés rencontrées par la communauté universitaire dans la mise en place de cette loi visant à renforcer l’autonomie des universités. Une telle évaluation nous est aujourd'hui utile dans l’examen du nouveau projet de loi pour estimer ce qu’il convient de modifier ou de conserver.

La loi LRU prétendait libérer la capacité d’innovation des établissements dans l’élaboration d’une politique de formation et de recherche qui leur soit propre, tout en les responsabilisant dans le financement et la gestion de leurs activités.

L’adaptabilité du projet de chaque établissement aux besoins de formation et de recherche de son territoire, aux moyens disponibles, en même temps qu’aux exigences de la concurrence nationale et internationale postulait une optimisation de l’utilisation de l’ensemble des ressources humaines, budgétaires et patrimoniales dans le cadre d’un budget global. Elle nécessitait un examen prospectif de la soutenabilité des projets portés par les équipes de direction, de l’université comme de chaque composante, responsabilisées dans l’emploi de leurs moyens.

La méthode, qualifiée de « saucissonnage et enfumage » par les acteurs de « Sauvons la recherche », a fait que l’ensemble des textes d’application requis par la loi ont donc bien été pris par le pouvoir réglementaire et mis en œuvre avec plus ou moins de difficulté, plus ou moins de réussite et beaucoup de ressenti négatif.

Les établissements auraient dû développer des outils de prospective, de pilotage et de gestion pour disposer d’une visibilité pluriannuelle de leurs ressources et des dépenses correspondantes, en fonction des priorités de leur contrat d’établissement. Cela supposait que les équipes dirigeantes et les services centraux aient pu s’appuyer sur des données comptables, régulièrement réactualisées, à partir de tableaux de bord pluriannuels et d’une comptabilité analytique révélant la vérité des coûts.

Cinq ans après l’adoption de la loi, moins d’une dizaine d’universités françaises ont mis en place une comptabilité analytique. En l’absence d’outils de gestion prospective, les universités ont eu bien des difficultés à anticiper des marges de manœuvre budgétaires.

Préalablement au passage à l’autonomie, l’État n’a pas défini de référentiel de gestion commun à l’ensemble des universités, qui leur aurait permis d’organiser la collecte, l’analyse, le partage et l’évaluation d’informations fiables et cohérentes.

De 2009 à 2012, les services centraux du ministère ont juste contemplé le passage des universités aux responsabilités et compétences élargies, RCE, même celles pour lesquelles l’avis de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, l’IGAENR, était négatif.

Aucun outil de suivi et de support n’a été mis en place au niveau national pour accompagner les établissements dans la gestion d’une masse salariale, qui, représentant jusqu’à 80 % du total des moyens récurrents dévolus, a largement contribué à la rigidification des budgets qui alimente les principales craintes pour l’avenir.

Dans ces conditions, l’Agence de mutualisation des universités et établissements, l’AMUE, et les universités ont navigué à vue dans l’élaboration parfois aléatoire d’outils de gestion partagés. Nombre d’entre elles ont fait le choix de développer en interne leurs propres instruments de gestion, bien souvent en faisant appel à des prestataires extérieurs.

Malgré les efforts pour la création d’emplois de catégorie A, les établissements souffrent de l’absence d’un vivier de compétences d’encadrement administratif de haut niveau adaptées à la spécificité des universités.

Depuis l’été 2012, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche a mis en œuvre une politique plus attentive : diagnostic, accompagnement et remédiation des situations déficitaires. Un tableau de bord de suivi de la situation financière de chaque établissement a été mis en place servant de support à l’analyse de l’origine des déficits ou des dérapages. Des « diagnostics flashs », conduits par des experts à l’indépendance et la compétence reconnues, ont permis une analyse partagée et la recherche des meilleures voies de redressement avec les équipes de direction.

Ce système d’accompagnement fonctionne et soutient les équipes de direction responsables, qui, se refusant au fatalisme, s’approprient les nouvelles potentialités de l’autonomie pour en faire un levier de progrès.

Le dialogue de gestion des universités avec leurs composantes est encore à parachever. La formalisation du dialogue de gestion est pourtant incontournable. Or on observe que les composantes de certaines universités sont restées dans une logique de moyens et non de projet global, en raison soit d’un passage aux RCE encore trop récent, soit de résistances culturelles et de logiques facultaires persistantes.

L’obligation légale d’une certification annuelle des comptes des universités a été en revanche pleinement respectée, et beaucoup d’entre elles sont désormais dotées d’un contrôleur de gestion.

Le transfert de la gestion des personnels est majoritairement identifié comme le défi le plus redoutable du passage à l’autonomie. Si la capacité à anticiper avec précision l’évolution pluriannuelle de la masse salariale, dans une démarche prospective, est déterminante pour la maîtrise de la trajectoire budgétaire et financière, c’est souvent une révolution conceptuelle qui nécessite des fonctions support encore en construction.

D’une façon générale, les progrès restent limités en termes de gestion pluriannuelle des emplois et des compétences. Ainsi, le nombre de contractuels dans l’enseignement supérieur, y compris chez les enseignants, a explosé pour atteindre 30 %. C’est particulièrement préoccupant, même si les universités ont été amenées à recruter des personnels administratifs supplémentaires afin de renforcer leurs services de pilotage.

Le recours aux « post-doc » en tant que techniciens de laboratoire haut de gamme entraîne une précarisation croissante de ces emplois très qualifiés, dont l’évolution de carrière n’est pas prise en considération au niveau de l’université.

La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs a aussi été modifiée.

Malgré les difficultés rencontrées dans la mise en place des comités de sélection, les délais de recrutement ne se sont pas allongés et le phénomène du localisme semble avoir diminué.

Quant au droit de veto d’un président d’université pour s’opposer à la nomination d’un enseignant-chercheur, il a connu une application rare : de 2007 à 2011, il n’a concerné que quarante-sept postes, soit 0, 25 % des postes publiés.

En matière de financement, les établissements n’ont pas été aidés par les vices de conception du modèle SYMPA – le système de répartition des moyens à la performance et à l’activité – et les atermoiements de l’administration dans son application. Sans parler des insuffisances de sa critérisation, c’est la non-application stricte du modèle qui a été critiquée par les universités.

La capacité prospective des universités dans leur pilotage budgétaire s’est trouvée pénalisée, perturbée par des recours excessifs aux appels à projets facteurs de dépenses, en énergie et en moyens, disproportionnées pour des financements non récurrents.

La diversification des sources de financement, qui était un objectif majeur de la loi LRU, a été limitée. Les fondations partenariales et universitaires, au nombre d’une cinquantaine au final, ont permis la levée de fonds d’une ampleur assez faible. Toutes les universités ne sont pas armées pour attirer des partenaires puissants. La dégradation du contexte économique a aussi tari les sources de financements complémentaires.

Les recettes potentielles de la formation continue ont également connu des freins. Il s’agit d’une mission insuffisamment contractualisée et pour laquelle les enseignants-chercheurs éprouvent encore peu d’expérience et peu d’appétence.

Quant à la ressource patrimoniale, elle est quasiment inconnue dans les bilans des universités. Seules trois universités volontaires sélectionnées expérimentent la dévolution de la gestion de leur patrimoine. La difficulté pour les établissements de renforcer leurs services de pilotage et l’incapacité pour l’État d’assurer le financement pérenne de la remise à niveau des bâtiments transférés expliquent la suspension du processus jusqu’à nouvel ordre.

En ce qui concerne l’évaluation, d’une façon générale, l’ensemble des équipes dirigeantes des universités visitées ont insisté sur la nécessité d’une évaluation externe et indépendante perçue comme un levier d’amélioration du projet stratégique de l’établissement, et non comme une sanction.

La notation a été ressentie comme pénalisante aussi bien pour les équipes de recherche que pour les formations.

L’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, l’AERES, créée par la loi de programme pour la recherche de 2006, tenant compte des critiques formulées, a dû faire preuve de souplesse et évoluer, notamment sur la notation, le format des dossiers d’évaluation et la composition des équipes.

De l’avis général des universités visitées, il ne faut pas revenir à l’état antérieur d’une évaluation interne totalement déconnectée d’un cadre national régulé. Les universités m’ont donc semblé revendiquer clairement le maintien d’une évaluation de la formation externe, indépendante et transparente.

En matière de recherche, elles insistent sur la nécessité de disposer d’un cadre national d’évaluation structurant, garanti par une agence nationale.

À l’heure actuelle, l’évaluation individuelle des enseignants-chercheurs est réalisée soit au niveau national par le Conseil national des universités, le CNU, soit au niveau local par l’établissement selon des procédures multiples en fonction des motifs d’évaluation. Ces évaluations, faites sur la base de dossiers jugés trop formels, sont critiquées pour leur manque de singularisation par rapport au profil du candidat.

Les universités m’ont également signalé la nécessité de mieux valoriser les enseignants du second degré dans les universités, car leur carrière se trouve souvent pénalisée par le choix d’intégrer l’enseignement supérieur. Ce problème doit être réglé puisque les enseignants du second degré seront de plus en plus sollicités pour assurer des enseignements transversaux et garantir la continuité du lien avec l’enseignement secondaire dans les équipes pédagogiques mixtes.

Chacun s’accorde à admettre que, au-delà des points décrits dans mon rapport, qui appellent des modifications, des précisions, des clarifications, voire des rééquilibrages, sinon financiers, du moins budgétaires, les nouvelles pratiques entraînées par la loi LRU sont à parfaire en termes de collégialité, de maîtrise des fonctions support et de liberté d’action pour nouer des partenariats autour de l’université.

Le plan de réussite étudiante en premier cycle, largement communiqué dans la loi LRU, n’a pas été suivi d’effets. Les échecs, les abandons, les frustrations sont un véritable gâchis pour la jeunesse qui aspire légitimement à une formation supérieure.

Il est impératif d’adapter et de concentrer nos efforts pour signifier notre considération envers la jeunesse de notre pays, porteuse de promotion sociale durable.

La demande de transparence, de sincérité budgétaire, de respect des critères de dotation équilibrée pour faire vivre l’enseignement et la recherche au bénéfice de la réussite étudiante, des statuts et de la qualité de vie professionnelle des enseignants-chercheurs est très forte.

Les universitaires veulent de la reconnaissance. Dévoués à leur mission, ils ont conscience de leur rôle dans la structuration de notre société, de leur place dans l’effort de redressement de la nation.

Deux éléments sont déterminants dans le succès d’une réforme : le temps et les moyens. Il faut laisser le temps aux réformes d’ampleur de produire leurs effets dans la durée, surtout lorsqu’elles se voient opposer en interne de fortes résistances culturelles.

Dans la mise en œuvre de l’autonomie, un grand nombre d’établissements ont fait preuve de créativité et de diplomatie auprès de leur communauté universitaire. Une abrogation pure et simple de la loi LRU aurait été une perturbation et un frein à la modernisation des pratiques expérimentées jusqu’ici, une souffrance de plus infligée à une communauté largement éprouvée.

Il faut des moyens qui donnent confiance dans l’avenir, il faut de l’ambition. Les attentes des universités se concentrent d’abord sur la nécessité d’évaluer, dans un cadre transparent et impartial, le coût des charges qui leur ont été transférées, et sur celle d’assurer un rééquilibrage entre les universités traditionnellement sous-dotées et celles qui sont mieux armées. On est d’autant plus prêt et enthousiaste à l’idée d’assumer de nouvelles responsabilités que l’on sait que l’on disposera sur la durée des moyens pour apprendre à le faire, et qu’on le fait dans un contexte équitable.

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