Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi LRU avait pour objet de remettre l’université au cœur du système d’enseignement supérieur et de recherche.
Le paysage universitaire et scientifique français place, de longue date, l’université face à la dualité suivante : l’excellence scientifique reste encore bien souvent l’apanage des organismes de recherche, et l’excellence pédagogique celui des grandes écoles et des filières sélectives. Dans ces conditions, l’université, qui est pourtant la seule à faire le lien entre l’enseignement et la recherche, peine à s’imposer comme le carrefour de l’excellence pédagogique et scientifique.
Le premier objectif de la loi LRU a donc été d’introduire au sein des universités un nouveau paradigme : leur confier une autonomie dans la définition de leurs orientations stratégiques, de leurs priorités budgétaires et dans la gestion de leurs ressources humaines afin de libérer leur capacité d’innovation pour l’élaboration d’une politique de formation et de recherche qui leur soit propre.
Ce changement de culture au sein des universités, qui a consisté à les responsabiliser dans le choix de leurs priorités et dans l’affectation des moyens correspondants, s’inscrit dans le droit fil des innovations de la loi de programme pour la recherche de 2006, dite « loi Goulard ». Au travers de la mise en place d’instruments de coopération, en particulier les pôles de recherche et d’enseignement supérieur, les universités autonomes avaient vocation à coordonner leur offre de formation et de recherche sur un territoire donné avec tous les autres établissements d’enseignement supérieur et de recherche.
À ce stade, permettez-moi de dresser un tableau de tout ce qui a été fait en faveur de l’enseignement supérieur et de la recherche depuis 2006.
Tout d’abord, vingt-quatre pôles de recherche et d’enseignement supérieur, les PRES, ont été créés. La quasi-majorité des universités en font partie.
Ensuite, la totalité des universités est passée aux responsabilités et compétences élargies de la loi LRU, et une majorité d’entre elles n’entendent pas revenir sur l’autonomie acquise.
Par ailleurs, la loi de finances pour 2008 a consacré à la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur », la MIRES, 23, 2 milliards d’euros ; la loi de finances pour 2012 y a consacré 25, 4 milliards d’euros, soit une augmentation de près de 9, 5 % des moyens consentis à l’enseignement supérieur et à la recherche dans le budget général de l’État sur la durée du dernier quinquennat. Personne n’ose rappeler ces chiffres. Je souhaite pourtant que l’on continue de faire aussi bien…
De surcroît, sur les 22 milliards d’euros attribués à l’enseignement supérieur et à la recherche dans le cadre du grand emprunt, 18 milliards d’euros ont bien été distribués sous la forme d’appels d’offres, lancés par des opérateurs nationaux et accordés après une sélection par des jurys internationaux dont personne n’entend remettre en cause l’indépendance.
Enfin, un crédit d’impôt recherche, CIR, a été créé. Aucun rapport parlementaire, de la majorité ou de l’opposition, hier comme aujourd’hui, n’entend le supprimer, car, malgré certains effets d’aubaine ou abus que nous condamnons tous, ce crédit d’impôt reste l’une des niches fiscales les plus efficaces pour l’essor de la compétitivité de la recherche privée, de l’avis de l’Inspection générale des finances.
M. Gallois, que le Gouvernement a nommé à la tête du Commissariat général à l’investissement, reconnaît lui-même la nécessité de conserver les investissements d’avenir et le CIR. Je vous invite de surcroît à les approfondir pour renforcer la compétitivité industrielle de la France.
Je le dis avec d’autant plus de conviction que je sais que l’ancienne majorité ne l’a pas fait seule, mais avec le soutien et l’esprit de responsabilité de bon nombre de nos collègues et élus, qui étaient autrefois dans l’opposition : je suis fier de tout ce que nous avons réalisé ensemble pour revaloriser l’université française. Je suis fier de la loi LRU, car il fallait la faire. Je me félicite d’ailleurs que le Gouvernement soit sur la même longueur d’ondes. Je suis fier de la loi Goulard, car elle a remis l’excellence scientifique au cœur de nos priorités.
Dans le cadre de l’autonomie qui leur a été confiée par la loi LRU, les universités ont été mises dans l’obligation d’assumer des choix stratégiques dans leur positionnement par rapport aux besoins socioprofessionnels de leur territoire et aux enjeux de la concurrence internationale. Pour les établissements, le principal défi a donc été de bien placer le curseur, de trouver l’équilibre optimal dans la définition de leurs orientations stratégiques entre, d’une part, la nécessité d’affirmer leur identité propre et ce qui fait leur valeur ajoutée auprès de tous leurs partenaires – entreprises, collectivités, étudiants – et, d’autre part, leurs missions de service public.
Les déplacements que nous avons effectués nous ont permis de constater que certaines universités avaient pris la juste mesure de cet enjeu stratégique.
L’université d’Avignon, une « petite » pépite de 7 000 étudiants, a su utiliser son autonomie stratégique pour tirer son épingle du jeu. Elle a développé des niches de spécialisation, en rapport direct avec les atouts et traditions du territoire, qui en font une « orchidée » universitaire dans les domaines du patrimoine et de la culture ainsi que de l’agroalimentaire. Elle a également fait le choix de maintenir une offre pluridisciplinaire en licence, afin de garantir le libre accès des bacheliers de la région à l’enseignement supérieur.
En revanche, il est plus compliqué de trouver le bon positionnement pour les universités de rang intermédiaire.
Prenons l’exemple de l’université de Caen, qui doit garantir un service public de l’enseignement supérieur accessible au plus grand nombre et, dans le même temps, répondre aux besoins spécifiques de son territoire. Ainsi, elle a développé la transversalité entre les disciplines et les passerelles entre formations pour prévenir autant que possible l’échec en premier cycle, mais elle a aussi renforcé son offre de formation destinée spécifiquement aux ingénieurs, dont le besoin est patent en Basse-Normandie.
La loi LRU a également favorisé l’ouverture des universités sur le monde économique. On l’a dit, les collaborations sont encore balbutiantes, mais certaines universités ont pris des initiatives prometteuses et souhaitent qu’on les accompagne dans ce sens.
En ce qui concerne l’orientation et l’insertion professionnelles, qui sont une nouvelle mission des universités depuis la loi LRU, les résultats sont encore limités. Si beaucoup d’universités ont fait des efforts considérables pour professionnaliser leurs licences, on constate que la connaissance des milieux professionnels a encore du mal à s’imposer chez les enseignants-chercheurs. L’aide à l’orientation est insuffisamment valorisée au sein du personnel enseignant, au niveau aussi bien de l’enseignement secondaire que de l’enseignement supérieur.
Je regrette profondément qu’aient été rejetés tous les amendements du Sénat visant à inscrire dans les missions des futures écoles supérieures du professorat et de l’éducation la nécessité de sensibiliser les futurs enseignants à la connaissance des milieux professionnels et aux enjeux de l’insertion professionnelle. Les enseignants sont pourtant les premiers acteurs de l’orientation des élèves. Qui, ici, pourrait arguer du contraire ?
En matière de gouvernance, on a trop vite fait de rendre la loi LRU responsable d’une centralisation excessive des pouvoirs entre les mains du seul président de l’université. Cette loi entendait rompre avec un système : celui d’une autonomie éclatée, dispersée, exercée par une multitude d’acteurs, d’instances et de composantes, et au final une autonomie qui n’était assumée par personne. La nécessité de faire des choix dans la définition de priorités stratégiques et de se construire une identité autour de ces priorités, voilà une culture fondamentalement nouvelle qui a été introduite dans le monde universitaire et scientifique par la loi LRU !
Concéder aux universités une autonomie accrue dans la définition de leur projet stratégique supposait de rendre leurs conseils d’administration plus opérationnels et de renforcer les pouvoirs du président dans l’impulsion et la mise en œuvre de ce projet. La cohérence de cette stratégie est garantie par le fait que tous les conseils centraux des universités sont désormais présidés par le président de l’université, aussi bien le conseil d’administration, le conseil scientifique que le conseil des études et de la vie universitaire.
Je note, au passage, que le projet de loi que vous nous proposez, madame la ministre, organise une dyarchie préoccupante dans la gouvernance des universités, avec un conseil d’administration et un conseil académique qui seraient présidés par des personnalités distinctes.
La pratique a révélé que, dans un certain nombre d’universités, le conseil d’administration ne s’est pas suffisamment positionné sur sa fonction principale de stratège, en accordant une importance et un temps excessif à l’examen de questions techniques ou à la gestion du quotidien de l’établissement. M. Assouline et Mme Gillot l’ont dit, ce qui a été véritablement critiqué, ce sont ces réunions fleuves du conseil d’administration consacrées à des dossiers très techniques, perçus comme très peu stratégiques, et parfois exclusivement catégoriels.
La loi LRU a permis en outre le renforcement du contrat pluriannuel d’établissement comme instrument stratégique au niveau de l’université. Ce n’est qu’une étape, mais une étape essentielle. Ce contrat responsabilise l’université dans les moyens dont elle dispose pour conduire son projet. La question qui se pose aujourd’hui est celle de la cohérence de ce contrat pluriannuel, élaboré bien souvent selon un mode vertical entre l’université et sa tutelle, avec les conventions, plus horizontales et transversales, que l’université entretient avec les autres acteurs du site qui sont ses partenaires : les organismes de recherche et les collectivités territoriales, mais aussi les autres établissements d’enseignement supérieur et les pôles de compétitivité.
Enfin, j’aborderai la question de l’évaluation. Créée par la loi Goulard de 2006, l’AERES a permis de placer l’évaluation au cœur de l’autonomie. Elle permet de faire le point sur l’exécution du contrat d’établissement et donne à chacune des parties, l’établissement comme l’État, des éléments objectifs et transparents d’aide à la décision, pour effectuer des choix et accompagner des évolutions.
D’une façon générale, l’ensemble des équipes dirigeantes d’universités que nous avons rencontrées ont insisté sur la nécessité d’une évaluation externe et indépendante qui soit perçue comme un levier d’amélioration du projet stratégique de l’établissement, et non comme une sanction. Les appréciations sur l’AERES, ses pratiques et ses méthodes, améliorées au fil du temps, ont été positives. Il est donc faux d’affirmer que la communauté universitaire et scientifique réclame majoritairement la disparition de cette agence.
L’AERES a fait la preuve de sa souplesse en revalorisant l’auto-évaluation. Elle n’a pas attendu l’actuel gouvernement pour permettre aux unités de recherche de recourir à une autre instance d’évaluation, sous réserve d’une validation par l’agence de ses procédures d’évaluation. Cette possibilité existe en effet d’ores et déjà dans la loi – je vous renvoie au code de la recherche.
L’agence est prête à faire évoluer ses missions, sa gouvernance et son fonctionnement pour conforter la confiance qu’elle a acquise auprès des universitaires. Une majorité d’entre nous est même prête à consacrer cette évolution dans la loi. Mais rien ne justifie la suppression de l’AERES, au prétexte que changer l’intitulé d’une autorité suffirait à apaiser les contestataires rétifs à toute évaluation externe, qui demeurent minoritaires. En remplaçant une autorité par une autre avec un nom différent mais des missions analogues, au prix d’une démarche coûteuse, on ne dupe ni l’AERES, ni les enseignants-chercheurs, ni les chercheurs.
La maîtrise de l’autonomie ne se décrète pas, elle s’apprend. Le changement de culture, s’il n’est pas achevé, s’est produit.
Il n’existe pas de majorité, au sein de la communauté universitaire, en faveur d’une abrogation de la loi LRU, nous l’avons constaté à chaque audition, à chaque déplacement. Loin de moi l’idée de nier que cette loi ait fait l’objet de contestations. Je le reconnais, elle doit être améliorée, en particulier sur les règles électorales, l’organisation interne de l’université et le renforcement du dialogue de gestion entre le centre et les composantes. Vous partagez sans doute mon analyse, madame la ministre, puisque vous ne souhaitez pas non plus l’abrogation de cette loi.
Je veux terminer sur une note qui, je l’espère, vous fera plaisir : faites-nous confiance pour vous aider à défendre les acquis fondamentaux de la loi LRU !