Intervention de Jacques Mézard

Réunion du 11 juin 2013 à 14h30
Débat sur le bilan d'application de la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités

Photo de Jacques MézardJacques Mézard :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l’heure du bilan, nous devons nous poser plusieurs questions.

La loi LRU a-t-elle permis à nos universités d’avancer sur les problématiques essentielles que sont la qualité de l’enseignement, la lutte contre l’échec et la démocratisation de l’accès ? Est-il possible d’assurer le même niveau de formation dans toutes les universités sur l’ensemble du territoire – une question que l’on ne veut ni poser ni résoudre ? Donne-t-on à nos universités les moyens, notamment structurels, de répondre aux nouveaux enjeux, aux mutations sociétales et techniques ?

Madame la ministre, selon moi, la révolution des prochaines années consiste pour l’université à réussir France Université numérique dans le cadre européen et à décliner les MOOCS, les cours massifs ouverts en ligne. C'est une nouvelle conception de l’enseignement, et nous ne devons pas rater ces rendez-vous. Nous aurons certainement l’occasion de débattre de nouveau de ces questions.

La loi LRU a-t-elle permis d’appréhender efficacement ces mutations ? Le progrès, l’innovation et la croissance dépendent du niveau de qualification de nos citoyens, et l’université doit jouer un rôle déterminant en favorisant la réussite des étudiants. Or nous constatons que l’université ne nous permet pas d’atteindre cet objectif. En effet, une large majorité d’une classe d’âge n’est pas titulaire d’un diplôme de l’enseignement supérieur, alors que le lien entre niveau de qualification et insertion professionnelle ne cesse de se renforcer. Ce constat est d’autant plus grave que 25 % des jeunes âgés de quinze à vingt-quatre ans sont affectés par le chômage et figurent parmi les premières victimes de la crise.

En 2007, certains étaient convaincus que l’autonomie des universités entraînerait naturellement l’amélioration de leur performance. C’était alors la philosophie sous-jacente à la loi LRU. Lors de la présentation du projet de loi au Sénat, Valérie Pécresse, alors ministre de l’enseignement supérieur, déclarait : « Assurer la liberté et la responsabilité au cœur d’une gouvernance rénovée, voilà la première condition du redressement de nos universités. » Elle estimait que l’État devait être un partenaire indispensable.

Dans leur rapport, nos collègues Dominique Gillot et Ambroise Dupont expliquent que cet accompagnement n’a pas eu lieu, que les universités ont été livrées à leur sort alors qu’elles n’étaient pas préparées à ce bouleversement culturel.

Au moment où leur ont été confiées des responsabilités et des compétences élargies, elles n’avaient pas adopté une culture de gestion avec des outils de pilotage, de programmation et de suivi, et ne s’étaient pas non plus dotées des compétences requises. Cela a pu entraîner, dans certains cas, un recours coûteux à des prestataires et audits extérieurs. Aujourd’hui encore, seule une dizaine d’universités dispose d’une comptabilité analytique.

De surcroît, les charges transférées résultant de leurs nouvelles libertés avaient été sous-évaluées. Je pense notamment à la gestion de la masse salariale, qui laisse, pour certaines d’entre elles, peu de place à l’investissement. Le recours aux contractuels s’est accéléré, entraînant la précarisation du personnel.

La loi LRU a abouti à accorder aux universités, plutôt que des libertés, des responsabilités sans les moyens de les assumer.

L’objectif de péréquation des moyens entre grandes et petites universités que l’on voulait atteindre avec la mise en place du système d’allocation des financements publics récurrents a échoué. Comme les petites universités ne disposaient pas de la capacité financière pour s’adapter à de tels changements, les inégalités territoriales se sont aggravées. Vous le savez, madame la ministre, c'est un véritable problème que rencontre actuellement notre système universitaire. Cela n’est pas dit, mais on ne peut pas avoir des universités de même niveau sur tout le territoire et, dans le même temps, assurer partout un bon accès et un enseignement de qualité. Ce sont des choses différentes !

Alors que la loi LRU visait à rendre la dépense publique plus efficace par la réalisation éventuelle d’économies, la mutualisation des moyens entre les universités d’un même regroupement d’établissements ne semble pas avoir fonctionné. C’est bien une logique concurrentielle qui s’est installée au détriment des petites universités et de celles qui étaient déjà en difficulté. Cinq ans après, la moitié des universités connaît ainsi une situation budgétaire difficile et un quart d’entre elles a commencé l’année avec une trésorerie négative ou nulle.

Au final, la mise en œuvre de la loi LRU a contribué à l’explosion non maîtrisée des dépenses – sur ce point, nous ne nous faisions guère d’illusions ! –, sans économies d’échelle, et ce au détriment des finances publiques.

Toutefois, cette loi – puisqu’il n’est pas question de l’abroger, il faut bien lui reconnaître quelques aspects positifs ! – a permis à des universités de mettre en place des stratégies de formation avec une offre équilibrée et adaptée à leur territoire ainsi que des partenariats avec les acteurs économiques.

Certains établissements ont aussi réussi à négocier sans trop d’accrocs la transition vers l’autonomie en apprenant à maîtriser les nouveaux outils de gestion et de programmation.

Au bout du compte, même si l’autonomie ne sera pas remise en cause dans son principe – du reste, un retour en arrière serait difficile, et même nuisible –, le projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche, bientôt soumis à l’examen du Sénat, doit être l’occasion de corriger les dysfonctionnements constatés. C’est vrai notamment, madame la ministre, sur le plan de la gouvernance ; le débat que nous aurons à cet égard sera important.

La gouvernance issue de la loi LRU est critiquée par certains en raison de la concentration des pouvoirs entre les mains des présidents d’université et au sein du conseil d’administration. De fait, un rééquilibrage doit être opéré si l’on veut parvenir à une gestion plus efficace ; il doit aussi être financier si l’on veut tirer nombre d’universités de l’impasse financière dans laquelle elles se trouvent actuellement.

Reste que, si la réforme de la gouvernance est importante, seul l’État est en mesure de garantir la cohérence stratégique et territoriale de la politique de réussite universitaire ; sans accompagnement de l’État, toute politique en la matière est condamnée à l’échec !

Différentes conceptions de l’université existent. Pour ma part, je crois que l’université française ne doit pas viser seulement un bon rang dans le classement de Shanghai. Elle doit avant tout garantir à tous les étudiants une formation de qualité leur permettant de réussir leur insertion professionnelle ; elle doit aussi garantir à la recherche les moyens d’innover.

La loi LRU ne semble pas avoir eu d’effets très considérables sur l’autonomie réelle tant préconisée par l’Union européenne et par l’OCDE. En effet, sur vingt-neuf pays européens, la France se situe à la vingt-troisième place pour l’autonomie financière, à la dix-septième pour l’autonomie organisationnelle et à la dernière pour l’autonomie académique.

Mes chers collègues, il ne faut pas céder au dénigrement de nos universités. En dépit de cette absence d’autonomie pédagogique, elles obtiennent des résultats satisfaisants et n’ont rien à envier à nombre d’universités étrangères. La France reste le cinquième pays au monde pour l’accueil des étudiants étrangers, et la qualité globale de notre enseignement supérieur mérite d’être saluée. Dans ces conditions, tenir un discours seulement négatif ne serait pas du tout justifié !

Madame la ministre, nous souhaitons qu’un service public de l’enseignement supérieur garantissant à tout étudiant un accès aux formations qui correspondent à ses ambitions et à ses aptitudes soit la priorité du Gouvernement, car l’autonomie ne peut et ne doit en aucun cas se résumer au désengagement de l’État ! §

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