Intervention de Pierre Bordier

Réunion du 11 juin 2013 à 14h30
Débat sur le bilan d'application de la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités

Photo de Pierre BordierPierre Bordier :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi LRU sur l’autonomie des universités est sans aucun doute l’une des réformes les plus importantes du précédent quinquennat. Elle marque une étape déterminante pour l’enseignement supérieur français.

Le rapport de nos collègues Dominique Gillot et Ambroise Dupont reconnait l’importance de cette réforme et conclut même à la nécessité d’accentuer encore le processus de développement de l’autonomie des établissements.

Je rappellerai, ainsi que l’ont fait nos rapporteurs, les avancées réalisées.

Outre une nouvelle gouvernance recentrée autour du président et du conseil d’administration, les universités disposent désormais de la maîtrise de leur budget, dont la masse salariale, et de la gestion des ressources humaines. Elles sont identifiées comme des interlocuteurs à part entière par les entreprises et les collectivités territoriales.

Désormais, les universités autonomes disposent de tous les leviers pour organiser leurs formations en fonction des besoins de leurs étudiants et de la situation de l’emploi, faire émerger de nouvelles niches d’excellence scientifique, recruter des chercheurs de haut niveau, valoriser l’engagement des personnels, créer des fondations, développer les coopérations avec les entreprises, etc.

Grâce à l’autonomie, c’est la performance de l’ensemble du système universitaire qui a été améliorée, ainsi que sa visibilité à l’échelle internationale.

Le rapport rappelle que, par une résolution de 2007, le Conseil de l’Union européenne invitait les États membres à doter les établissements d’enseignement supérieur de l’autonomie nécessaire pour développer tout leur potentiel.

L’autonomie de nos universités était en France un sujet débattu depuis de nombreuses années, mais les gouvernements successifs hésitaient à braver les corporatismes et à s’attaquer à ce chantier d’ampleur.

Cinq ans après le vote de la loi LRU, le pari est réussi, puisque la quasi-totalité des universités françaises – 80 sur les 83 que compte notre pays – sont passées aux responsabilités et compétences élargies. Néanmoins, encore faut-il qu’elles disposent des moyens, d’ordre administratif et financier, pour que ce passage se réalise dans les meilleures conditions. Les auteurs du rapport analysent donc point par point les difficultés rencontrées par les universités dans la mise en œuvre de la loi.

Je relèverai plusieurs problèmes récurrents signalés dans le rapport, en axant mon propos sur ceux qu’entend résoudre le projet de loi que nous étudierons la semaine prochaine.

Il est manifeste que certaines universités ont eu du mal à s’approprier les nouvelles compétences liées à l’autonomie et à faire face à de nouvelles et lourdes responsabilités.

Les auteurs du rapport recommandent donc le renforcement de l’accompagnement des universités, ce qui est effectivement souhaitable, mais celui-ci ne doit pas aboutir à rétablir la tutelle de l’État, comme peut le faire craindre la lecture du projet de loi.

De plus, si nous voulons réellement renforcer l’autonomie des établissements, il faut leur assurer un pouvoir collégial fort, celui du conseil d’administration et de son président, capable de décider et d’agir.

La réforme introduite par le projet de loi, créant un conseil académique bicéphale, est en contradiction totale avec cet objectif.

Je citerai encore parmi les préoccupations des rapporteurs les difficultés d’ordre pédagogique, notamment le manque de lisibilité des formations, celles-ci se multipliant à l’excès.

Le rapport relève avec raison la nécessité de procéder à une évaluation des besoins réels de l’environnement économique. Nous partageons ce point de vue, mais sommes sceptiques quant à l’objectif affiché par le ministère, visant à faire disparaître 5 800 masters sur les 7 500 qui existent.

Sur un autre sujet, lié au précédent, les auteurs du rapport recommandent l’amélioration de l’orientation et l’information pour l’insertion professionnelle des jeunes. Plusieurs propositions me semblent intéressantes, telles que la publication des statistiques de réussite aux examens ou la continuité d’un parcours de la première année de lycée jusqu’à la dernière année de licence.

Le projet de loi, tout comme le texte portant refondation de l’école, ne prend pas suffisamment en compte cette nécessité d’aller plus loin dans l’orientation active des étudiants, seul levier efficace pour lutter vigoureusement contre l’échec en licence.

Un autre problème est l’insuffisance persistante des relations avec le monde de l’entreprise. Les progrès sont réels depuis la mise en place de la loi LRU, mais les auteurs du rapport montrent qu’ils sont encore insuffisants. Le Gouvernement parle « d’ouverture sur le monde économique », mais traduit-il ses déclarations en actes ? Non, car, alors qu’il aurait pu donner davantage de poids aux personnalités extérieures du conseil d’administration des universités, il ne l’a pas fait.

Enfin, je voudrais évoquer la question de l’évaluation, également traitée par le rapport. Celui-ci ne recommande aucunement la suppression de l’AERES. Au lieu de supprimer cette autorité administrative, pour la remplacer par une autre ayant les mêmes objectifs, il me semble qu’il aurait mieux valu affiner ses missions, à la lumière de l’expérience acquise par cette agence au terme de six années d’existence. La supprimer purement et simplement revient à nier la notoriété européenne et internationale qu’elle avait acquise.

En outre, un tel changement de structure pourrait coûter la modique somme d’environ 3 millions d’euros.

En 2010, l’AERES a été évaluée au niveau européen et a ensuite été jugée apte à être inscrite sur le registre européen des agences d’assurance qualité dans le champ de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cela conforte la confiance des étudiants étrangers dans le système français d’enseignement supérieur. Pourquoi renoncer à cet acquis et repartir de zéro ? L’AERES, grâce à sa bonne notoriété à l’international, est sollicitée pour évaluer des formations ou des institutions dans de nombreux pays, dont l’Arabie saoudite, qui l’a préférée à l’université de Stanford.

Nous discuterons de tous ces points la semaine prochaine.

Que conclut finalement le rapport de Dominique Gillot et d’Ambroise Dupont ? Que la maîtrise de l’autonomie s’apprend. Si toutes les universités n’ont pas encore atteint un rythme de croisière dans la mise en œuvre de leurs nouvelles « responsabilités et compétences élargies », il n’en demeure pas moins que la loi LRU a ouvert une dynamique de progrès sur laquelle aucune université ne souhaite revenir.

La pierre d’achoppement est ailleurs : sans le budget nécessaire, point d’autonomie possible. Dès lors, pourquoi prévoir simplement une loi d’orientation ? Le Gouvernement a-t-il peur de s’engager ? Dans un contexte budgétaire contraint, on peut comprendre une certaine prudence, mais l’enseignement supérieur et la recherche sont précisément les éléments clés pour ouvrir de nouvelles perspectives professionnelles à nos jeunes et faire participer notre pays à la compétition mondiale de l’intelligence.

Je rappelle que, sous le précédent quinquennat, le budget des universités a augmenté de 25 % en moyenne, et jusqu’à plus de 50 % pour certaines d’entre elles. L’État a augmenté deux fois plus les moyens en cinq ans qu’au cours des dix années précédentes.

La frilosité de la nouvelle majorité est un mauvais signe envoyé aux acteurs de l’enseignement supérieur. Le projet de loi que nous examinerons la semaine prochaine n’a rien pour les rassurer. Au lieu de développer l’autonomie, il la bride ; au lieu de sécuriser les modes de fonctionnement, il les complexifie.

Vous aurez beau, madame la ministre, invoquer ce rapport pour justifier vos choix, ces justifications cacheront mal le vrai propos de la réforme : défaire ce qui a été fait par la majorité précédente et « recentraliser » le système. Nous tenterons la semaine prochaine de vous faire entendre nos arguments et de relayer ainsi les inquiétudes des professionnels de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Le sujet est d’une telle importance qu’il faut se garder de toute attitude partisane. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je tiens à féliciter les rapporteurs, dont le travail a été empreint d’une grande rigueur et d’un réel sens de l’écoute.

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