Monsieur le président, madame la ministre, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, la loi du 10 août 2007, dite « loi LRU » est venue compléter un mouvement d’autonomisation des universités engagé depuis la loi Edgar Faure de 1968.
Au départ, la loi LRU a créé un certain nombre d’attentes, notamment auprès des présidents d’université, des cadres et des enseignants-chercheurs, souvent très impliqués – plus de capacités d’initiative, plus de moyens financiers, plus de souplesse dans la gestion au quotidien et dans la mise en place des stratégies territoriales –, mais elle a aussi suscité des craintes chez tous ceux qui tenaient à une présence équilibrée de l’enseignement supérieur sur tout le territoire. Elle leur a fait craindre que n’apparaisse une université à deux vitesses, que des villes ne soient moins bien dotées ou délaissées, que les équipements ne souffrent de cette autonomie, et, plus largement, que les universités n’entrent en concurrence ouverte les unes avec les autres.
Six ans après, on peut dire que, sans doute, tout n’a pas été négatif, mais que le bilan est mitigé.
Sur le plan budgétaire et financier, je soulignerai, comme d’autres orateurs l’ont fait avant moi, que la gestion de la masse salariale constitue un défi considérable en raison du caractère rigide de cette dépense et de sa progression mécanique liée au glissement vieillesse technicité. Les universités « autonomes » doivent également compter avec les décisions prises à l'échelon national, par exemple les plans de titularisations.
Comme le montrent très bien les auteurs du rapport de la commission d’évaluation, les transferts de charges de gestion et de personnels n’ont pas toujours été très bien évalués. Or l’enseignement supérieur et la recherche, ce sont d’abord des questions qui ont trait aux ressources humaines, et ce type de dépenses est évidemment central dans la gestion de nos établissements.
Les auteurs du rapport regrettent également qu’aient été sous-estimés les coûts liés à l’autonomie, laquelle a été particulièrement préjudiciable aux établissements de petite taille, qui ont dû faire face à ces dépenses nouvelles.
La question de la maintenance du patrimoine universitaire n’a finalement pas été traitée dans le cadre de cette loi, puisque très peu d’universités en ont pris la responsabilité et que les ressources restent modestes à l'échelle nationale.
Alors que les universités, grâce à cette loi, devaient « prendre leur envol » et disposer de nouvelles marges de manœuvre, nombre d’entre elles se sont retrouvées dans des situations difficiles. D’autres ont eu recours, sans doute trop massivement, à l’emploi contractuel, ce qui a parfois conduit à la précarisation d’un nombre important de jeunes docteurs. Si bien que les difficultés budgétaires de nombre d’universités en 2012 font incontestablement partie de l’héritage laissé par cette loi, qui est aujourd’hui très difficile à gérer.
Il faut également souligner que, au moment de ce passage à l’autonomie, jamais les financements dédiés à l’enseignement supérieur et à la recherche n’ont été aussi fragmentés et aussi peu pérennes. Les conséquences ont été assez importantes, y compris dans la mise en œuvre de cette loi.
Les PRES, le plan Campus, les projets IDEX, ou initiatives d'excellence, qui étaient prévus, ainsi que les autres déclinaisons liées aux investissements d’avenir ont été gérés quasi parallèlement à la mise en œuvre de cette loi, si bien que le pilotage global de l’enseignement supérieur et de la recherche a été en partie désorganisé. Or l’autonomie ne peut être pleinement efficace qu’avec une organisation rationnelle.
La souplesse en matière de gestion qui a été obtenue par les universités est réelle, mais ses conséquences ont à mon sens été considérablement amoindries par la complexité des financements connexes.
Comment piloter un établissement de façon rationnelle lorsque l’ANR décide des financements directs des chercheurs en passant par-dessus les directeurs de laboratoire de recherche et les présidents d’université, lorsque les projets immobiliers imaginés par le plan Campus sont totalement bloqués par la promotion largement idéologique des partenariats public-privé que personne ne parvient à concrétiser, lorsque les investissements d’avenir ajoutent une troisième strate de décision, fondée uniquement sur la logique de l’excellence ?
Au-delà de la loi LRU, c’est donc à mes yeux le pilotage de l’ensemble du système qu’il faut essayer de rendre plus simple et plus rationnel.
Quelles sont les conséquences de l’autonomie sur l’offre d’enseignement ? Comme l’ont indiqué les rapporteurs et de nombreux orateurs, l’autonomie a incontestablement conduit à une diversification et à une multiplication de l’offre, notamment au niveau des masters, qui rendent aujourd’hui le paysage relativement illisible pour les parents et les recruteurs, mais aussi pour les universités étrangères. D’excellents projets ont été mis en œuvre, mais la lisibilité n’y a pas gagné. C’est un point qui devra être corrigé.
Comme le soulignent les auteurs du rapport, les universités ont eu du mal à choisir entre pluridisciplinarité et différenciation de leur offre. Il s’agit là d’une réalité objective. De plus, la carte nationale des formations, prévue par la loi, fait toujours défaut. Elle serait pourtant bien utile pour éclairer les différents acteurs.
Le plus grave échec, à mes yeux, porte sur la réussite des étudiants dans le cycle de la licence. La loi LRU n’a pas été accompagnée d’une réflexion ni de décisions suffisantes relatives à l’arrivée massive de bacheliers aux parcours très différents. Malgré les moyens qui ont été injectés dans le cursus de la licence, la diversité des publics en première année de faculté n’a pas conduit aujourd’hui à une amélioration de la réussite des étudiants. C’est, chacun le sait, l’un des principaux problèmes de notre enseignement supérieur.
À l’inverse, il me semble que la nouvelle organisation de l’évaluation, même si elle est perfectible, constitue un progrès.
Les craintes et les effets pervers de nombreux observateurs, tels que le risque de privatisation des universités ou de concurrence débridée au détriment des territoires les moins bien dotés ne se sont à mes yeux pas traduits dans les faits. Notre système universitaire reste présent sur tout le territoire, y compris dans de nombreuses villes moyennes à travers les IUT et les premiers cycles, avec une qualité qui est maintenue.
Nous le devons pour l’essentiel à l’engagement des personnels enseignants et aux présidents d’université, qui ont veillé à la permanence du service public. J’ajoute que nous le devons aussi aux élus locaux qui, chacun le sait, sont très attachés à la présence de ces formations sur leur territoire.
Les craintes liées à la politique des regroupements universitaires, avec la création des pôles de recherche et d’enseignement supérieur, les PRES, ne se sont pas vérifiées non plus. Tout d’abord, très peu de pôles réellement structurés ont véritablement vu le jour. Je considère qu’il s’agit d’une contradiction politique majeure, puisque la LRU, d’un côté, renforçait les pouvoirs des présidents d’université et, de l’autre, leur demandait d’abandonner illico presto une partie de ces nouveaux pouvoirs au profit des institutions collégiales. C’était à mon sens quelque peu contradictoire.
Aujourd’hui, les principaux problèmes liés à l’application de la loi LRU me semblent liés à l’absence de décision sur des sujets majeurs : la régression de l’efficacité de l’orientation post-baccalauréat, l’absence de reconnaissance du travail pédagogique et d’insertion professionnelle que réalisent certains enseignants chercheurs qui, quoique très impliqués, sont toujours aussi peu reconnus dans leur carrière, enfin, la baisse trop importante des crédits récurrents dans les laboratoires de recherche, voire la marginalisation des présidents d’université, mais aussi des élus dans des décisions relatives, par exemple, au plan Campus.
En conclusion, je ferai un point rapide sur les trois objectifs qui étaient assignés à la LRU.
Premièrement, la loi voulait rendre l’université plus attractive. Cet aspect a été amélioré au niveau des doctorats et des masters, notamment grâce à la diversité des offres, que j’ai déjà évoquée, mais pas dans le premier cycle. Il faut, et c’est un enjeu majeur, rendre les premiers cycles attractifs, mobiliser les enseignants chercheurs et reconnaître leur engagement.
Deuxièmement, la loi visait à améliorer la gouvernance. Je considère, en toute honnêteté, que la gouvernance des universités ne fonctionnait pas si mal avant la loi LRU et que les présidents avaient la capacité de prendre des décisions.