Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à féliciter les rapporteurs pour leur rapport plein de nuances, qui, comme l’a souligné le président de la commission sénatoriale, reflète la difficulté du sujet à traiter.
J’ai été président d’une université pendant cinq ans et vice-président pendant dix ans. Il s’agissait d’une université de province, de taille moyenne, à vocation pluridisciplinaire, avec une grande faculté de lettres et une faculté de médecine réputée qui formait à toutes les spécialités, sauf dentaire.
Pendant quinze ans, comme les trois quarts de mes homologues, j’ai attendu une plus grande autonomie des universités. C’est pourquoi, lors de sa présentation, le projet de loi LRU a été globalement accepté par la plus grande partie des présidents d’université. Je ne vais pas changer d’opinion aujourd’hui.
Je comprends très bien, madame la ministre, que vous vous attachiez à corriger ce qui n’a pas fonctionné et à lancer un défi nouveau. Vous le faites sans revenir sur l’autonomie qui a été accordée aux universités. D’ailleurs, si tel devait être le cas, il en résulterait de graves difficultés au sein des établissements.
En effet, il faut du temps pour gérer l’autonomie – ce temps, nous ne l’avons pas eu – et il faut savoir ce que l’on place derrière ce terme. Entre autonomie et indépendance, il y a une grande différence, j’y reviendrai dans un instant.
L’application de la loi a produit des effets positifs. Il en est ainsi de la possibilité que s’exerce un véritable pouvoir exécutif universitaire. Cela peut s’appeler une présidentialisation. Mais la France n’a-t-elle pas un Président de la République ? Cela n’empêche pas le Parlement d’avoir des pouvoirs !
Lorsqu’un président d’université doit composer avec un conseil d’administration, un conseil scientifique, un conseil des études et de la vie universitaire qui ne parviennent pas à prendre des décisions, cela ne va pas sans problème. Toutefois, peut-être faut-il une plus grande implication des diverses instances dirigeantes, selon les sujets.
J’ai lu très attentivement le rapport. À l'évidence, lorsque pendant trois heures la discussion porte sur la promotion des professeurs d’histoire ancienne, les représentants des entreprises et de la région peuvent trouver le temps long. Comme le disait le président de la commission sénatoriale, on voit ce que cela représente ici, alors imaginez ce qu’il se passera pour ceux dont ce n’est pas le métier ! Cet aspect est important.
Au demeurant, le président de l’université a plus de temps qu’avant : je le rappelle, il était élu seulement pour cinq ans, non renouvelables. Il participait à trois conseils, avec entre-temps des discussions, des occupations, parce que, dans le milieu universitaire et étudiant, on bouge beaucoup. Personnellement, je suis favorable à cette évolution ; revenir dessus serait à mes yeux une erreur.
Nous avons aussi développé de nouvelles compétences, comme le pilotage budgétaire et la gestion prospective. Cela me paraît normal, car à partir du moment où les universitaires estiment que les présidents d’universités doivent être des universitaires et non pas des personnes venant d’ailleurs, il faut évidemment qu’ils développent leurs compétences de gestionnaires. Il faut l’accepter. Toutefois, on l’a bien vu, lors de l’application de la réforme, certains n’en avaient pas beaucoup. Les mêmes présidents qui demandaient l’autonomie, lorsqu’ils ont eu la possibilité d’embaucher à tour de bras des personnels en CDD, se sont retrouvés avec des budgets impossibles et se sont tournés vers l’État pour obtenir de l’aide. Cela s’est passé à peu près de cette manière dans un certain nombre d’universités.
L’ouverture de l’université sur le monde économique et sur les acteurs du territoire, dans son écosystème – régions, départements, agglomérations – est une bonne chose. On ne peut pas avoir des pôles de compétitivité sans relation avec l’université, de même que des relations doivent être nouées entre la recherche publique et la recherche privée. Tout cela doit permettre d’aboutir à des résultats, et c’est pourquoi ces aspects sont importants.
En revanche, ce qui n’a pas bien fonctionné et qui doit être revu, c’est tout d’abord la diversification des ressources financières. Actuellement, le mécénat et les fondations représentent tout de même epsilon dans le financement des universités.
Ensuite, une compensation insuffisante du transfert de charges a réduit la marge de manœuvre budgétaire des établissements. Les universités n’ont pas l’habitude du transfert de charges ; les administrations et la direction des enseignements supérieurs, la DESUP, non plus. Cela s’est donc fait un peu n’importe comment, il faut bien le reconnaître.
Par ailleurs, mon collègue sénateur et maire de Saint-Etienne, qui a été lui aussi président d’université, l’a dit : parallèlement à cette autonomie, le ministère a développé un certain nombre de projets comme les initiatives d’excellence, ou IDEX, les projets de recherche, l’emprunt destiné à financer les investissements d’avenir, les projets d’établissement.
En résumé, les universités avaient d’un côté une sorte d’autonomie et, de l’autre, un pilotage national, sans aucune régulation. Celle-ci a donc dû être faite d’une façon ou d’une autre. Le poids des services ministériels dans la gestion courante reste important, et finalement sans véritable ligne directrice.
De surcroît, à côté de cette autonomie, a été maintenue une différence forte entre universités et filières sélectives. Honnêtement, vous devez savoir que, en province, tous ceux qui ont le bac doivent en principe pouvoir s’inscrire dans la filière de leur choix. Et comment se passe l’entrée à Dauphine ? Et que se passe-t-il à Paris ? Dans la capitale, il y a une double sélection : il faut avoir un bac avec mention et, en plus, un logement, ce qui constitue une sélection par l’argent. Donc deux systèmes coexistent.
L’autonomie ne peut fonctionner que si l’on corrige ces différences, ce qui apparaîtra sans doute dans le futur projet de loi. J’y suis favorable, car, dans les précédents textes, les questions liées à la qualité de vie des étudiants, à leur logement et à leur santé n’ont pas été traitées, ce qui manque aujourd'hui.
Revenons au système parisien. Si un nouveau bachelier désire s’inscrire à Dauphine ou dans une autre université parisienne, comment fera-t-il si ses parents ne peuvent pas payer de caution pour son logement ? Serait-il plus bête que les autres ? Pas du tout. Cette inégalité est terrible, et il faut vraiment réexaminer cette question, sinon rien ne sera possible par la suite.
J’aurais évidemment bien d’autres choses à dire, mais je me limiterai strictement au temps de parole qui m’a été imparti pour revenir simplement sur la notion d’autonomie et d’indépendance.
Les collectivités territoriales sont autonomes ; elles ne sont pas indépendantes. Il doit en être de même pour l’université. Je le précise, le rôle de l’État n’est pas incompatible avec l’autonomie des universités, et ce dernier doit par moments indiquer très précisément sa volonté.