Intervention de Geneviève Fioraso

Réunion du 11 juin 2013 à 14h30
Débat sur le bilan d'application de la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités

Geneviève Fioraso, ministre :

Il fallait donc bien les lier dans un projet de loi qui corrige à la fois le pacte pour la recherche et la loi LRU.

Les difficultés rencontrées par les établissements dans la mise en œuvre de la loi LRU, ainsi que les protestations soulevées par plusieurs de ses dispositions, ont été à l’origine de ce texte, que je vous présenterai à partir du 19 juin prochain.

Toutefois, ce projet de loi va désormais bien au-delà des corrections attendues de la LRU. Il est axé sur deux priorités nationales : la réussite étudiante, dont nombre d’orateurs ont regretté qu’elle ait été insuffisamment traitée via la LRU, et la relance d’une stratégie de la recherche dans toutes ses dimensions, allant de la recherche fondamentale à la recherche appliquée, sans oublier la question du transfert.

En effet, tout en se focalisant sur l’évaluation de la LRU, le rapport dont nous débattons aujourd’hui couvre l’ensemble du champ de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il constitue, à ce titre, une pièce essentielle dans le grand débat national sur l’avenir de nos universités, de nos écoles et de nos laboratoires.

Il y a quelques instants, M. Le Scouarnec a déploré que notre recherche soit trop focalisée sur les enjeux strictement technologiques. Pourtant, si, comme Valérie Pécresse avait l’habitude de le faire lorsqu’elle était ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, on agglomère tous les financements dans ce domaine, qu’ils soient privés ou publics, qu’ils viennent du grand emprunt, des investissements d’avenir ou des fonds européens, il apparaît que l’on consacre, chaque année, environ 47 milliards d’euros à la recherche française.

Quelque 33 % de cette somme sont destinés à la recherche fondamentale, ce qui explique notre excellence en la matière. Nous pouvons en être fiers : nous avons des prix Nobel et des médailles Fields. Il y a quelques années, nous avons obtenu pour la première fois un prix Turing – cette distinction est l’équivalent du prix Nobel pour l’informatique et, partant, pour les mathématiques appliquées. S’y ajoutent les prix Poincaré, ainsi que les nombreuses médailles du CNRS, qu’elles soient de bronze, d’argent ou d’or.

Notre recherche fondamentale est unanimement saluée : la France se place au sixième rang mondial. Nos compétences sont également reconnues par les pays émergents, et ceux d’entre eux qui disposent de larges moyens financiers commencent à proposer des postes et des chaires dignes d’intérêt à nos scientifiques spécialisés dans la recherche fondamentale. Il nous faut absolument préserver cet atout et garantir sa pérennité.

A contrario, notre recherche technologique reste faible. Elle peine à atteindre les 10 % du budget total, malgré le crédit impôt recherche, malgré les clusters et l’ensemble du dispositif des investissements d’avenir, alors qu’elle dépasse les 20 % en Allemagne, aux États-Unis et dans de nombreux pays émergents.

Or cette recherche technologique est précisément le meilleur vecteur de la transformation de l’invention en innovation et ainsi en emplois. On l’observe clairement : si nous sommes placés au sixième rang pour les publications et la recherche scientifiques, pour l’innovation, autrement dit pour la création d’emplois, nous ne sommes qu’entre la dix-septième et la vingt-cinquième place – le classement varie selon les critères retenus. C’est en partie ce qui explique la disparition de nos emplois industriels : les activités en question sont insuffisamment irriguées par la recherche et par l’innovation. Par conséquent, des produits et des services moyens ou bas de gamme peinent à affronter la compétition internationale.

J’y reviendrai lors de nos prochains débats, mais je le souligne dès à présent : si l’on veut assurer un avenir à notre industrie et à nos services, si l’on veut donner un travail aux 25 % de jeunes actifs qui, aujourd’hui, sont à la recherche d’un emploi, si l’on veut garantir des débouchés aux baccalauréats professionnels, qui ont été évoqués il y a quelques instants, comme à l’ensemble des filières technologiques, il faut nourrir notre industrie et notre économie tout entière grâce à l’innovation. Or celle-ci naît, pour une large part, de la recherche.

Les auteurs du présent rapport dressent un bilan très nuancé de la loi LRU. Certains orateurs sont allés jusqu’à dénoncer le résultat obtenu comme « calamiteux ». Pour ma part, je le qualifierai de très contrasté, en distinguant les intentions de leur mise en œuvre. En effet, six ans après l’adoption de ce texte, nous sommes en mesure d’en dresser un bilan étayé.

Premièrement, les auteurs de ce rapport identifient, à juste titre, une série de transformations que l’on peut aujourd’hui considérer comme positives, mais qui restent à consolider. C’est notamment le cas de l’ouverture sur le monde professionnel et sur les enjeux économiques.

Ce mouvement était déjà largement engagé avant 2007. Je songe notamment à la loi sur l’innovation et la recherche, adoptée sur l’initiative du gouvernement Jospin. Ce processus s’est poursuivi avec le développement des formations professionalisantes et la mise en place de la réforme « licence-master-doctorat » ou LMD. Il a été renforcé par la LRU, avec l’insertion professionnelle, les coopérations dans le domaine financier, le mécénat et les partenariats avec les fondations.

Peut-être est-il encore trop tôt pour tirer un constat d’ensemble, peut-être ces usages ne s’inscrivent-ils pas dans notre culture nationale. Toutefois, force est d’observer que, dans ce domaine, les projets n’ont pas encore tenu leurs promesses en termes de ressources. En résultent les difficultés qu’ont évoquées la plupart des orateurs.

Il en va de même de l’évaluation externe et unifiée des établissements, au sujet de laquelle les points de vue divergent. Il s’agit de l’évaluation des formations et des laboratoires sous la responsabilité d’une instance nationale, selon des critères et des méthodes applicables à tous. En comparaison avec la situation antérieure, fondée sur un processus quelque peu endogène, le progrès est évident quant aux intentions. Toutefois, les conditions d’application et même les principes de cette évaluation se sont révélés tout à fait dommageables. J’aurai l’occasion d’y revenir.

Les auteurs du présent rapport notent également que la nouvelle gouvernance des universités a pu être adaptée en fonction des écosystèmes locaux. Ils soulignent que, désormais, l’importance des fonctions supports de pilotage budgétaire et financier n’échappe plus à personne. Néanmoins, ces adaptations sont particulièrement instables et souvent illisibles pour les membres des établissements. Qui plus est, l’apprentissage du pilotage budgétaire s’est accompli dans un contexte de difficultés grandissantes.

Madame, monsieur les rapporteurs, vous évoquez les dix-neuf universités qui, à la fin de l’année 2012, accusaient un déficit de trésorerie. Un quart des établissements sont en difficulté au titre des fonds de roulement, qui sont passés du seuil prudentiel d’un mois à seulement quinze jours, voire à un délai quasi nul. Onze universités subissent même aujourd’hui un double déficit, correspondant à deux années consécutives.

En vertu de la LRU, cette situation aurait dû conduire à placer ces établissements sous tutelle. Toutefois, comme nous croyons en l’autonomie, nous avons privilégié un pilotage conjoint avec l’État pour opérer un redressement. En effet, la tutelle ne nous semblait pas aller dans le bon sens.

Quant aux difficultés que vous relevez, vous rappelez qu’elles ont profondément et durablement affecté la confiance des personnels et des usagers. Nous avons pu le constater lors des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche, que j’ai tenu à organiser, précisément pour renouer le dialogue et la confiance. Ces assises ont rassemblé et impliqué plus de 20 000 acteurs sur tous les territoires.

Comment expliquer que ces résultats n’aient pas été à la hauteur des ambitions, par ailleurs tout à fait louables ?

La manière dont le transfert de charges et de moyens a été effectué lorsque les universités sont passées aux responsabilités et compétences élargies, ou RCE, n’était pas de nature à inspirer la confiance. Aujourd’hui, les universités ont compris que leurs nouvelles responsabilités étaient avant tout une charge considérable, et que le rôle de l’État dans l’exercice de l’autonomie restait crucial, au point de déterminer aussi bien l’échec que la réussite de cette entreprise.

La LRU prétendait mettre les universités au cœur de l’enseignement supérieur et de la recherche, mais elle les a surtout placées face à de graves difficultés, sans pour autant parvenir à résoudre les dualités persistantes, d’une part, entre universités et grandes écoles – une question que Jean Germain a soulevée –, et, d’autre part, entre universités et organismes de recherche.

Enfin, vous rappelez que la réussite en premier cycle et l’amélioration des conditions de vie et d’apprentissage des étudiants ont été les parents pauvres de la mise en œuvre de la LRU. C’est la raison pour laquelle ces enjeux sont devenus la priorité des priorités de mon ministère, avant même l’adoption du projet de loi à venir.

En effet, la situation économique est difficile – le mot est faible ! Jacques Mézard a rappelé les chiffres du chômage, qui frappe aujourd’hui 25 % de nos jeunes actifs. Les jeunes diplômés s’insèrent certes plus facilement que les non-diplômés sur le marché du travail. Toutefois, force est de constater qu’ils sont rares : en France, le taux de réussite de la licence en trois ans ne s’élève en effet qu’à 37 %. A contrario, l’Allemagne atteint un taux de 60 % en la matière. Cet écart reflète un problème capital et traduit un véritable échec.

Pour les titulaires d’un baccalauréat technologique, le taux de réussite de la licence en trois ans ne s’élève qu’à 9, 5 %, et il tombe à 6 % seulement pour les titulaires d’un baccalauréat professionnel. Ceux-ci rejoignent l’université faute de pouvoir être accueillis dans les sections de techniciens supérieurs, les STS, qui leur sont normalement destinées.

Face à cette situation, le futur projet de loi vise à réunir les conditions de la réussite des étudiants. C’est réellement une priorité.

À cet égard, les bacheliers professionnels doivent avant tout être orientés vers les STS, et les bacheliers technologiques vers les diplômes universitaires de technologie, les DUT. C’est l’une des conditions de la réussite en licence : cette méthode évitera ce massacre social que l’on fait subir à ces étudiants, souvent issus des milieux les plus modestes. Par ailleurs, elle permettra à l’université d’accueillir des populations plus homogènes. On ne limitera pas pour autant l’ambition de ces bacheliers à deux années d’études après le baccalauréat : en effet, par des passerelles garantissant une plus grande fluidité de l’enseignement, il leur sera permis de poursuivre leur cursus au-delà du BTS ou du DUT.

Ce projet de loi contient d’autres mesures, notamment pour ce qui concerne la continuité entre « bac – 3 » et « bac + 3 ». Nombreux sont ceux qui ont évoqué cet enjeu au cours de ce débat. S’y ajoute l’orientation dès le lycée, à laquelle je travaille dès aujourd’hui avec mon collègue Vincent Peillon ; ce chantier n’a nullement été abandonné, comme j’ai pu l’entendre dire ici ou là. Toutes les actions que nous menons ne sont pas nécessairement d’ordre législatif : a fortiori, toutes les réformes en cours ne sont pas inscrites dans le futur projet de loi.

Ce texte comporte également la diversification des méthodes pédagogiques, notamment avec l’introduction du numérique, qui permettra de développer une approche plus personnalisée de l’enseignement. De surcroît, l’intégration, au sein des formations, de stages en entreprise permettra d’éviter les effets d’aubaine, tandis que le doublement de l’alternance favorisera un rapprochement réel des universités et du milieu socio-économique. Ces stages et ces cursus en alternance concernent aussi bien le secteur public et le milieu associatif que la sphère privée.

Parallèlement, nous souhaitons rapprocher les différents types de formations et réformer ce fameux système dual via des conventions, en spécialisant progressivement l’enseignement au cours du premier cycle pour faciliter les réorientations sans redoublement. De fait, les redoublements pénalisent toujours davantage les jeunes issus des milieux les moins favorisés.

Nous aurons l’occasion de débattre longuement de ces sujets, que je me contente ici d’évoquer.

Depuis un an, la vie étudiante fait l’objet d’un plan d’action qui, lui non plus, n’est pas de nature législative. Ce dernier prend en compte tous les aspects de la réussite étudiante : l’hébergement, avec, pour objectif, la construction de 40 000 logements au cours du quinquennat, les aides financières, la santé – notamment l’accès aux soins – et un accueil amélioré des étudiants étrangers.

Pourquoi insister sur l’accès aux soins ? Parce que nous avons constaté qu’il s’était fortement détérioré au cours des dernières années : de moins en moins d’étudiants sont affiliés à une mutuelle. En ce qui concerne les soins gynécologiques, pour les jeunes filles, mais aussi les soins dentaires et visuels, la dégradation est perceptible. Non seulement cette situation est de nature à pénaliser la réussite des étudiants à l’université, mais elle tend également à fragiliser leur santé tout au long de la vie.

Deuxièmement, les auteurs du présent rapport se penchent sur la question de l’autonomie.

De nombreux orateurs l’ont souligné avec raison, il faut distinguer l’indépendance de l’autonomie. Cette dernière est à la fois une valeur forte du monde universitaire et un moyen d’améliorer l’efficacité et la qualité de l’enseignement et de la recherche. Toute l’histoire des universités se résume par la conquête de l’autonomie, depuis leur invention au Moyen Âge, en résistance aux pouvoirs établis, jusqu’aux réformes les plus récentes, celles d’Edgar Faure en 1968 et d’Alain Savary en 1984.

À ce titre, l’autonomie garantie par la LRU a surtout conduit à déconcentrer la gestion budgétaire de la masse salariale, qui est venue compléter le principe du « budget global », déjà en vigueur depuis quelques années. Malheureusement, cette déconcentration de la masse salariale a été opérée sans anticipation des évolutions à venir. J’y reviendrai.

Si les objectifs affichés étaient ambitieux, l’accompagnement financier et technique n’a pas été à la hauteur. Le passage précipité aux RCE, encouragé pour des raisons d’agenda politique et sans considération pour les transformations à accomplir au sein des établissements, a heurté de plein fouet un système universitaire qui, comme le rappellent les auteurs du rapport, n’avait en 2007 « aucune culture de la gouvernance opérationnelle, de la gestion prospective et du pilotage budgétaire et financier. »

Tout d'abord, ce qui a manqué dans cette grande transformation, ce sont des moyens pour absorber les effets d’un transfert de charges et le besoin de compétences nouvelles, liés notamment aux exigences d’offres intenses, voire frénétiques, de l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, et des investissements d’avenir.

En conséquence, nos chercheurs ont moins fait appel à l’Europe. Nous avons reculé de cinq points quant à l’attribution de projets européens, alors que, en la matière, notre taux de réussite s’élève à 25, 5 % : il est supérieur à la moyenne européenne, ainsi qu’aux résultats de nos voisins allemands. Pour une fois que tel est le cas, il convient de le souligner ! Reste que, face à la frénésie des appels d’offres nationaux, nos chercheurs ont déserté l’Europe.

Il convient de revenir sur cet état de fait, non seulement eu égard aux enjeux budgétaires – encore que cet aspect ne soit pas négligeable par les temps qui courent –, mais aussi pour notre rayonnement international. De fait, notre présence dans les réseaux européens nous garantit une meilleure visibilité et, ainsi, une plus grande force à l’échelle internationale.

Ensuite, le temps de la restructuration et de l’apprentissage nous a fait défaut pour la mise en œuvre de cette nouvelle gouvernance : imaginez une entreprise qui, soudain, verrait son budget multiplié par dix ! Certes, cette situation est assez fictive, car il s’agit en l’occurrence d’un transfert de charges. Toutefois, il faut garder à l’esprit les ordres de grandeur eux-mêmes : porter un budget de 30 millions d’euros à 300 millions d’euros sans formation, sans anticipation ni préparation conduit nécessairement à des désillusions.

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