Intervention de Valérie Létard

Commission des affaires économiques — Réunion du 12 juin 2013 : 2ème réunion
Enseignement supérieur et recherche — Examen du rapport pour avis

Photo de Valérie LétardValérie Létard, rapporteure :

Ce projet de loi est examiné au fond par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, en ce moment même. Notre avis porte plus particulièrement sur les volets « recherche », « gouvernance » et « transfert » du texte, qui relèvent de notre commission ; il n'aborde donc pas les aspects « enseignement supérieur », qui sont du ressort de nos collègues de la commission saisie au fond.

Ce projet de loi constitue le septième texte législatif sur ces thématiques en cinquante ans. Les deux derniers, je vous le rappelle, étaient la loi de programme pour la recherche du 18 avril 2006 et la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, dite « loi LRU » ou « loi Pécresse ».

Le projet de loi reprend en grande partie les préconisations du député Jean-Yves Le Déaut, contenues dans le rapport remis au Premier ministre en début d'année, qui lui-même s'inspire fortement des réflexions tenues lors des Assises de l'enseignement supérieur et de la recherche, organisées fin novembre 2012. Adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 28 mai dernier, il sera débattu en séance dans notre assemblée à partir du 19 juin.

Mais pourquoi un texte portant notamment sur la recherche, alors que nous multiplions les prix Nobel, médailles Fields, médailles d'or du CNRS, etc... ? C'est que ce secteur, certes d'excellence, souffre aussi d'importantes limites. Je vous les avais d'ailleurs exposées lors de l'examen pour avis des crédits de la « mission recherche et enseignement supérieur » (MIRES), que je rapporte au nom de la commission.

Tout d'abord, l'organisation de notre recherche est bien trop complexe, à tel point que même les spécialistes ne s'y retrouvent plus. On parle à cet égard de « mikado institutionnel », source de confusion et de redondance. Accaparés par la bureaucratie de nos appels d'offre, nos chercheurs ne répondent pas assez à ceux provenant de l'Europe, et notre taux de retour diminue.

Cette complexité est aggravée par l'absence d'un réel pilotage stratégique au plus haut niveau. Une stratégie nationale de recherche et d'innovation (SNRI) a bien été adoptée en 2009 mais elle s'est trouvée diluée, et l'État n'a pas assumé son rôle d'impulsion et de coordination.

À l'échelle territoriale, les pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) devaient rassembler universités, grandes écoles et organismes de recherche, mais leur bilan est très inégal, comme l'a souligné la Cour des Comptes en 2011.

L'évaluation, confiée à une autorité administrative indépendante, l'Autorité d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES), reste en outre perfectible. Très décriée à l'origine, l'Agence, créée en 2007, a fait d'importants progrès ces dernières années, sous la houlette de son président Didier Houssin. Elle fait toutefois encore l'objet de critiques, telles que son éloignement des sujets évalués, le caractère de sanction de ses évaluations ou sa tendance à aller au-delà de ses fonctions en se prononçant sur l'opportunité des programmes de recherche.

Soulignons enfin le manque de valorisation de notre recherche dans la sphère économique, et donc l'insuffisance du transfert. Si nous sommes au 6ème rang mondial pour la recherche scientifique, nous sommes au 15ème seulement pour ce qui est de l'innovation. Nos entreprises ne tirent donc pas tout le profit qu'elles pourraient de l'excellence de notre recherche. Cette carence s'explique par la « cassure » traditionnelle entre universités, grandes écoles et sphère économique, mais aussi par la faible part de la recherche privée dans notre pays et par le manque de soutien à la valorisation de leurs inventions par les chercheurs.

Face à toutes ces limites, le projet de loi agit sur trois grands axes, mais sans aller assez loin il me semble.

Il cherche en premier lieu à améliorer la gouvernance et la simplification. Une stratégie nationale de la recherche (SNR), déclinée en huit thématiques, est mise en place. Je vous proposerai de l'étendre au transfert, pour avoir une stratégie nationale de la recherche et du transfert (SNRT), ce qui irait de pair avec la volonté de la ministre en charge de la recherche d'en faire un volet important du texte.

Un Conseil stratégique de la recherche (CSR) est installé près du Premier ministre afin d'élaborer, d'appliquer et d'évaluer cet agenda stratégique ; il comprend deux parlementaires. Le Haut conseil des sciences et technologies (HCST), peu utilisé, est supprimé, tandis que le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie (CSRT) est fondu avec le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER).

À l'échelon territorial, un schéma régional de la recherche et de l'innovation est créé ; je vous proposerai de mieux y associer les collectivités autres que la région, tels que les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Par ailleurs, les PRES sont supprimés au profit d'un nouveau type de regroupements : les communautés d'universités et d'établissements. Celles-ci contractualiseront à la fois avec l'État et avec chacune de leurs entités autour de projets communs. Je vous proposerai de consacrer le statut de confédération, qui leur apporterait plus de souplesse et prend en compte les spécificités locales, et de sécuriser leurs statuts par un vote à la majorité qualifiée des deux-tiers.

Le deuxième axe du projet de loi concerne l'évaluation. Le texte met fin à l'AERES et la remplace par une nouvelle autorité administrative indépendante : le Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES), qui comprend deux parlementaires. Il validera des procédures d'évaluation menées par des instances tierces, ou procèdera lui-même à l'évaluation si un blocage survient. Il évaluera à la fois les équipes de recherche et les formations et diplômes.

Les auditions ont fait apparaître l'incohérence d'une telle suppression de l'AERES. Son activité d'évaluation externe est acceptée sur le principe par tout le monde désormais, et ses méthodes sont de mieux en mieux perçues par la communauté scientifique. Elle a obtenu une importante accréditation à l'échelle européenne et acquis une réputation à l'échelle internationale. La remplacer par une nouvelle entité engendrerait de coûts importants et retarderait les évaluations à venir. Il nous a semblé, à ma collègue rapporteure pour la commission de la culture, Mme Dominique Gillot, et moi-même, qu'il valait mieux conserver l'AERES - notamment sa dénomination - tout en la faisant profiter des évolutions positives qui sont contenues dans le texte. Aussi je vous proposerai plusieurs amendements en ce sens.

Le dernier grand volet du texte concerne le transfert de la recherche vers le monde économique. Plusieurs articles en font un objectif général de l'enseignement supérieur et de la recherche et introduisent la notion d'innovation. On ne peut qu'y être favorable, même si cela ne fait qu'élever au niveau législatif des dispositions qui ont aujourd'hui valeur règlementaire.

Outre ces dispositions déclaratoires, le texte contient une seule mesure opérationnelle en matière de transfert. À l'article 55, il oblige les chercheurs publics à déclarer leurs inventions à leurs employeurs, et ces derniers à les breveter, puis à les valoriser, en priorité auprès de petites et moyennes entreprises (PME) qui les exploiteront sur le territoire européen.

Or, il est nettement ressorti de nos auditions que cette disposition posait problème. Certes, nous comprenons et approuvons entièrement son objectif, qui est de soutenir nos PME européennes en les rendant plus innovantes. D'un point de vue juridique cependant, cette disposition contrevient au droit communautaire et à celui de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), car elle introduit une discrimination selon le type d'entreprise et constitue un obstacle aux échanges.

Mais surtout, elle s'avèrerait totalement contreproductive : en effet, 80 % environ des entreprises qui licencient nos brevets sont à la fois des entreprises de taille intermédiaire (ETI) ou des grandes entreprises, et situées à l'extérieur de l'Union européenne. La mesure nous empêcherait donc de valoriser la majeure partie de notre recherche en aval, ce qui serait pour elle autant de ressources en moins. Et ce alors que l'État se désengage de plus en plus de leur financement, en leur demandant d'y pourvoir elles-mêmes. Des organismes tels que la Caisse des dépôts et France Brevets ont été très clairs quant à ces risques. Aussi je vous proposerai de supprimer la partie litigieuse de l'article 55.

S'agissant de brevets, je vous proposerai également, à l'initiative de notre président Daniel Raoul, de ratifier l'accord européen prévoyant le brevet unitaire, qui simplifiera le quotidien de nos chercheurs et de nos entreprises. Le président de l'Office européen des brevets, que nous avions auditionné il y a quelques temps, avait attiré notre attention sur l'importance pour notre pays, qui accueillera la juridiction européenne unifiée des brevets, de ratifier cet accord dans les meilleurs délais.

Enfin, je vous proposerai d'étendre le bénéfice des contrats de travail à durée déterminée à objet défini, qui est expérimental et doit normalement s'arrêter au 26 juin prochain, pour une période d'un an, En effet, ce type de contrat permet très utilement à des organismes de recherche de recruter des ingénieurs et des cadres pour une durée comprise entre 18 et 36 mois. Or, il n'est pas prévu qu'il soit reconduit, faute d'avoir d'une évaluation pourtant attendue.

Au final, ce texte laisse donc une impression mitigée.

Il comporte des avancées indéniables, que ce soit en ce qui concerne la réussite étudiante - même si elle ne relève pas de notre compétence -, la gouvernance de la recherche ou encore son évaluation, dès lors que l'on s'accorde à préserver l'AERES en la faisant évoluer. Il a par ailleurs été enrichi par nos collègues députés, notamment en confortant le statut des jeunes chercheurs auprès des entreprises et de la haute administration, ou encore en prévoyant une modalité d'association des établissements d'enseignement supérieur et de recherche aux communautés de site.

Dans le même temps, ce projet de loi ne bouleverse pas fondamentalement les choses, et ne propose souvent que des retouches cosmétiques à des dispositifs déjà existants. En outre, il n'aborde pas des enjeux importants. La place de l'Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance la recherche sur projets et dont les dotations de l'État diminuent au profit des organismes de recherche, n'est pas évoquée, pas plus que celle des multiples structures créées dans le cadre du programme « investissements d'avenir » (PIA), qui auraient naturellement trouvé leur place dans les communautés de site remplaçant les PRES.

Aussi je vous proposerai d'adopter un certain nombre d'amendements améliorant le projet de loi dans sa partie « recherche » et « gouvernance ». Pour le reste, et du fait de ces éléments mitigés, je m'abstiendrai personnellement lors du vote sur l'ensemble du texte en séance.

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