C’est que vous avez tout dit, sur la position du Gouvernement, sur les apports de la navette parlementaire et in fine sur Guy Carcassonne, ami très cher, virtuose du droit constitutionnel et amoureux du Parlement qui, par son sens aigu de la pédagogie, nous incitait à aimer le droit, pour lui indissociable de l’humanisme.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la rapporteur, mes chers collègues, alors que nous évoquons Guy Carcassonne, le Sénat est appelé à se prononcer sur un texte quelque peu étrange, l’article 11 de la Constitution, sur lequel M. Hugues Portelli, autre grand connaisseur du droit constitutionnel, ne manquera pas de nous apporter ses lumières.
Les sénateurs du groupe socialiste, et de la gauche en général, n’ont pas voté la révision constitutionnelle, et ce pour de nombreuses raisons. Et, plus je réfléchis, plus je trouve singulier cet article 11.
Nombre de nos concitoyens, en toute bonne foi, pourraient avoir compris qu’il s’agissait d’introduire dans notre droit la procédure du référendum d’initiative populaire, bien souvent évoqué dans nos débats. Or, à la lecture du texte, on constate qu’il n’en est rien.
L’article 11 fait partie de notre Constitution. À ce titre, nous devons le respecter. Je considère toutefois qu’il s’agit d’un faux-semblant, d’un trompe-l’œil, comme ces murs que l’on peint pour donner l’illusion d’une représentation, d’une perspective, d’une sculpture, alors qu’il n’y a rien d’autre qu’un mirage.
En effet, l’article 11 prévoit non pas un référendum d’initiative populaire, mais un référendum d’initiative partagée. Il faut qu’un cinquième des membres du Parlement et un dixième du corps électoral, c’est-à-dire 4, 5 millions de personnes – ce n’est pas rien ! – se mettent d’accord sur une proposition de loi.
Dès lors qu’un cinquième des parlementaires auraient souscrit à une proposition, et que celle-ci aurait été ratifiée par un dixième des électeurs inscrits, on pourrait naïvement penser que la procédure déboucherait nécessairement sur l’organisation d’un référendum. Eh bien non ! Et c’est là que réside le faux-semblant, le faux-fuyant, le trompe-l’œil.
Je le rappelle, à l’occasion de la discussion récente d’un projet de loi, sur un sujet intéressant particulièrement nos concitoyens, discussion au cours de laquelle vous vous êtes illustrée, madame le garde des sceaux, le Conseil économique, social et environnemental avait reçu à peine un million de signatures. Imaginez, mes chers collègues, l’effort qu’il faudrait réaliser pour en obtenir 4, 5 millions !
Lorsque les conditions sont remplies, l’article 11 de la Constitution prévoit, et c’est ce que nombre de nos concitoyens n’ont pas compris, que le Parlement est invité à parler du sujet. Et le Président de la République ne peut organiser un référendum que si le Sénat et l’Assemblée nationale décident de ne pas parler du sujet.
Or, comme il existe six groupes politiques dans chaque assemblée, disposant chacun des moyens d’obtenir l’inscription du texte à l’ordre du jour – dans le temps réservé, par exemple – et comme le Gouvernement jouit, en outre, du même droit, il est fort peu probable qu’un sujet intéressant 4, 5 millions de Français ne soit pas inscrit à l’ordre du jour d’une assemblée et de l’autre.
Dans ces conditions, les chances pour que le Président de la République puisse organiser un référendum sont infimes.
La France est sans doute l’un des seuls États à connaître dans sa loi fondamentale des dispositions aussi singulières. Je suis persuadé que M. Portelli nous expliquera l’intérêt de l’article 11, mais, pour ma part, j’ai du mal, je l’avoue, à le percevoir.
Si, à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, une proposition de loi recueille la signature d’un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, il suffit que celle-ci soit « examinée » par le Parlement pour que le Président de la République ne puisse plus rien faire. Il n’a pas le droit d’organiser un référendum sur cette base : voilà une procédure bien étrange !
Je me suis même interrogé, dans la mesure où de nombreux sujets sollicitent notre attention, sur les raisons qui ont conduit le groupe UMP a demandé que ces deux projets de loi soient de nouveau inscrits à l’ordre du jour.