Intervention de Jacques Mézard

Réunion du 12 juin 2013 à 14h30
Application de l'article 11 de la constitution — Adoption en deuxième lecture d'un projet de loi organique et d'un projet de loi dans les textes de la commission

Photo de Jacques MézardJacques Mézard :

En effet, cet ersatz de consultation des citoyens est, au mieux, un faux-semblant, en tout cas un faux nez. Mes chers collègues, nous savons bien que les conditions requises pour déclencher ce référendum ne pourront quasiment jamais être réunies dans la réalité : une proposition de loi cosignée par un cinquième des parlementaires, appuyée par quatre millions et demi d’électeurs ? La barre bien trop haute pour être crédible !

Nous l’avions exposé en première lecture, ce nouvel outil a toutes les chances d’être réservé aux deux grands partis dominant chaque camp du paysage politique, héritage du système bipartisan de la Ve République. Le cinquième des membres du Parlement dont la signature est nécessaire correspond ainsi aujourd’hui à 185 parlementaires, effectif que deux partis seulement, hélas, sont en mesure de réunir. Cela en dit long sur l’impossibilité, malheureusement, d’échapper aujourd’hui au fait majoritaire, inscrit dans les gènes des institutions de la Ve République. Vous comprendrez naturellement que les groupes minoritaires le constatent sans enthousiasme !

En outre, le dispositif tel que conçu ab initio rend très improbable la convocation par le chef de l’État d’un référendum, dans la mesure où la simple adoption d’une motion de rejet vaut « examen » par une assemblée, au sens de la loi organique. À quoi assisterons-nous alors, sinon à une instrumentalisation de la question référendaire, transformée pour l’occasion en tribune médiatique, ce qui en dit long, une nouvelle fois, sur les potentialités de dévoiement auxquels risque de conduire son utilisation ?

Parallèlement, nous craignons tout autant que la campagne médiatique qui ne manquera pas d’être organisée autour de la collecte de signatures ne soit l’occasion, pour des lobbys bien financés, de s’instiller dans ce qui ne devrait rester qu’un débat démocratique. Argent et chose publique n’ont jamais fait bon ménage, et nous risquons ici d’ouvrir une boîte de Pandore.

Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous, nous faisons d’abord confiance à l’expression du suffrage universel, dont nous émanons. Nous estimons que la démocratie représentative est le meilleur instrument pour conduire le débat public, ce qui ne signifie pas que nous devons nous couper de nos concitoyens, ou nous abstenir de tenir compte de ce qu’ils expriment, cela va de soi.

En tout état de cause, le Sénat et l’Assemblée nationale sont d’autant plus en accord sur la plupart des dispositions de ces deux textes qu’elles ne seront pas appliquées. Comme le relevait le rapporteur, les principaux points de divergence portent sur les modalités de recueil et de contrôle des signatures. Pour notre part, nous soutiendrons la position, sage, une fois de plus, de la commission des lois, qui s’en tient à une approche plus rigoureuse de la lettre de la Constitution.

Il ne nous paraît en effet guère utile de créer une nouvelle commission de contrôle ad hoc, au moment même où nous parachevons l’unification du contentieux référendaire, sous l’égide du Conseil constitutionnel. Il n’est pas pertinent de multiplier les instances, alors que la mission pourra être remplie par le Conseil.

Nous approuvons tout autant la faculté, réintroduite par le Sénat à l’article 4 de la loi organique, de permettre le recueil des signatures des électeurs sur papier. N’oublions pas que la fracture numérique demeure une réalité dans de nombreux territoires. En outre, l’utilisation récente du vote numérique durant les primaires d’un grand parti à Paris n’a pas proposé un exemple très pertinent de l’adéquation de l’outil à la démocratie…

Nous nous félicitons également que l’Assemblée nationale ait suivi le Sénat sur la question de l’encadrement du financement des opérations de soutien ou d’opposition au recueil de signatures. Il nous semble ainsi fondamental, afin d’éviter les dérives auxquelles je faisais référence, que la loi encadre strictement ces mouvements financiers, de sorte que le débat démocratique ne soit pas altéré par la défense d’intérêts catégoriels contraires à l’intérêt général. Nous approuvons tout autant la restriction de la possibilité de financer ces campagnes aux seuls partis et groupements politiques.

Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, il aura fallu attendre près de cinq ans depuis la réforme constitutionnelle de 2008 pour que soit enfin discutée cette mesure d’application du nouveau texte de la loi fondamentale. C’est d’autant plus regrettable que ceux qui en avaient eu la possibilité n’en ont pas fait usage. Cela ne les a pourtant pas retenus, il y a peu, d’en appeler au référendum pour empêcher le Parlement de se prononcer souverainement sur un récent projet de loi très médiatisé. Un minimum de cohérence eût été bienvenu !

Pour notre part, avec toute la prudence qu’impose l’usage du référendum, nous estimons que la commission des lois, en s’en tenant strictement, et prudemment, à la lettre de la Constitution, a fait preuve de sagesse. C’est pourquoi nous approuverons ces textes.

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