Intervention de Roland Courteau

Réunion du 12 juin 2013 à 14h30
Débat sur la pollution en méditerranée : état et perspectives à l'horizon 2030

Photo de Roland CourteauRoland Courteau :

de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat fait suite au rapport que j’ai présenté à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques il y a deux ans et intitulé : « La pollution de la Méditerranée : état et perspectives à l’horizon 2030 ».

Le bilan de mon étude, qui s’est nourrie de l’audition de plus de 200 chercheurs, scientifiques et acteurs de terrain, en France et dans les pays du pourtour méditerranéen, s’avère particulièrement préoccupant.

La Méditerranée apparaît en effet beaucoup plus fragile que l’océan. Elle constitue un espace clos, dont les eaux se renouvellent en un siècle.

La pression démographique, la course à l’urbanisation, l’ombre portée des pollutions passées et le développement des activités terrestres soumettent la Méditerranée à des pressions convergentes.

Je pense aux contaminants chimiques, dont certaines molécules, comme les polychlorobiphényles, les PCB, résident toujours dans le lit des fleuves et sont périodiquement relarguées à l’occasion des épisodes de crue.

Je pense aux apports réguliers de nitrates et de phosphates : de 60 % à 80 % des populations de la rive sud du bassin ne sont pas reliées à des réseaux d’assainissement ou sont desservies par des systèmes d’épuration incomplets ou au fonctionnement intermittent.

Je pense aux pollutions émergentes, en particulier celles qui sont dues aux produits pharmaceutiques.

Je pense à la poussée des phytotoxines dans les 650 lagunes du bassin.

Je pense – vous allez me dire que cela commence à faire beaucoup – aux macro- et microplastiques qui font courir le risque d’une polymérisation de la mer. Les derniers relevés effectués par l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, l’IFREMER, nous enseignent qu’il existe un nouvel « alien » dans ce domaine : les fibres de vêtements. Il s’agit là d’une véritable bombe à retardement.

Permettez-moi de m’attarder sur ce dernier point.

On produit dans le monde 300 millions de tonnes de plastiques par an, et 83 % des déchets flottants sont en plastique. Les résidus de plastiques sont dangereux pour les oiseaux, les mammifères marins et les tortues, qui confondent les sacs en plastique dérivants avec des méduses.

Il y a pire : ces sacs se fragmentent en morceaux particulièrement petits, de l’ordre de quelques dizaines ou centaines de microns. Certaines espèces les absorbent, les confondant avec le phytoplancton ou le zooplancton, et en crèvent !

Selon Bruno Dumontet, chef de l’expédition MED, Méditerranée en danger, le nombre de ces microdéchets s’élève à environ 115 000 par kilomètre carré, avec des pointes à 892 000 par kilomètre carré, sur une colonne d’eau de dix à quinze centimètres. C’est effectivement une bombe à retardement !

Les Français utilisent 18 milliards de sacs en plastique par an. Plusieurs pays dans le monde ont interdit la production, la vente et l’usage de ce type d’emballage. D’autres, comme l’Irlande, ont mis en place une taxe sur chaque sac en plastique, faisant ainsi chuter de 90 % l’utilisation de ces sacs à usage unique. L’Union européenne s’apprête à prendre des initiatives, si j’en crois les propos tenus récemment à Dublin par certains responsables.

En France, la loi d’orientation agricole du 5 janvier 2006 avait prévu qu’un décret fixerait les conditions d’interdiction des sacs en plastique non biodégradables, mais la Commission européenne a déclaré le décret en question non conforme à la directive 94/62 CE relative aux emballages et aux déchets d’emballages.

Toutefois, l’examen de l’article 47 du projet de loi de finances rectificative de 2010 a permis l’instauration d’une taxe générale sur les activités polluantes, ou TGAP, sur les sacs de caisse à usage unique, à compter du 1er janvier 2014.

J’aurai prochainement l’occasion de revenir sur la rédaction de ce décret, qui devrait viser l’ensemble des sacs en plastique à usage unique mis à la disposition des consommateurs.

Monsieur le ministre, à cet ensemble de menaces telluriques, il faut ajouter les rejets d’hydrocarbures dus à un trafic maritime en progression constante et la menace potentielle représentée par des plateformes d’exploitation pétrolière qui ne sont pas toujours récentes et dont il est parfois difficile, voire impossible, de connaître l’âge et l’état.

Comment ne pas s’insurger contre ces capitaines voyous des mers qui dégazent ou déballastent en mer ?

En principe, l’ensemble des résidus d’hydrocarbures doivent être évacués dans les ports et traités dans des installations ad hoc.

Or, par manque de temps – le coût d’immobilisation d’un navire est élevé –, insuffisance d’équipement portuaire ou choix délibéré, une partie de ces résidus est déversée en mer. Dans l’indifférence générale, de 150 000 à 200 000 tonnes sont répandues en mer chaque année, ce qui représente bien plus que les marées noires consécutives aux naufrages du Prestige ou de l’Erika !

Au sujet des risques d’accidents ou de naufrages, j’ai pu rencontrer les responsables de l’Organisation maritime internationale à Londres, en 2011, et plaider en faveur des installations de sécurité passive embarquées.

Il s’agit en fait de préparer les navires pour l’intervention des sauveteurs en cas de naufrage. Ce sont en quelque sorte des dispositifs de vidage d’urgence des cuves réservoirs, installés directement à bord des navires.

Ces circuits de sécurité sont immédiatement accessibles, au cas où le navire serait coulé par grande profondeur, d’où un important gain de temps, qui permet de limiter les fuites, et donc les pollutions par hydrocarbures, comme a pu le démontrer le Centre de documentation, de recherche et d’expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux, le CEDRE.

Il me paraît important et urgent de faire avancer la mise en œuvre de tels dispositifs, notamment auprès de l’OMI, afin qu’ils soient généralisés.

Je sais que la France, par l’intermédiaire de la Direction des affaires maritimes, a déposé un projet d’amendement au sein du sous-comité de l’OMI, visant à réduire les conséquences d’un accident en mer dans les régions polaires, zones fragiles et difficiles d’accès.

Il me paraît particulièrement urgent que cette démarche, pour l’instant limitée aux régions polaires, puisse être élargie à tous les navires, notamment à ceux qui circulent dans les mers semi-fermées comme la Méditerranée.

J’en viens à un autre problème : les conséquences du changement climatique.

Si nous pouvons dès à présent identifier les effets du réchauffement des eaux et de la baisse attendue de la pluviométrie, d’autres évolutions plus menaçantes encore ont été évoquées par les scientifiques que j’ai entendus.

Il s’agit notamment de la modification de la circulation des courants, de la remontée, suite au réchauffement des eaux, et donc de l’affaiblissement, des couches primaires de phytoplancton qui sont à la base de la chaîne alimentaire, ou encore de l’acidification du milieu marin, avec les problèmes de calcification qu’elle induit pour les espèces.

Au cours des travaux préparatoires à la rédaction de mon rapport, j’avais été frappé par la richesse et la diversité des recherches sur les milieux méditerranéens. Mais j’ai constaté également qu’il existe un certain cloisonnement de ces études, aussi bien entre des organismes français qu’entre nos instituts de recherche et leurs homologues étrangers. Plus de coopération ne nuirait pas, notamment en raison de la particularité de la Méditerranée, qui nécessiterait des recherches spécifiques et mieux coordonnées.

C’est la raison pour laquelle je me réjouis que, depuis la parution de mon rapport, le programme MISTRALS, Mediterranean Integrated Studies at Regional and Local Scales, ait permis de regrouper, selon un horizon décennal, treize organismes de recherche français. Ceux-ci observent et cherchent à comprendre le fonctionnement environnemental du bassin méditerranéen dans la perspective du changement climatique, qui pourra produire des effets plus rapides et plus déséquilibrants sur ce bassin que sur l’océan.

Mais cela laisse quelques questions en suspens, car il nous faut progresser dans l’élaboration d’un véritable mare nostrum scientifique.

Où en est-on de la préparation du huitième programme-cadre sur ce point ? En d’autres termes, les pays méditerranéens pourront-ils se regrouper, comme l’ont fait ceux riverains de la Baltique, qui ont obtenu une enveloppe dédiée de 50 millions d’euros au titre du septième programme-cadre ?

Quels axes de recherche seront envisagés ? Sur ce point, je ferai deux observations : d’une part, les recherches sur les milieux marins sont un parent pauvre ; d’autre part, les recherches sur la pollution sont très défavorisées, au regard de celles qui sont entreprises sur le changement climatique.

Or, selon les spécialistes de la biodiversité, plus le milieu naturel est préservé, plus il réussira à s’adapter aux évolutions climatiques. En revanche, plus le milieu naturel est fragilisé par les pollutions, plus il aura de difficultés à s’adapter. Il est donc nécessaire d’étudier les pollutions du milieu pour mieux le protéger des effets du changement climatique.

De même, il me paraît important de réactiver la création d’aires marines protégées, en France mais surtout dans l’ensemble de l’espace méditerranéen.

En France, nous avons notamment le parc naturel méditerranéen de Porquerolles et celui de la Côte Vermeille, si cher à Christian Bourquin, qui a d’ailleurs récemment créé le parlement de la mer en Languedoc-Roussillon. Mais, sur l’ensemble du bassin, les aires spécialement protégées d’importance méditerranéenne, ou ASPIM, sont trop peu nombreuses.

Autre sujet de préoccupation : dans mon rapport, j’avais constaté que l’écart de pollution s’accroissait entre les rives sud et nord, en dépit des efforts réalisés dans le cadre de la convention de Barcelone, et que l’Union pour la Méditerranée était politiquement « encalminée » par la règle de l’unanimité de décision.

À l’occasion de l’audition publique que j’ai organisée en avril dernier dans le cadre des travaux de l’OPECST, on m’a fait part des progrès accomplis, principalement dans le cadre de la réunion des ambassadeurs auprès de l’UPM. Mais il s’agit là d’avancées très lentes.

J’avais formulé une proposition : créer au sein de l’UPM une agence de l’environnement fonctionnant sur la base du volontariat et selon des règles de majorité simple. Cette proposition est toujours d’actualité.

Monsieur le ministre, j’aimerais connaître votre sentiment sur l’ensemble des points que je viens d’aborder, et plus particulièrement sur ma proposition de créer une agence de l’environnement, qui est l’une des dix figurant dans le rapport que j’ai produit dans le cadre des travaux de l’OPECST.

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