Intervention de Ronan Dantec

Réunion du 12 juin 2013 à 14h30
Débat sur la pollution en méditerranée : état et perspectives à l'horizon 2030

Photo de Ronan DantecRonan Dantec :

Je tiens tout d’abord à saluer l’excellent travail que vous avez réalisé, monsieur Courteau. Quand votre rapport a été rendu public, voilà deux ans, vous avez indiqué qu’il s’agissait de pousser « un cri d’alarme avant qu’il ne soit trop tard ». Il nous est enfin donné aujourd’hui l’occasion d’en débattre.

La Méditerranée est un berceau de civilisations. De l’Antiquité à nos jours, l’homme a su apprécier et vanter ses richesses et ses beautés. Elle est ce creuset d’un imaginaire collectif où se croisent les voyages d’Ulysse et ceux de Sinbad. Elle abrite également un trésor, sa biodiversité exceptionnelle : elle renferme de 7 % à 8 % des espèces marines connues dans le monde, alors qu’elle représente seulement 0, 3 % du volume des eaux océaniques.

Je n’aurai pas le temps de revenir sur toutes les sources de pollution que Roland Courteau a décrites, dont bon nombre requièrent un traitement urgent.

J’aborderai, dans un premier temps, quelques sujets majeurs de préoccupation relatifs au littoral français, sur lesquels nous sommes donc en mesure d’agir directement.

Pour ce qui concerne tout d’abord les forages offshore, les écologistes se félicitent de l’annulation récente et, je l’espère, définitive – peut-être nous le confirmerez-vous, monsieur le ministre – du permis exclusif de recherche d’hydrocarbures liquides et gazeux dit « Rhône-Maritime ». En revanche, la création par décret, au mois d’octobre dernier, d’une zone économique exclusive, ou ZEE, se substituant à la zone de protection écologique créée en 2003 et pouvant permettre l’installation de plateformes de forage, nous inquiète beaucoup. Ce décret a été pris sans concertation, en particulier avec l’Espagne qui, quelques mois plus tard, a créé sa propre ZEE, recoupant en partie la ZEE française. Notre inquiétude est d’autant plus vive que, selon un article publié par La Provence voilà quelques jours, douze permis de prospection pétrolière ont déjà été accordés par l’Espagne, dont plus de la moitié concerne des zones situées à l’intérieur de la ZEE revendiquée par la France.

Nous souhaiterions savoir comment la France compte conduire les pourparlers avec l’Espagne sur la délimitation de ce territoire marin et, à horizon plus large, comment elle abordera la question du risque que représenterait l’installation de plateformes sur la côte catalane, si près des côtes françaises. Par ailleurs, nous ne perdons évidemment pas de vue le risque de voir « pousser » des plateformes sur le littoral français. Nous sommes très fortement mobilisés sur ce sujet, monsieur le ministre, et nous attendons de vous des réponses précises.

Est-il besoin de le souligner, l’installation de plateformes de forage en Méditerranée, « mer semi-fermée dont les eaux ne se renouvellent en moyenne qu’en un siècle », comme l’indique le rapport de Roland Courteau, représente un risque totalement démesuré.

Dans le même esprit, le projet de construction au large de l’île du Levant d’un centre d’essais techniques sur les méthodes de forage pétrolier en profondeur extrême, structure dont l’ouverture est prévue en 2014, nous conduit aussi à nous interroger. À ce jour, aucune étude d’impact n’a été réalisée. Monsieur le ministre, nous souhaitons vous faire part de notre opposition absolue à ce projet, compte tenu des dangers que sa réalisation ferait peser sur les populations du littoral, en particulier les cétacés, dans la mesure où il se situe en bordure du parc national de Port-Cros, classé en zone Natura 2000, et près du sanctuaire international Pelagos destiné à la protection des mammifères marins.

Un autre cas de pollution emblématique est celui des déversements de boues rouges de l’usine de Gardanne dans les calanques, devenues aujourd’hui parc national. Le rejet de ces résidus chargés en métaux lourds toxiques, issus de la fabrication d’alumine, sera interdit en 2015, mais qu’adviendra-t-il des millions de tonnes déversées depuis plus de quarante ans ?

Je n’ai malheureusement pas le temps d’aborder en détail les questions des eaux usées traitées par la station d’épuration Géolide et déversées en mer ouverte à partir de la calanque de Cortiou, des déchets drainés par le fleuve Huveaune ou des 3 000 navires qui transitent chaque année par le détroit des bouches de Bonifacio, qui comptent pourtant deux réserves naturelles.

Je préfère profiter des quelques minutes qui me restent pour souligner que la situation géographique de cette mer semi-fermée, trait d’union entre plusieurs continents, rend incontournable le renforcement de la coopération entre les États riverains dans le domaine de l’information et de l’évaluation – à ce propos, le rapport de M. Courteau évoque avec pertinence la nécessité de consolider une gouvernance scientifique –, comme dans celui de la prise de décision, qui, dans de nombreux cas, tels que la création d’aires marines protégées, n’a de sens que dans un cadre supranational.

Une grande partie des propositions formulées par Roland Courteau supposent une gouvernance supranationale –européenne ou mondiale –, dont l’instauration passe logiquement par une relance politique de l’Union pour la Méditerranée. Cette nécessité absolue d’un cadre supranational fort est aussi soulignée par l’Appel de Paris pour la haute mer lancé lors d’une conférence organisée par le CESE, le Conseil économique social et environnemental, au mois d’avril dernier.

Parallèlement, le développement de partenariats bilatéraux et de projets de coopération décentralisée portant sur le traitement de l’eau doit être vigoureusement encouragé. La France et ses collectivités territoriales sont déjà engagées dans un certain nombre de projets en Méditerranée, qui doivent être soutenus.

À cet égard, la semaine dernière, le maire de Beyrouth m’a parlé des projets franco-libanais en matière d’eau et d’assainissement. L’Agence française de développement contribue au développement des réseaux d’assainissement de plusieurs villes, notamment dans le Kesrouan. S’agissant de la coopération décentralisée, entre 2010 et 2012, un projet innovant a été mis en œuvre par le syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne, le SIAAP, la ville de Nogent-sur-Marne et trois fédérations de municipalités du Sud-Liban, afin d’accompagner celles-ci dans la définition d’une stratégie globale de gestion des eaux usées sur leur territoire.

Ce projet a été non seulement couronné de succès – les trois fédérations possèdent aujourd’hui un schéma directeur de gestion des eaux usées –, mais aussi amplifié, puisque les deux partenaires français ont lancé, pour la période 2013-2015, un programme d’appui au renforcement des capacités des municipalités libanaises dans le domaine de l’assainissement, mis en œuvre avec le soutien des ministères français des affaires étrangères et des affaires européennes, ainsi que du réseau mondial des villes, cités et gouvernements locaux unis.

Il me semblait intéressant de mettre en exergue de tels exemples, car on a trop facilement tendance à être pessimiste ou fataliste quant à l’avenir de la Méditerranée. Or c’est la conjugaison des actions concrètes que nous allons mener sur l’ensemble du bassin qui nous permettra d’apporter, demain, des réponses à la hauteur des enjeux. J’aurais aussi pu évoquer ces villes tunisiennes qui ont déjà pris en compte, dans leurs projets de développement, la montée des eaux liée au réchauffement climatique. Je ne suis pas sûr que les projets portuaires français prennent en considération cette donnée : peut-être devrions-nous nous inspirer de ce qui se pratique sur la rive sud de la Méditerranée…

Il est absolument nécessaire de développer une stratégie commune entre tous les peuples qui se partagent la Méditerranée. Nous devons donc renforcer les coopérations pour la préservation de ce bien public, de cet espace de vie commun.

Ce dialogue doit prendre en compte les questions économiques. Nous savons que des industries polluantes se sont installées sur la rive sud de la Méditerranée afin de produire à bas coût pour les pays de la rive nord. C’est particulièrement le cas de l’industrie textile.

Les pollutions observées en Méditerranée sont par conséquent en lien avec notre mode de consommation. C’est le même système qui a entraîné la catastrophe ayant tué plus de 1 000 personnes à Dacca, au mois d’avril, et qui contribue à la pollution de la Méditerranée.

Nous ne sauverons pas la Méditerranée et n’assumerons pas notre responsabilité sociale globale si nous n’élaborons pas des régulations économiques qui respectent les droits sociaux et l’environnement.

De ce point de vue, notre soutien déterminé au processus démocratique en cours sur la rive sud est tout à fait essentiel. J’insisterai particulièrement sur le soutien aux associations de protection de l’environnement qui se développent dans ces pays et qui auront un rôle fondamental à jouer.

La Méditerranée, creuset de civilisations, mais aussi caisse de résonance des désordres du monde, est l’un de nos horizons les plus proches. L’avenir commun des pays qui la bordent dépendra beaucoup de notre exemplarité et des réponses que nous apporterons en termes de renforcement des coopérations et d’invention de nouvelles régulations internationales. §

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