Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord saluer à mon tour l’excellent rapport de M. Courteau. Il ne pouvait que me passionner, moi qui suis née au bord de la Méditerranée et y vit encore.
Ce rapport a été rédigé au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui remplit parfaitement sa mission d’interface entre le Parlement et la communauté scientifique et technologique. En préambule, il y est souligné qu’il est difficile de définir l’état de la pollution de la Méditerranée et de prévoir son évolution dans les dix ou quinze années à venir. Cependant, si l’exercice est complexe, force est de constater que la pollution en Méditerranée s’est inexorablement accentuée au fil des décennies et que la situation est devenue de plus en plus préoccupante du fait de l’évolution défavorable des multiples facteurs de pollution.
Il me semble utile d’insister sur certains points forts, dont découlent les scénarios catastrophes présentés dans le rapport. En effet, ce sont ces scénarios qui donnent leur caractère d’urgence aux mesures préconisées, que j’aborderai avec l’éclairage de l’actualité, des évolutions intéressantes étant intervenues depuis la publication du rapport en 2011.
Le bilan est alarmant en raison de la géographie physique de la Méditerranée, mer encadrée de montagnes, souvent comparée à un grand lac. Cela a été dit, elle abrite 8 % des espèces maritimes connues, mais cette biodiversité est très fragile : plus de la moitié des espèces exploitées depuis des siècles ont aujourd’hui disparu.
Cette zone présente en outre des caractéristiques climatiques diverses, avec une faible pluviométrie sur la rive sud et des vents violents qui poussent les polluants industriels toujours vers cette même rive.
Le bilan est également alarmant en raison de caractéristiques humaines. La démographie a explosé sur les rives de la Méditerranée. En trente ans, la population d’ensemble des pays riverains a augmenté de 50 % : elle a crû de 14 % dans les pays de la rive nord et de 101 % dans les pays des rives est et sud. Cette disparité, il faut le souligner, est l’un des enjeux actuels en matière de pollution de la Méditerranée. En effet, le surpeuplement des régions côtières s’accélère, avec un développement urbain qui se traduit par la constitution de mégapoles comme Le Caire – de 15 millions à 16 millions d’habitants – et Istanbul – de 13 millions à 14 millions d’habitants –, ainsi que de métropoles européennes côtières telles que Barcelone, Marseille, Rome, Athènes, Gênes, Naples… À cela s’ajoutent quatre-vingt-cinq villes dont la population est comprise entre 300 000 et 1 million d’habitants.
Ce surpeuplement entraîne deux phénomènes dramatiques en matière de pollution : un accroissement des pollutions ménagères et municipales et une raréfaction des ressources en eau. C’est un point très important, car 180 millions d’habitants du bassin méditerranéen disposent aujourd’hui de moins de 1 000 mètres cubes d’eau par an, valeur constituant le seuil de pauvreté officiel en la matière.
Le bilan est également alarmant en raison des flux touristiques. La Méditerranée est la première destination du tourisme mondial, dont elle accueille 40 % des flux. Je souligne tout de même que les rives sud connaissent actuellement une légère mais notable désaffection : en 2012, le nombre de touristes a baissé de 10 %, et celui de touristes français de 30 %.
Le bilan est également alarmant en raison de la multiplication des pollutions industrielles. Le rapport est si complet que je n’insisterai pas sur ce sujet. Je rappellerai simplement que ces pollutions peuvent être anciennes, traditionnelles ou transférées. Dans tous les cas, elles sont dramatiques pour la Méditerranée.
Le bilan est également alarmant en raison de l’accroissement du trafic maritime. Mme Jouanno a parfaitement décrit cet aspect. Je me contenterai de revenir tout à l'heure sur un autre axe de ce trafic.
Le bilan est enfin alarmant en raison des effets du réchauffement climatique. Ce phénomène n’est certes pas spécifique au bassin méditerranéen, mais, dans cette zone, ses effets seront encore plus dommageables : non seulement la diminution des apports en eaux douces s’accentuera au fil des ans, mais ces dernières seront en outre davantage encore chargées de polluants. Quant à la salinité du milieu marin, elle menacera le bon fonctionnement de la chaîne alimentaire.
Les perspectives d’évolution de cette pollution ne sont pas encourageantes, bien au contraire. C’est pourquoi il est nécessaire de mettre en place de nouvelles politiques et d’adopter des dispositions concrètes. Le principal obstacle que nous devrons surmonter dans les années à venir est la difficulté d’harmoniser les politiques des États riverains, dont les identités et les économies sont extrêmement diverses. Rappelons que cinq pays africains, cinq pays asiatiques et onze pays européens sont riverains du bassin méditerranéen.
Je souhaite maintenant revenir sur certains points du rapport de M. Courteau, avec l’éclairage de l’actualité. Je voudrais surtout mettre l’accent sur les actions concrètes qui doivent être soutenues ; à cet égard, c’est évidemment à M. le ministre que je m’adresserai en priorité.
Nous le savons tous, l’émergence d’une prise de conscience internationale remonte à 1976, avec la Convention de Barcelone, qui vise à combattre et à éliminer la pollution en Méditerranée. Amendée en 1995, cette convention engage les vingt et un États riverains, rejoints en 2004 par l’Union européenne.
Dans le cadre de cette convention, un protocole dit « tellurique » a été signé pour protéger la mer Méditerranée de la pollution provenant de sources et d’activités terrestres, qui représente 80 % de l’ensemble de la pollution en Méditerranée. Or plusieurs actions concrètes prouvent que nous pouvons agir de manière efficace sur ce type de pollution. C’est ce qu’essaie de réaliser, depuis sa création en 1975, le plan d’action pour la méditerranée, le PAM, qui a développé un programme d’évaluation et de maîtrise de la pollution dans la région méditerranéenne, concernant notamment la pollution d’origine tellurique.
Plus contemporaines, l’initiative Horizon 2020 et l’Union pour la Méditerranée montrent que la préservation du domaine maritime et de l’environnement est actuellement au cœur des préoccupations européennes. Je pense qu’il est important de souligner que la pollution en Méditerranée préoccupe vraiment les États riverains, notamment la France.
L’initiative Horizon 2020 traduit la volonté de réduire les sources de pollution – émissions industrielles, déchets municipaux, eaux usées urbaines, etc. –, mais aussi d’aider les pays limitrophes à développer leurs propres outils de lutte contre la pollution.
Quant à l’UPM, qui a été créée en 2008 sous la présidence de Nicolas Sarkozy, elle a donné une nouvelle impulsion au partenariat entre les rives nord et sud de la Méditerranée, et placé la protection de cette mer au cœur des préoccupations des gouvernants.
Je souhaite insister tout particulièrement sur les relations bilatérales que la France entretient avec les pays du pourtour méditerranéen, car les pollutions méconnaissent les frontières. Il faut rendre hommage à l’action que mène la France via l’Agence française de développement et le Fonds français pour l’environnement mondial, qui est un instrument dédié au financement de projets environnementaux. Ces deux organismes interviennent activement dans les pays de la rive sud, notamment au Maroc, en Algérie et en Tunisie.
L’action de la France est confortée par des accords bilatéraux. À cet égard, je souhaite citer quelques évolutions positives postérieures à la rédaction du rapport de M. Courteau.
Ainsi, une nouvelle version de l’accord RAMOGE, signé en 1976 par les gouvernements français, monégasque et italien en vue de constituer une zone de prévention et de lutte contre les pollutions, en particulier – ce point est très important – contre les pollutions marines accidentelles, a été adoptée le 26 novembre 2012.
Par ailleurs, le Lion Plan organise la coopération entre la France et l’Espagne en cas de pollution marine accidentelle. Une démonstration de la mise en œuvre de ce plan a eu lieu le 6 juin 2013, c'est-à-dire il y a quelques jours. Elle a mis en évidence des résultats très positifs en matière de lutte contre les trafics de diverses sortes. On peut supposer que l’efficacité serait la même en cas de pollution accidentelle en Méditerranée, mais la comparaison est difficile, car la Méditerranée n’a pas de culture des accidents pétroliers.
Aussi sommes-nous en droit de nous interroger sur notre capacité à réagir rapidement s’il se produisait en Méditerranée une catastrophe semblable au naufrage de l’Amoco Cadiz. Or nous connaissons parfaitement les dangers que présente la circulation des grosses unités dans des passages particulièrement dangereux, par exemple les bouches de Bonifacio. Une telle catastrophe serait dramatique, sur le plan écologique, pour les magnifiques côtes de Corse et de Sardaigne.
Je voudrais encore évoquer l’accord Pelagos. Conclu en 1999 entre la France, la principauté de Monaco et l’Italie, il visait à créer en Méditerranée un sanctuaire de 87 500 kilomètres carrés pour les mammifères marins. Pelagos est une aire spécialement protégée d’importance méditerranéenne, une ASPIM, établie par le plan d’action pour la Méditerranée sous l’égide du Programme des Nations unies pour l’environnement, le PNUE.
Qu’en est-il aujourd'hui ? Côté français, Pelagos se porte bien. À ce jour, vingt-cinq communes et la métropole Nice Côte d’Azur ont signé cet accord ; la dernière adhésion est intervenue en janvier 2013. Il existe donc des actions concrètes intéressantes : il ne faut pas baisser les bras. Côté italien, vingt-six municipalités ont déjà adhéré et un nouveau secrétaire exécutif a pris ses fonctions à Gênes voilà quelques mois afin de redynamiser l’accord et de porter plus haut le destin du sanctuaire Pelagos.
Des actions particulièrement efficaces en faveur de la Méditerranée se déroulent actuellement. Il s’agit des contrats de baie, instruments d’intervention à l’échelle du bassin versant, qui ont pour objet de rassembler tous les acteurs de la vie du littoral pour préserver la qualité des eaux et des milieux aquatiques.
Dans mon département des Alpes-Maritimes, deux contrats de baie ont été signés récemment : le contrat de baie d’Azur a été signé en juin 2011 entre dix communes du littoral de l’est du département et a permis la mise en place de cinquante-cinq actions ; le contrat de baie des golfes de Lérins a été signé en juin 2013 entre douze communes de l’ouest du département et porte sur cent trente-trois actions.
Je tiens à souligner que ces contrats de baie témoignent d’une collaboration particulièrement opérationnelle entre les services de l’État, les agences de l’eau, les administrations et les collectivités territoriales.
Enfin, permettez-moi de saluer l’initiative du président du Parlement européen, également président en exercice de l’Assemblée parlementaire de l’Union pour la Méditerranée, Martin Schulz, qui a reçu les présidents des parlements des pays membres de l’Union pour la Méditerranée les 6 et 7 avril derniers, à Marseille.
Je tiens à lui rendre cet hommage, car ce sommet est capital : il constitue la première rencontre de haut niveau depuis le sommet de l’Union pour la Méditerranée en 2008 et, surtout, le premier rendez-vous politique après les révolutions arabes.
Ce sommet nous a rappelé qu’il convient d’améliorer la visibilité du cadre de coopération de l’Union pour la Méditerranée.
Je pense donc que des structures opérationnelles existent, contrairement à ce que semble indiquer le rapport de M. Courteau. À mon sens, il est urgent de les renforcer.
Pour conclure, j’insisterai sur la nécessité, pour la France, de renforcer son intervention auprès des autres pays riverains de la Méditerranée, particulièrement ceux de la rive sud, et d’œuvrer à l’harmonisation des législations.
La France peut certes se targuer d’être exemplaire en matière de lutte contre la pollution – il est vrai que de gros efforts sont faits et qu’elle est un modèle pour d’autres pays –, mais nos actions resteront peu fructueuses si nos voisins ne sont pas opérationnels.
Il est donc urgent de réagir face au drame qui se profile à l’horizon 2030 ! Monsieur le ministre, j’invite le Gouvernement à assurer les financements nécessaires et à honorer les engagements pris, car l’avenir des générations futures est entre les mains des gouvernements des États riverains de la Méditerranée. §