On me demande souvent pourquoi la Française des jeux a une équipe cycliste et continue à soutenir un sport qui fait régulièrement l'objet de scandales. Ma première réponse, c'est que le cyclisme est un sport populaire, que nous sommes une entreprise populaire, que le Tour de France est un grand évènement qui appartient au patrimoine sportif mondial.
Le cyclisme est aussi, avec la voile, l'une des rares disciplines dans lesquelles le sponsor donne son nom à l'équipe. Enfin, c'est un sport qui mérite que l'on se batte pour lui et pour le respect des règles qui doivent y présider.
Voilà dix-sept saisons que nous avons une équipe. Alors qu'au départ du Tour de France notre premier coureur se classait 76e, il arrivait 10e l'an dernier. C'est une mesure des progrès accomplis dans la lutte contre le dopage. Les premières années, il était impossible d'espérer un podium et les autres équipes se moquaient de nos coureurs, qui appliquaient les règles au pied de la lettre.
En donnant notre nom à notre équipe, nous avons voulu d'emblée en prendre le contrôle. Le sponsor n'est pas un simple financeur, il est responsable. Notre équipe est l'une des seules qui soit propriété de son sponsor, puisque notre participation directe est de 34 % tandis que l'association l'Échappée, qui dépend aussi de la Française des jeux, possède les 66 % restants. En cas de problème, c'est nous qui serions en première ligne, autant donc s'assurer du contrôle. Notre équipe peut compter sur le commissaire aux comptes de la Française des jeux, sur nos services juridiques et comptables. Son budget est de 11,6 millions, assuré, pour 9,5 millions, par la Française des jeux, et pour 1,2 million par Lapierre, qui fournit les vélos. Le conseil d'administration de la Française des jeux est systématiquement associé à notre engagement. Il émet des résolutions, certaines assorties de conditions. Ce fut le cas s'agissant du Pro Tour, pour lequel l'UCI (union cycliste internationale) nous avait sélectionnés, et auquel le conseil ne nous a autorisés à participer que sous réserve d'un strict respect des règles éthiques. L'équipe bénéficie d'une visibilité pluriannuelle, sur quatre ans.
Nous ne nous contentons pas d'un engagement marketing, mais pesons tant sur les règles du jeu que sur l'engagement sociétal, via la Fondation Française des jeux, qui accompagne de jeunes cyclistes dans leur parcours. Il est essentiel, pour un coureur, de disposer, dans le cadre du fameux « double projet », d'un bagage scolaire solide. C'est aussi un moyen de lutter contre le dopage. Emblématique, de ce point de vue, est le parcours de Jeremy Roy, sorti major de sa promotion d'ingénieur, ce qui lui assure pour l'avenir la possibilité d'une reconversion. Nous sommes soucieux d'accompagner nos coureurs dans leur double projet. Nous avons même embauché l'un de nos anciens coureurs dans notre équipe marketing, après ses études.
Le sponsor doit être actif, engagé. C'est nous qui nommons le directeur sportif et le médecin de l'équipe. Car le choix des personnes n'est pas neutre. Notre directeur sportif, Marc Madiot, est un ancien champion cycliste, compétent, loyal, actif. Quant au docteur Guillaume, il a été embauché en 1999 pour être le fer de lance de la prévention. L'un de nos entraîneurs, qui est un chercheur, travaille sur les profils des puissances record. Il s'agit d'accompagner la performance des coureurs, qui sont à leur zénith autour de 22 ans, en mesurant leur potentiel physique, pour savoir quel est leur maximum, et s'ils sont en retrait sur leur potentiel. Quand un coureur est au maximum de ses possibilités sur certains aspects, il travaille sur les autres. Les performances en course de nos coureurs s'expliquent ainsi par le potentiel de chacun d'eux, et non par l'absorption de quelque potion magique.
Il importe, aussi, que l'environnement soit vertueux. Cela passe par le mode de rémunération de l'encadrement. Jamais notre directeur sportif, et encore moins notre médecin sportif, n'ont été intéressés aux résultats. Ce n'est pas le cas dans toutes les équipes sportives.
Les coureurs cyclistes qui respectent les règles ne doivent pas être pénalisés. Avec notre appui, la ligue cycliste, a doté les coureurs d'une convention collective, qui engage des droits et des devoirs. Si aucune équipe n'est à l'abri d'une défaillance individuelle, toute défaillance collective s'explique, en revanche, par une chaîne de complicités et un défaut de surveillance. Quand on constate année après année des cas de dopage avérés dans une équipe, on ne peut l'expliquer autrement. Une défaillance unique, un seul « no show », l'absorption ponctuelle d'une substance, cela peut arriver, mais lorsque l'on est au-delà du cas individuel, cela dénonce une organisation.
En 2000, nous étions bien seuls dans notre combat. Peu à peu, toutes les équipes françaises se sont fédérées, puis quelques équipes étrangères nous ont rejoints. À l'initiative de Roger Legeay, alors à la tête de l'association internationale des groupes cyclistes professionnels, un plafond d'hématocrite a été fixé. Son successeur, Manolo Saiz, n'avait pas le même profil... Créé en 2007, le Mouvement pour un cyclisme crédible (MPCC) rassemble aujourd'hui onze des dix-neuf équipes de la division mondiale. Certaines ont été admises avec une période probatoire. Amaury sport organisation (ASO), organisatrice du Tour de France, nous a donné un coup de main formidable en déclarant qu'elle privilégierait dans sa sélection les équipes membres du MPCC. Nous sommes même allés au-delà des règles des organisations mondiales, en prenant des engagements plus stricts sur les corticoïdes ou en posant la règle de l'autoexclusion en cas de dopage, après deux défaillances.
Comment améliorer la situation ? Tout d'abord, grâce à une implication beaucoup plus forte des sponsors, qui doivent s'investir, regarder de près ce que l'équipe qui porte leur nom fait de leur argent. C'est pourquoi le sponsor, je l'ai dit, doit être actionnaire. En prenant, ensuite, des sanctions dissuasives et collectives, appliquées à l'équipe et aux dirigeants, quand les dérapages se répètent. Cela suppose de s'appuyer sur des contrôles inopinés, en faisant appel aux moyens d'investigation des forces de police. Je ne suis pas, pour autant, un maniaque des sanctions. Ne parler que de cela, ce n'est pas rendre service au sport ; il faut aussi valoriser les bonnes pratiques et les sportifs qui respectent les règles. C'est pourquoi je propose, depuis plusieurs années, d'instituer une notation sportive des équipes, des fédérations et des organisateurs d'épreuves. Ceux qui sont vertueux, qui s'impliquent dans la formation, dans l'intégration par le sport, doivent être mis en valeur. Heureusement ceux-là sont aujourd'hui beaucoup plus nombreux que ceux qui s'affranchissent des règles ; mettons-le en avant. L'initiative Athletes for Transparency, à laquelle a participé notre coureur Jérémy Roy qui, lors du Tour de France 2007, a rendu public, au quotidien, tous ses paramètres médicaux, va dans ce sens. Ceux qui n'ont rien à cacher n'ont pas peur de la transparence. En matière de prévention, le double projet compte aussi beaucoup.