Intervention de Geneviève Fioraso

Réunion du 19 juin 2013 à 14h30
Enseignement supérieur et recherche — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Geneviève Fioraso, ministre :

L’innovation pédagogique, c’est aussi le suivi individualisé, ce sont les projets professionnels personnalisés, la généralisation du tutorat, l’interaction entre enseignants et étudiants. À cet égard, nous connaissons tous les réussites du Québec où sont présents l’ensemble de ces éléments d’innovation pédagogique.

C’est enfin le numérique.

La France est très en retard dans l’introduction du numérique à l’université. Le Royaume-Uni, par exemple, a développé depuis quinze ans une université virtuelle qui figure parmi les cinq premières du pays en termes de qualité.

Nous devons progresser. Les articles 6 et 16 de ce texte introduisent l’obligation de rendre disponibles, sous forme numérique, la plupart des enseignements auxquels ce format est adapté.

Par ailleurs, un plan numérique ambitieux, France Université numérique, est en cours d’élaboration en partenariat avec des programmes européens et en cohérence avec le plan préparé par l’éducation nationale. Là encore, nous instaurons un continuum entre le secondaire et l’université.

J’ai aussi voulu que l’insertion professionnelle des étudiants, déjà inscrite dans la loi, soit traitée avec le même soin que les autres missions de l’enseignement supérieur et de la recherche. C’est la raison pour laquelle je souhaite doubler l’alternance.

Aujourd’hui, notre enseignement supérieur pratique 8 % d’alternance en moyenne et 4 % seulement à l’université, contre plus de 20 % en Allemagne.

Il est possible de multiplier ce chiffre par deux d’ici à 2020, puisque certaines universités françaises, beaucoup trop rares malheureusement, dépassent déjà les 20 % dès le premier cycle. Je pense, par exemple, à Marne-la-Vallée.

L’insertion professionnelle est également favorisée par les stages, que le projet de loi veut à la fois encourager et encadrer. Plutôt que de les concentrer en fin d’études, c’est-à-dire à un moment où ils retardent souvent l’embauche, je souhaite les développer en premier cycle, quand ils peuvent venir confirmer ou réorienter le projet de formation des étudiants.

Les dispositifs d’encadrement, qui en sont la contrepartie indispensable, ont été renforcés au cours des débats à l’Assemblée nationale : afin d’éviter les effets d’aubaine, les stages seront obligatoirement intégrés à une formation, limités à six mois. De plus, les étudiants devront être accompagnés dans leurs démarches de recherche par les universités. Cela permettra en outre de renforcer le lien entre universités et écosystèmes.

Enfin, chacun sait à quel point les conditions de vie des étudiants impactent leur parcours universitaire et leur réussite. Nous avons agi dès notre arrivée en augmentant de 7, 7 % le budget 2013 de la vie étudiante, en finançant durablement le dixième mois des bourses, dont le montant a été actualisé au niveau de l’inflation en 2012 et en 2013, et en lançant une étude sur l’impact des aides afin d’améliorer le dispositif global.

Pour augmenter l’offre de logement étudiant, tout à fait déficitaire, j’ai débloqué les plans campus et leur potentiel de 13 000 logements en diversifiant les procédures et j’ai engagé une programmation pour tenir l’engagement présidentiel de 40 000 logements étudiants supplémentaires en cinq ans, soit 8 000 par an - 20 000 sont déjà programmés.

Par ailleurs, le plan national pour la vie étudiante, actuellement en préparation, prévoit l’ouverture d’ici à la fin de l’année 2014 d’une trentaine de centres de santé universitaires et une réforme des aides directes aux étudiants.

Je viens d’évoquer notre première priorité, la réussite étudiante. Je voudrais maintenant vous parler de la seconde : notre ambition pour la recherche.

La recherche est au cœur du redressement de la France. Il ne s’agit pas d’une incantation : à chaque fois que je visite une entreprise dynamique - quelle que soit sa taille ou son ancienneté - ou que je rencontre une filière qui embauche, je constate que leur marche en avant est liée à l’innovation, laquelle provient la plupart du temps de notre recherche publique.

De même, quand je me rends dans les pays émergents ou en Europe, aux États-Unis ou au Japon, je vois à quel point la qualité de notre recherche fondamentale est reconnue et enviée et je comprends pourquoi des pays comme la Corée, Singapour, l’Inde, le Brésil font tant de propositions à nos chercheurs en recherche fondamentale. Nous devons donc protéger notre recherche, dans toute sa diversité.

Pour commencer, dès 2013, dans un contexte particulièrement contraint, l’enseignement supérieur et la recherche ont été préservés, avec une hausse globale de leur budget de 2, 2 % ; le rapport Gallois préconise de poursuivre ces efforts.

Il est donc de notre responsabilité d’entretenir ce patrimoine collectif précieux et c’est pour cela que l’État doit reprendre, avec les acteurs de la recherche, la maîtrise de son orientation et de sa programmation, qui ne doit pas être dévolue par défaut à une agence.

Notre objectif est d’assurer à notre pays sa place dans l’espace européen de la recherche. Nous pouvons être fiers de nos prix Nobel, de nos médailles Fields, fiers de nos contrats européens ERC – pour European Research Council ou Conseil européen de la recherche - pour les jeunes chercheurs, fiers de nos partenariats scientifiques internationaux dans tous les domaines.

Toutefois, si nous nous classons au sixième rang mondial pour la recherche scientifique, nous ne figurons, selon les critères, qu’entre le quinzième et le vingt-deuxième rang en matière d’innovation.

Ce fossé, que certains appellent « la vallée de la mort », illustre bien la tâche qu’il reste à accomplir pour traduire en emplois les formidables travaux et inventions de nos laboratoires.

Les supports de cette nouvelle ambition sont triples – et vous le constaterez au travers des articles 9, 10, 11, 12, 13 et 53 : définir un agenda stratégique de la recherche France Europe 2020, préserver la recherche fondamentale et développer le passage de l’invention à l’innovation, créatrice d’emplois, en reconnaissant le transfert.

Pour suppléer l’État, l’Agence nationale de la recherche - l’ANR - avait dû s’improviser depuis quelques années programmateur de la recherche en France. Pendant ce temps-là, le Royaume-Uni définissait son programme Eight Great Technologies, l’Allemagne, pourtant État fédéral, sa High Technology Strategy, le Japon son programme Rebirth Japan – une « renaissance » post-Fukushima - et les États-Unis leurs initiatives d’Advanced manufacturing, c’est-à-dire de réindustrialisation avancée et innovante.

Nous avons vu les premiers résultats de ces démarches extrêmement volontaristes de pays qui résistent mieux que nous à la crise. En anticipant sur le projet de loi, j’ai donc mandaté les cinq grandes Alliances - une bonne mesure qui fut instituée par mes prédécesseurs, je tiens à le souligner - pour la santé, l’environnement, l’énergie, le numérique et les sciences humaines et sociales. Je leur ai demandé, pour la première fois, de formuler d’ici à la fin de l’année les axes de recherche jusqu’en 2020 afin de répondre aux grands défis de notre pays en matière de santé, de sécurité alimentaire, de gestion sobre des ressources, d’adaptation au changement climatique, de transition énergétique, de mobilité et de villes durables, de développement de l’économie numérique et des technologies spatiales et enfin de réindustrialisation des territoires.

Ils formeront l’agenda stratégique de notre recherche France-Europe 2020, harmonisé avec le programme européen Horizon 2020. Le Conseil stratégique de la recherche coordonnera cet agenda, en lien avec le Premier Ministre et le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche ; il se substituera à deux conseils existants qui n’ont pas été sollicités et sera évalué et réorienté régulièrement, avec l’appui de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, afin de mieux partager ces enjeux décisifs.

Il ne s’agit pas pour autant, comme je l’ai entendu, de se fonder sur une conception utilitariste de la recherche. La recherche fondamentale, de long terme, risquée et exploratoire, produit un développement du savoir souvent imprévisible, voire imprédictible, mais qui a été à l’origine de toutes les ruptures majeures de nos sociétés. Je l’ai dit, elle reste l’un de nos points forts.

Je veux simplement rappeler que le CNRS est, de loin, le premier publiant au monde, avec plus de 120 000 publications par an, et des publications de grande qualité. Nous devons absolument préserver notre recherche fondamentale. Dès 2012, j’ai mis en place des programmes pluriannuels au sein de l’ANR et réorienté 60 millions d’euros d’appels à projets vers des crédits récurrents. De même, en amont, les recherches disciplinaires dans lesquelles nous excellons, par exemple la physique, les mathématiques ou les sciences humaines et sociales, seront protégées.

Notre faiblesse reste cependant le transfert, c’est-à-dire le passage de l’invention à l’innovation créatrice d’emplois. La part de notre recherche technologique, outil privilégié du transfert de la recherche vers l’industrie, est inférieure à 10 % de la dépense intérieure de recherche et développement, alors qu’en Allemagne, au Japon, aux États-Unis, en Corée, en Israël, elle dépasse 20 %.

L’innovation est à l’origine de 80 % des emplois créés aujourd’hui en Europe. Nous devons absolument l’encourager en France, et dans tous les secteurs. Cela va du milieu associatif à l’économie sociale et solidaire, mais aussi des milieux de la haute technologie à l’industrie, et ce quelle que soit la taille des entreprises dans lesquelles cette innovation est diffusée.

La loi sur l’innovation de 1999 avait inscrit, avec un vote unanime, la valorisation de la recherche, les brevets, le statut du chercheur créateur d’entreprise innovante dans notre droit positif. Je propose, en continuité et en complément, d’inscrire le transfert dans les missions du service public de la recherche, chaque fois que cela est possible.

De même, la formation à l’entreprenariat et, surtout, l’incitation à travailler en équipe vont être introduits dans le contenu des enseignements à l’université. Nous savons qu’il s’agit du point faible de notre système éducatif en général. Cette notion de transfert pourra d’ailleurs, au cours du débat, être élargie et précisée, j’y suis tout à fait ouverte.

L’article 55 du texte améliore l’accès aux brevets issus de recherches conduites sur fonds publics, avec une priorité donnée aux PME et à la diffusion en Europe. J’ai lancé, en parallèle, une action « LabCom » dont le but est de financer les projets partenariaux entre la recherche publique et cent PME à fort potentiel de croissance. Un plan Transfert, présenté en conseil des ministres en décembre dernier, complète la loi sur ce point.

Enfin, pour valoriser la recherche et susciter des vocations aujourd’hui trop rares – sait-on que 41 % de nos docteurs sont étrangers ? - le doctorat doit être reconnu à sa juste valeur.

Je souhaite que les entreprises s’appuient davantage sur les compétences de la recherche publique et accordent la place qu’ils méritent aux docteurs – des négociations sont en cours avec les branches professionnelles à ce sujet – et qu’ils accordent aussi à ces derniers le bénéfice de qualités assez rares - créativité, compétence de haut niveau, travail en profondeur, sens critique, autonomie dans le travail - en reconnaissant leur diplôme dans les grilles de compétences et de salaires.

L’État, de son côté, doit donner l’exemple. Ce projet de loi prévoit la reconnaissance du doctorat dans toute la grille de la fonction publique, qu’elle soit d’État, territoriale ou hospitalière, et facilite l’accès des docteurs aux corps de la haute fonction publique. Il y a des résistances, c’est indéniable, mais je crois qu’il faut savoir faire évoluer les choses au nom de l’intérêt général.

Une politique offensive de l’emploi scientifique vient en appui des ambitions de ce texte. Il ne s’agit pas d’une loi de programmation, certains le regrettent. Toutefois, notre politique ne fait pas l’impasse sur la question des moyens que nous mettons au service de nos priorités : la réussite des étudiants et la résorption de la précarité dans la recherche.

L’engagement présidentiel de 5 000 créations de postes dédiés à la réussite en premier cycle au cours du quinquennat est inscrit dans le projet de loi pluriannuel de décembre 2012, ainsi que dans le projet de loi sur la refondation de l’école de la République.

Un plan de résorption de la précarité, très volontariste, est engagé : 2 100 personnels des universités seront titularisés chaque année pendant quatre ans, de façon à résorber l’ensemble des postes précaires, 8 400 ; le recours de l’ANR aux contrats à durée déterminée a été plafonné pour éviter de reconstituer mécaniquement le flux des emplois précaires ; un agenda social a été mis en place avec les organismes, à qui nous avons demandé de maintenir un équilibre entre l’ouverture de postes pour les jeunes chercheurs, notamment pour insérer plus rapidement les « post-doc », et la titularisation de ceux qui enchaînent aujourd’hui CDD sur CDD.

Au service de la réussite étudiante et de la recherche, la loi veut enfin développer l’ouverture à l’international.

Afin de faire rayonner notre recherche et notre enseignement supérieur au niveau international, nous devons d’abord agir auprès de ces millions de jeunes qui seront demain des décideurs dans leur pays. C’est pour cela que la loi facilite l’organisation d’enseignements en langues étrangères dans nos universités.

Cette mesure a fait couler beaucoup d’encre mais le débat parlementaire a permis de prendre en compte et de lever bon nombre d’inquiétudes qui s’étaient exprimées.

Ce que nous voulons, c’est accueillir des jeunes qui ont une envie de France, des francophiles, pour qu’ils deviennent, in fine, des francophones. Nous ne devons pas faire de la maîtrise de notre langue un a priori ou une barrière. Il s’agira, en revanche, d’une condition pour l’obtention du diplôme, tandis que certains enseignements seront délivrés en partie en anglais pendant le premier temps des études.

Les grandes écoles l’ont bien compris : sur les 790 formations en anglais recensées, seules 190 sont dispensées à l’université. C’est pourtant là que les jeunes en auraient le plus besoin, car ils disposent de moins de réseaux et d’une moindre maîtrise des codes internationaux que leurs homologues inscrits dans les écoles.

La loi permettra ainsi de régulariser et d’équilibrer les dérogations à la loi Toubon, mais en aucun cas ne remettra en cause la primauté de l’enseignement en français, ni même la francophonie. Il s’agit, au contraire, d’élargir le socle de la francophonie auprès de jeunes, notamment des pays émergents, qui ne viennent pas aujourd’hui dans notre pays en raison de l’obstacle de la langue. Je pense en particulier à ceux qui veulent se diriger vers les formations scientifiques ; les littéraires, eux, font bien entendu l’effort d’apprendre notre langue.

C’est ainsi que nous soutiendrons le rayonnement de notre culture et que nous en multiplierons les ambassadeurs. Dans le même temps, j’ai engagé des partenariats plus équilibrés que par le passé avec les pays du Maghreb et de l’Afrique sub-saharienne pour consolider nos liens et, par là même, la base de la francophonie.

En conclusion – toute provisoire §ce projet de loi fixe un cap et veut redonner du souffle, de l’élan à l’enseignement supérieur et à la recherche dans notre pays.

Notre potentiel est immense dans nos territoires, nos établissements, nos laboratoires, parmi nos enseignants, nos chercheurs, mais aussi nos agents administratifs et techniques qui font vivre notre service public de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Oui, le monde que nous connaissons est en pleine mutation. Oui, la France doit faire face à des changements rapides et profonds, dictés par des équilibres internationaux nouveaux et qui nous lancent des défis sociaux, environnementaux et économiques tout à fait inédits. Oui, le Gouvernement a engagé un redressement national, porteur de solutions à tous ces défis.

Nous pouvons y parvenir : cela suppose de renforcer nos capacités de formation, de recherche et d’innovation en ayant pour principale préoccupation la préparation de l’avenir de notre jeunesse, celle d’aujourd’hui et de demain.

Ce projet de loi veut contribuer à construire une société de progrès, fondée sur la formation, la recherche et les valeurs d’universalité et d’humanisme qui les animent.

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