Intervention de Françoise Laborde

Réunion du 19 juin 2013 à 14h30
Enseignement supérieur et recherche — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Françoise LabordeFrançoise Laborde :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la délégation aux droits des femmes a examiné le projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche en s’attachant, conformément à sa saisine et à ses attributions, à la contribution que celui-ci peut apporter à l’amélioration de la place des femmes dans ce secteur.

Notre délégation est partie d’un constat : l’incontestable réussite scolaire des filles n’a pour l’instant guère battu en brèche les profondes inégalités entre les sexes qui marquent le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Le paradoxe est bien connu : les filles effectuent de meilleurs parcours scolaires ; elles sont plus nombreuses que les garçons à passer le baccalauréat et à suivre des études supérieures ; au sein d’une même classe d’âge, elles sont 54 % à être titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur, contre 39 % seulement des garçons. Mais elles n’effectuent pas les mêmes choix d’orientation, se concentrent sur un nombre assez limité de filières – des filières qui ne sont pas les plus porteuses -, et connaissent en fin de parcours des conditions d’insertion professionnelle plus difficiles et moins rémunératrices.

Une telle « ségrégation horizontale » les conduit, par exemple, à se détourner des études scientifiques et des écoles d’ingénieurs, même quand elles ont brillamment passé un bac scientifique. Ce phénomène se double d’une « ségrégation verticale » : la proportion de filles diminue aux différentes étapes des parcours universitaires. En 2011, elles constituaient 57 % des étudiants à l’université, mais seulement 47 % des doctorants, 42, 4 % des maîtres de conférences, 22, 6 % des professeurs d’université et 15 % des présidents d’université. Cette proportion s’est d’ailleurs réduite de moitié depuis ! Puissance du « plafond de verre »…

Le projet de loi qui nous est soumis témoigne d’une volonté de remédier à une telle situation, notamment grâce à un rééquilibrage dans la gouvernance de l’enseignement supérieur.

Notre délégation approuve les dispositions qui posent le principe de la composition paritaire de trois grandes instances chargées du pilotage et de l’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche : le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur et le Conseil stratégique de la recherche. Porteuses d’une forte charge symbolique, elles assureront une meilleure participation des femmes à la gouvernance du secteur à l’échelle nationale.

Cependant, nous souhaiterions – c’est l’objet de notre première recommandation – que l’obligation de parité s’applique également à la composition du conseil scientifique chargé d’assister le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur.

Nous nous réjouissons également des dispositions qui favorisent la parité dans la composition des conseils d’administration et des futurs conseils académiques de la plupart des établissements d’enseignement supérieur.

La parité sera favorisée, pour les membres élus de ces conseils, par l’obligation de constituer des listes composées alternativement d’un candidat de chaque sexe. C’est une mesure forte, importante sur le plan symbolique. Elle permettra une amélioration concrète de la proportion de femmes dans ces instances, même si l’on peut craindre que les têtes de liste ne restent majoritairement masculines.

L’Assemblée nationale a substitué le scrutin à un tour au scrutin à deux tours, prévu par le projet de loi initial et considéré à la marge comme plus favorable à la parité. Mais elle a aussi relevé à deux sièges la prime majoritaire pour la liste arrivée en tête, ce qui, avec les listes alternées, favorisera la parité. Ces deux modifications devraient plus ou moins se compenser. Nous n’avons donc pas demandé le retour au dispositif initial, mais nous avons recommandé à la commission de la culture de veiller au respect de ce nouvel équilibre, ce qu’elle a fait.

Nous approuvons évidemment le nouvel article 37 bis, adopté par l’Assemblée nationale, qui impose la parité dans la désignation des personnalités extérieures, ainsi que la disposition introduite à l’article 28 prévoyant la composition paritaire de la section du conseil académique compétente pour l’examen des questions individuelles. Mais nous ne pouvons pas accepter qu’une telle obligation cesse dès lors que la section examine des questions relatives aux professeurs d’université. Nous avons donc formulé une recommandation pour que l’exception soit supprimée.

Notre délégation a porté une attention particulière au champ d’application des mécanismes paritaires. Ils concernent évidemment les universités, mais aussi les autres établissements d’enseignement supérieur régis par le titre Ier du livre VII du code de l’éducation, qui ont des règles particulières d’organisation, précisées par voie réglementaire. Nous avons donc demandé au Gouvernement de modifier leurs décrets statutaires pour que ces garanties paritaires s’appliquent aussi à leurs conseils centraux.

En revanche, nous avons relevé que ces dispositions n’avaient pas vocation à s’appliquer aux établissements relevant des autres titres du livre VII, notamment aux établissements d’enseignement supérieur spécialisés : écoles d’architecture, écoles de santé publique, écoles d’enseignements artistiques.

Madame la ministre, je vous ai interrogée sur ce point lors de votre audition devant la commission de la culture. Vous nous avez expliqué qu’il n’avait pas été possible d’étendre dans l’immédiat de telles obligations à ces établissements, car ils relèvent d’autres tutelles ministérielles. Néanmoins, notre délégation demande solennellement au Gouvernement de faire le nécessaire pour qu’ils ne soient pas pour autant dispensés de tendre vers la parité dans la composition de leurs instances de direction.

La mixité dans la gouvernance passe aussi, à nos yeux, par deux mesures complémentaires que nous recommandons : d’une part, la mixité dans l’équipe de direction dont s’entoure le président d’université et, d’autre part, la mixité dans les emplois fonctionnels de direction, direction générale et direction des services.

Le projet de loi ne comporte aucune disposition spécifique pour garantir la parité dans les conseils des établissements publics de recherche. Celle-ci ne résulte donc que de l’application des dispositions législatives de portée générale en vigueur. Je pense à la loi du 12 mars 2012, dite « loi Sauvadet », pour les établissements publics administratifs, et à la loi du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle, pour les établissements publics industriels et commerciaux.

Ces dispositions ont commencé à produire des effets positifs, mais elles restent encore peu connues dans les établissements qu’elles concernent. Un effort de clarification et des bilans périodiques nous paraissent donc utiles. Il ne suffit pas de voter des lois ; nous voulons aussi nous assurer de leur application effective.

Nous avons approuvé la disposition introduite à l’article 7 bis du projet de loi par l’Assemblée nationale tendant à confier au service public de l’enseignement supérieur la mission de conduire des actions en matière de lutte contre les stéréotypes sexués. Nous souhaitons que ces actions soient conduites en direction non seulement des étudiants, mais également des enseignants-chercheurs.

Pour favoriser les carrières des femmes, nous avons également formulé plusieurs recommandations, qui ne relèvent pas systématiquement du domaine de la loi.

Ainsi, nous avons souhaité un encadrement des dérogations qui se révéleront sans doute nécessaires à la règle des 40 % de personnes de chaque sexe dans les jurys et comités de sélection pour des disciplines où les viviers de femmes tombent en dessous de la proportion de 20 %.

Certaines de nos recommandations s’adressent plus particulièrement aux établissements : réaliser régulièrement des statistiques sexuées sur leurs étudiants et leurs personnels ; élaborer un plan d’action pour l’égalité ; ou encore confier à une personne référente la « mission égalité » consacrée par l’Assemblée nationale à l’article 25 du projet de loi.

Nous formulons également deux recommandations pour prendre en considération les interruptions de carrière liées à la maternité dans la période de référence prise en compte pour les évaluations, ainsi que dans l’attribution du congé pour recherche ou pour conversion thématique.

Nous demandons, en outre, qu’un soutien particulier soit apporté aux filles qui s’orientent vers des filières encore majoritairement masculines pour leur permettre d’aller jusqu’au bout de leur formation et d’accéder à l’emploi.

Nous approuvons la simplification de la carte des formations, mais nous demandons que les études de genre trouvent toute leur place dans la nouvelle nomenclature.

Nos quatre dernières recommandations portent sur la prévention et sur la répression du harcèlement sexuel, phénomène plus fréquent qu’on ne veut bien le croire dans l’enseignement supérieur.

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