Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, la loi LRU a rouvert le chantier d’une nouvelle autonomie des universités. Conjuguée à la loi Goulard de 2006 et aux investissements d’avenir décidés dans le cadre du grand emprunt, la réforme des universités a bouleversé leurs modes de gouvernance et leur pilotage, non sans critiques ni protestations.
Dans un contexte de concurrence internationale accrue, la définition d’une politique de formation et de recherche, toujours plus innovante et attractive, est devenue un enjeu fondamental, mais les conditions n’ont pas été réunies pour élever le niveau général des étudiants et favoriser la réussite de tous, comme l’a relevé Mme la ministre.
Parallèlement, de nouvelles entités sont apparues rendant encore plus complexe le paysage institutionnel universitaire, au prétexte de la lisibilité… Pourtant le système français reste dual et terriblement injuste : aux classes préparatoires, les bons élèves et les moyens ; à l’université, la gestion de ceux qui y viennent volontiers ou qui n’ont pas d’autres choix. C’est dans ce contexte que nous vient le projet de loi débattu aujourd’hui.
Nous regrettons un grand décalage entre les discours prometteurs de rupture, d’évolution significative, et la réalité plus timide de ce texte, par ailleurs dépourvu de moyens. Ce projet de loi ne répond pas aux problèmes de l’enseignement supérieur et de la recherche, ni aux enjeux fondamentaux que Mme la ministre a pourtant bien mis en exergue. Les « cinq fois mille postes » sont « virtuels », vous le savez bien. Tous ne seront pas pourvus.
Il s’agit d’un texte hétéroclite, qui vise le compromis et passe à côté des enjeux sans remédier aux effets négatifs des réformes du précédent gouvernement. À force de vouloir satisfaire tout le monde, on court le risque de mécontenter chacun, et ce malgré la volonté de dialogue.
Il y a eu des assises, il y a eu l’apparent désir de réformer, ce qui est bien, mais ne suffit pas encore. Le transfert comme nouvelle mission de l’enseignement supérieur est un élément de rupture avec notre vision de l’enseignement supérieur et de la recherche, comme le démontrera notre collègue André Gattolin.
À l’heure où le budget du ministère est en baisse, cette nouvelle mission ne pourra se faire qu’au détriment des autres missions, en particulier la formation et la réussite des étudiants. Or cette dernière question est le vrai sujet que nous voulons collectivement aborder et résoudre. C’est pour nous la vraie question !
Désengagement dans la recherche privée, que nous déplorons tous, gel des postes dans la recherche publique : quel étudiant, quelle étudiante de master se risquera, demain, à entamer une thèse avec de telles perspectives, alors que nous avons cruellement besoin d’un nombre accru de doctorants et de docteurs ?
Il s’agit, enfin, d’un texte qui valorise de fait certaines disciplines au détriment des autres. Nous craignons réellement que cette politique ne mette en danger les sciences humaines et sociales dans certaines régions. Je rappelle que les sciences humaines et sociales ne sont pas seulement destinées à rendre « acceptables » des projets par ailleurs démocratiquement contestés !
La recherche fondamentale est presque traitée comme secondaire – s’agit-il d’un effet de lecture ? – alors qu’elle est indispensable au développement de la recherche appliquée. Le projet de loi prévoit, peut-être, de généraliser le modèle grenoblois ; il en oublie la particularité disciplinaire et les effets collatéraux.
Autre point alarmant, la gouvernance des communautés d’universités et établissements : elle reste un sujet d’inquiétude pour de nombreux acteurs. Les écologistes défendent depuis longtemps la création d’universités fédérales. Vous devez, madame la ministre, entendre l’inquiétude des villes moyennes, qui craignent de n’accueillir plus que de futurs collèges à l’américaine regroupant des étudiants de niveau L, alors que les masters, qui doivent peut-être être revisités, et les doctorats migreront vers les métropoles régionales, attirant à leur suite les étudiants.
Quid de l’aménagement du territoire ? Quid des statuts des personnels ? La mobilité ne doit pas induire davantage de précarité.
Par ailleurs, les communautés d’universités et établissements telles qu’elles sont proposées auront, à terme, un caractère quasi obligatoire, ce que nous déplorons vivement. Nous ne sommes pas favorables aux « mariages forcés » !
De plus, en l’état actuel du texte, le mode de gouvernance des nouvelles communautés d’universités et établissements nous semble trop peu démocratique, même si nous entendons bien que vous invoquez l’efficacité.
Le projet de loi prévoit, heureusement, ce qui est central pour nous, le remplacement de l’AERES par un Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, qui lui ressemble pourtant encore trop à notre goût. Nous regrettons qu’un tel remplacement ne soit pas allé dans le sens d’une réduction des redondances existantes avec les instances d’évaluation des établissements publics.
De plus, on ne va pas assez loin pour réduire la pression en faveur de l’évaluation permanente qui pèse sur les chercheurs. Ce souci d’évaluation tourne d’ailleurs à l’obsession. On en arrive à ne plus travailler pour faire de la recherche, mais uniquement pour « monter » des dossiers !
Trop d’évaluation tue l’évaluation, et les humains avec ! Entendons-nous bien : nous ne sommes pas contre l’évaluation en soi, mais nous ne voulons pas d’une mesure de remplacement et de création d’une nouvelle entité purement « cosmétique » ou « symbolique ». Nous souhaitons un vrai changement, notamment sur ce point !
Par ailleurs, il faudra revoir la place des élus, qui nous semble trop faible dans cette instance remplaçant l’AERES.
Enfin, madame la ministre, la question de la précarité des personnels n’est absolument pas traitée. Elle est même la grande absente du texte !
Les écologistes vous font une proposition solennelle : réorienter 1 milliard d’euros du crédit d’impôt recherche vers l’université. Car c’est aussi sur ce point que le présent texte fait défaut !
Ce projet de loi accorde trop de place à la valorisation économique et ne règle en rien les problèmes récurrents de fond de l’enseignement supérieur. En l’état, il ne nous satisfait pas. Si c’est un texte technique, il est lacunaire, si c’est un texte politique, il n’est pas encore à la hauteur des enjeux !