Intervention de Jean-Pierre Chevènement

Réunion du 19 juin 2013 à 14h30
Enseignement supérieur et recherche — Suite de la discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Pierre ChevènementJean-Pierre Chevènement :

Monsieur le président, madame la ministre, pour la première fois, un projet de loi vise à définir une stratégie d’ensemble à la fois pour l’enseignement supérieur et pour la recherche. Je tiens à saluer cette ambition qui répond au défi que nous jettent les pays avancés – États-Unis, Japon, Allemagne –, mais aussi, de plus en plus, les pays émergents – Chine, Corée et Inde, en particulier.

Les vieux pays industrialisés n’ont plus le monopole de la science et de la technologie : voilà un fait dont chacun doit se pénétrer. À cette situation radicalement nouvelle, nous ne pouvons répondre que par un effort accru. Cet effort ne peut pas être qu’un effort budgétaire, si souhaitable celui-ci soit-il. Nous apprécions la « sanctuarisation » de votre budget, madame la ministre, mais elle est en elle-même insuffisante, si nous comparons notre effort de recherche à celui des pays les plus avancés, à commencer par notre plus proche voisin. Cet effort accru doit être l’effort de tous, et d’abord de nos chercheurs et de nos universitaires.

Madame la ministre, vous avez évoqué, à juste titre, les insuffisances de notre système, qu’il s’agisse du taux d’échec trop élevé de nos étudiants en licence ou de la trop faible valorisation de notre recherche, que j’appelais déjà à renforcer en 1981-1982.

Il ne suffit pas d’inscrire dans la loi l’objectif du transfert des résultats de la recherche dans la production ; cela a été fait il y a trente ans. La recherche technologique, qui représente 10 % seulement de notre dépense intérieure de recherche, et le transfert sont, vous l’avez dit devant l’Assemblée nationale, nos deux points faibles par rapport à nos concurrents, qui, par exemple, consacrent plus de 20 % de leur effort de recherche à la recherche technologique. Ce sont des faits, et les faits sont têtus !

Peut-on remédier à cette situation en se bornant à rendre un hommage, sans doute justifié, à notre recherche fondamentale et en proclamant la confiance du Gouvernement à l’égard de la communauté universitaire et scientifique ? Vous savez bien que cela ne suffit pas.

Vous nous proposez, à juste titre, de prendre des mesures regroupées dans un « livre de transfert » et de favoriser l’innovation en créant de nouvelles plateformes de transfert technologique. Vous voulez que le titre de docteur soit reconnu dans les conventions collectives et vous demandez parallèlement la reconnaissance du doctorat dans les grilles de la fonction publique. Vous avez raison, mais il faut obtenir les deux à la fois, sinon ce serait perpétuer le déséquilibre entre une recherche publique, dont il faut dire, parce que c’est la vérité, qu’elle est plutôt bien dotée, et une recherche industrielle privée trop faible.

Il serait aussi souhaitable de favoriser une relation plus étroite entre l’industrie, la formation et la recherche. Je prends l’exemple d’une région comme celle de Belfort-Montbéliard, où sont implantées de grandes entreprises mondialisées telles que Peugeot, Alstom, General Electric ou Faurecia, et où s’est développé un tissu industriel dense. Une véritable stratégie nationale de développement de la recherche et de l’enseignement supérieur devrait comporter un contrat de site propre à la communauté d’universités et d’établissements de Bourgogne et de Franche-Comté et visant à la création d’un pôle d’ingénierie dont le centre de gravité serait naturellement le nord-est franc-comtois, puisque s’y trouvent non seulement l’université de technologie de Belfort-Montbéliard, avec ses 2 600 élèves-ingénieurs, mais aussi l’université de Franche-Comté, qui délivre des formations tout à fait excellentes, en particulier en sciences de l’ingénieur.

Vous avez évoqué à juste titre, madame la ministre, un État « stratège ». Il serait normal que celui-ci applique son effort non pas seulement aux métropoles, mais aussi à des pôles industriels comme celui dont je viens de parler. Je souhaite qu’il figure dans le contrat de site et, parallèlement, dans le contrat de plan État-région pour la période 2014-2020.

Vous avez aussi évoqué, madame la ministre, la démocratie et la collégialité dans les universités. Leur renforcement est fort souhaitable, mais les hommes sont les hommes : l’université et la recherche – ceux qui ont siégé longtemps dans les conseils d’administration des universités le savent bien ! – ne sont pas à l’abri des corporatismes.

C’est pourquoi M. Mézard, président du groupe RDSE, et moi-même avons déposé un amendement visant à permettre au président du conseil d’administration de présider le conseil académique ou de déléguer sa présidence. Je sais qu’il est à la mode, dans notre pays, de critiquer l’autorité, le centralisme réputé jacobin, mais enfin l’expérience montre qu’il ne faut pas de dyarchie à la tête des universités : d’un côté, un président du conseil d’administration prétendument stratège, et, de l’autre, un président du conseil académique maître des moyens et des personnels. Sinon, l’autonomie des universités risquerait de déboucher sur le baptême de bateaux ivres…

Il n’est certes pas souhaitable de réduire les conseils scientifiques à un rôle purement consultatif, mais la présidence ne se partage pas. Nous n’avons pas la tradition des universités anglo-saxonnes : il ne peut y avoir deux présidents dont l’autorité de l’un pourrait bloquer celle de l’autre. La confiance, il faut d’abord la créer ! Commençons donc par l’institution d’un président délégué !

J’approuve, madame la ministre, l’objectif de 50 % d’une classe d’âge au niveau de la licence, déjà affirmé en 2000 par le sommet européen de Lisbonne. Nous en sommes aujourd’hui à 37 % selon vos déclarations, un peu optimistes me semble-t-il.

Il faut d’abord rappeler que les « bacs pros », que j’avais créés en 1985, ne visaient qu’exceptionnellement la poursuite d’études dans l’enseignement supérieur. Le but était de former des personnels très qualifiés pour les entreprises.

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