Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour compléter l’intervention de Mme Corinne Bouchoux, je centrerai mon propos sur la vision globale de l’enseignement supérieur et de la recherche dans notre pays développée par les écologistes.
Nous entendons bien la volonté sous-jacente du Gouvernement de faire face à l’urgence qui se manifeste sur le front de l’emploi et à la nécessité de redonner du dynamisme à notre économie. C’est vrai : la France a de nombreux handicaps en la matière, notamment celui de la moindre compétitivité de ses entreprises industrielles et, en amont, celui de l’insuffisance globale de l’investissement de notre économie dans le domaine de la recherche et du développement.
Dans un rapport très récent, la Cour des comptes associe cette stagnation de l’effort de recherche en France à la faiblesse de la recherche et développement dans le secteur privé. En effet, même si, en matière de recherche publique, notre pays investit beaucoup et consent, toutes choses égales par ailleurs, un effort à peu près comparable en termes d’investissement public à celui de l’Allemagne, nos voisins d’outre-Rhin sont presque deux fois plus performants en ce qui concerne la recherche privée.
Ce constat conduit donc aujourd’hui le Gouvernement à vouloir s’appuyer sur la puissance de notre recherche publique pour tenter de compenser la faiblesse structurelle et l’ultra-sectorisation de notre recherche privée et, indirectement, pour stimuler et moderniser notre appareil productif, à l’échelon tant de nos grandes entreprises que du tissu de nos PMI-PME, qui restent encore trop faiblement exportatrices.
L’objectif est en soi louable et le choix des moyens utilisés paraît logique. Ils présentent d’ailleurs de fortes similitudes avec le programme Horizon 2020 engagé par l’Union européenne en matière de recherche et d’innovation.
La volonté de renforcer les liens et les transferts de notre université et de notre recherche publique vers les entreprises relève d’une ambition compréhensible. Les écologistes ne s’y opposent pas au nom d’une posture idéologique : ils entendent plutôt la discuter au regard de son efficacité même et des autres missions généralement assignées à l’enseignement supérieur et à la recherche, qui semblent ici un peu oubliées.
À notre sens, un des problèmes majeurs posés par le texte initial du Gouvernement réside dans une lecture très restrictive et orientée de deux termes qui jalonnent l’ensemble du projet de loi : transfert et innovation.
Le mot « transfert » est assez ambigu. Dans le langage courant, il désigne aussi bien une substitution et une cession de droits qu’un échange ou un déplacement dans une direction n’emportant pas une perte de propriété ou s’accompagnant, à tout le moins, d’une ou de plusieurs contreparties.
Si le savoir et la connaissance sont un bien commun qui n’appartient pas seulement à ceux qui les produisent, mais qui est susceptible d’enrichir toute la communauté qui les rend possibles, notamment à travers leur financement sur fonds publics collectés via l’impôt, il n’est pas aberrant que notre économie bénéficie de quelques transferts. Cela suppose cependant que la valeur et les richesses qui en découlent ne soient pas totalement privatisées par les destinataires de ces transferts et qu’un véritable retour sur investissement s’opère aussi au profit de l’université, de la recherche publique et de la société dans son ensemble.
C’est le sens, notamment, de notre amendement tendant à insérer un article additionnel après l’article 12, qui vise à faire en sorte que, outre les entreprises, d’autres acteurs de la société civile puissent eux aussi bénéficier de transferts en provenance de la recherche publique.
Nous pensons également qu’il est impératif de mieux cadrer les transferts opérés à destination du secteur privé.
Un des risques majeurs présentés par ce texte, en l’état, est de provoquer, dans les entreprises disposant d’importants services de recherche et développement, une réduction de leurs investissements en la matière. Pour le coup, cela irait à l’encontre du résultat escompté par le Gouvernement.
Par ailleurs, il est important de rappeler que l’université et la recherche publique ont aussi d’autres missions que d’aider immédiatement à la valorisation de notre économie. Le développement du financement de la recherche publique sur projets et la volonté de mettre celle-ci au service du développement technologique immédiat risquent fort d’affaiblir un peu plus la recherche fondamentale, celle qui cherche tous azimuts et sans finalité marchande à court terme, mais qui est à l’origine de découvertes majeures.
Ainsi, dans le domaine de la biologie moléculaire ouvrant sur des utilisations médicales parmi les plus prometteuses, les ARN interférents – ces molécules ubiquitaires qui permettent la production de différentes protéines agissant sur la protection d’organismes aussi variés que les plantes ou les êtres humains – ont été découverts à partir de travaux qui visaient initialement à comprendre les différences de couleurs observées sur un même plant de pétunias…
Mes chers collègues, au cours de ce débat, nous devons avoir à l’esprit l’orientation générale que nous voulons donner au texte au regard de la conception que nous nous faisons de notre enseignement supérieur et de notre recherche publique.
Bien sûr, il y a urgence à développer et à redéployer notre capacité d’innovation. Ne cédons pas, pour autant, à une vision trop mécaniste et trop instrumentaliste des choix qui peuvent être faits dans des domaines aussi sensibles que ceux qui nous occupent ici.
Pour conclure, je rappellerai, en espérant que cela permettra que ce débat s’engage sous de meilleurs auspices que ne le suggère la statue de Colbert qui nous surplombe, cette belle phrase que Michel Rocard prononça au mois de septembre 1982, alors qu’il était ministre du Plan et de l’aménagement du territoire : « Le volontarisme est parfois le pire ennemi de la volonté. » Elle me paraît tout à fait appropriée, à l’heure où nous engageons une réflexion sur la meilleure manière de stimuler la recherche et l’innovation aujourd’hui.