Le big bang, il le fallait, et, grâce à Mme Pécresse, il a eu lieu. Peut-être un autre ministre, à cette époque, aurait-il pu parler, à juste titre, de loi de refondation des universités. Votre objectif est plus modeste, madame la ministre : vous parlez très sobrement de projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche. Il faut saluer cette modestie, car nous sommes en présence d’un texte de continuation et, quand c’est possible et quand c’est nécessaire, d’amélioration.
Je ne peux, dans le temps limité qui m’est imparti, aborder que quelques points. Le texte précédent était très marqué par le « syndrome de Shanghai ». Pour attirer, être remarqué, il faut être visible ; pour cela, il faut être gros : big is beautiful, en somme, puisque l’anglais devient le langage de l’université… §
En tout cas, certaines universités ont fusionné, beaucoup ont constitué des PRES. Vous proposez maintenant aux universités la constitution de communautés. On peut en débattre, mais la démarche n’est pas choquante. Encore faut-il veiller à la cohérence des projets, à la cohérence des ensembles et, surtout, au maintien de la capacité de décider. La bonne gouvernance est rarement bicéphale. En outre, nous le savons bien, des conseils trop nombreux sont des instances bavardes et souvent inefficaces. C’est à l’aune de ce critère que nous jugerons vos propositions.
L’évaluation est un autre point essentiel. Peut-on vraiment s'évaluer soi-même ou être évalué par ses amis ? Certes, il ne s'agit pas de caporaliser les chercheurs, mais il nous semble que l’AERES avait commencé à faire du bon travail. Pourquoi vouloir la remplacer par un nouvel organisme qui, s'il veut être efficace, devra reprendre, pour l'essentiel, les mêmes approches ?
Le succès des étudiants est une autre préoccupation essentielle. Ils sont encore bien trop nombreux à échouer dans le premier cycle de l'enseignement supérieur. Les mesures prises précédemment n'ont pas réussi à améliorer la situation en licence. Il faut alors en proposer d'autres, car l'échec de trop nombreux étudiants est un insupportable gâchis.
Mais il y a d'autres raisons à cette situation, madame la ministre, vous le savez bien. Vous le reconnaissez d’ailleurs vous-même : tous les baccalauréats ne se valent pas, tous n'ouvrent pas l’accès à toutes les filières de l'enseignement supérieur.
Vous avez raison de rappeler que le bac se situe au milieu d'un parcours « 3+3 » pour la majorité des jeunes Français. Ce parcours commence en seconde et a pour objectif l’acquisition d’une formation de niveau bac+3 pour la moitié de nos jeunes compatriotes. Mais nos bacs généraux sont inégaux. Il y a le « super-bac », le bac S. C'est théoriquement un bac scientifique, mais, en réalité, dans beaucoup d'esprits, c'est le bac des meilleurs. Il y a le bac L, qui souffre actuellement d'un certain discrédit, a du mal à se faire reconnaître et porte ainsi tort, d'une certaine manière, aux filières littéraires, qui doivent aussi être des filières d'excellence. Nous avons besoin de filières littéraires d'excellence !
Il y a aussi les bacs technologiques, dont les titulaires peinent à trouver leur place dans les filières technologiques de l'enseignement supérieur, ce qui n'est pas normal !
Enfin, il y a le bac professionnel, remarquable invention de M. Chevènement. Il a ses mérites et joue un rôle important, mais il n'a pas pour finalité d'assurer une bonne préparation à l’enseignement supérieur. Il a d'abord pour vocation de préparer des jeunes à l’entrée dans la vie professionnelle, en les dotant d’un niveau suffisant de connaissances générales et d’une qualification professionnelle clairement attestée.
Le bac, il faut l'avoir pour entrer dans le supérieur, mais il devient aussi un examen classant : mieux vaut l'avoir avec mention. D'ailleurs, les mentions sont de plus en plus nombreuses, ce qui pose le problème des options, système qui débouche parfois, il faut le dire, sur des résultats aberrants.
Le bac n'est pas seulement un diplôme de fin d'études secondaires ; il est d'abord et toujours le premier grade de l'enseignement supérieur, ce que l'université oublie quand elle peine à fournir des présidents de jury de baccalauréat.
Alors oui, madame la ministre, il faut mettre en place une réforme dans ce domaine. C'est votre responsabilité, ainsi que celle du ministre de l'éducation, qui, hélas, ne s'est guère préoccupé du lycée et du baccalauréat dans son propre projet de loi, dont nous débattions récemment.
N’oublions pas non plus la nécessité de garantir à chaque bachelier professionnel, quand il décide de connaître une première expérience de vie professionnelle, qu’il pourra ensuite reprendre des études s'il le souhaite ou obtenir un complément de formation. En effet, le niveau d’une personne ne se fixe pas définitivement autour de l’âge de 20 ans.
La lutte contre l'échec scolaire dans le premier cycle du supérieur n'est pas seulement affaire d'encadrement et de crédits ; il faut aussi permettre à chacun, en fonction de ses capacités et de ses souhaits, de bénéficier d'une bonne orientation.
Vous souhaitez que les filières du supérieur fassent connaître leurs exigences aux futurs étudiants : vous avez raison, mais attention à ne pas vouloir améliorer les choses à coups de quotas. Souvent, le succès ne se mesure pas dans les statistiques : un bachelier professionnel mal orienté améliore peut-être les statistiques, mais il sera d'abord une victime. Il faut donc être prudent.
Mon propos, vous le voyez, est marqué par le souci de la démocratisation de l'enseignement supérieur.
Certes, les gouvernements successifs ont bien fait progresser les choses, et l'enseignement supérieur est devenu un enseignement de masse. Il subsiste pourtant des inégalités, souvent d’ordre géographique. En travaillant, voilà quelques années, à un rapport sénatorial sur les classes préparatoires, j'avais été frappé de voir qu'il existait encore en France plus d'une vingtaine de départements, souvent ruraux et contigus, en particulier dans l'Ouest et le Sud-Est, dépourvus de toute classe préparatoire. Certes, des réseaux se mettent en place, mais cette situation pose problème et n'a pas véritablement été améliorée.
Les universités sont mieux réparties que les classes préparatoires sur le territoire national, grâce à leurs antennes. J'en ai moi-même créé une voilà trente ans, dans ma ville, et j'ai pu mesurer les bienfaits qu'en ont retiré les jeunes. Dans cette ville moyenne, comme dans d'autres, c'était la condition pour que des jeunes d'origine modeste « osent » l'université, avec de bons résultats.
Or, un mouvement inverse s'amorce. Parce que l'accès au supérieur a progressé, parce que la démographie stagne, certaines universités sont tentées de supprimer des antennes et de se reconcentrer.
Madame la ministre, vous devez vouloir l'excellence ; nous devons nous battre toujours pour l'égalité des chances, la démocratisation de l'enseignement. Je partage l'inquiétude exprimée par la Fédération des maires des villes moyennes : ne laissez pas disparaître des antennes universitaires, qui sont plus que jamais nécessaires pour les jeunes, pour la justice sociale et pour l'attractivité des territoires.
Je voudrais conclure par une mise en garde contre ce que je crois être un risque très grave pour notre pays : l'abandon consenti de notre rayonnement linguistique.
Vous vous êtes étonnée, madame la ministre, du débat, il est vrai parfois bruyant, déclenché par l'article 2 de votre projet de loi.
On sait, au Sénat, mon amour de la langue française et mon attachement à la francophonie – je ne suis pas le seul à avoir ces sentiments –, mais je regrette que le débat parfois s'égare sur de fausses pistes.
On a déploré la faiblesse supposée des connaissances linguistiques des jeunes Français. Je pense que, dans ce domaine, nous avons commencé à progresser. En tout état de cause, c'est d'abord un problème d'apprentissage précoce des langues étrangères. Il faudrait d’ailleurs en apprendre deux plutôt qu'une, l'anglais étant, bien sûr, inévitable. L'effort doit être poursuivi dans le supérieur, mais il faut commencer bien avant. La loi Toubon, actuellement remise en cause, le prévoyait d'ailleurs en son article 11 et met l’accent sur la nécessité d'apprendre deux langues.
On a parlé de l'accueil des étudiants étrangers. Je souhaite, comme l'ensemble du Sénat, me semble-t-il, que nous sachions accueillir de nombreux étudiants étrangers. C'est le travail de Campus France, et il faut évidemment tenir compte des souhaits de ces étudiants étrangers.
S'ils ne sont pas francophones et veulent néanmoins venir étudier chez nous, dans leur langue ou en anglais, pourquoi ne pas leur donner satisfaction, à condition qu'ils profitent de leur séjour en France pour apprendre la langue et la culture françaises ? Je ne vois pas d'inconvénient à ce qu'ils puissent apprendre dans une langue étrangère, dans des cours prévus pour eux. D'ailleurs, la fameuse loi Toubon le permet déjà : il n'y a pas d'obstacle sur ce point.
Ce qui est en cause, ce qui pose un très grave problème, c'est la volonté de faire suivre à des étudiants français ou francophones des enseignements dispensés intégralement en langue étrangère, essentiellement en anglais.
Ce qui est grave, c'est que cette tentation est d'abord celle de certaines grandes écoles, qui forment les élites de demain. Des élites françaises formées dans une autre langue que celle du peuple français, cela pose un problème et, j’ose le dire, un problème politique.
Ce qui est grave, c'est que ces écoles ou universités ont développé ces formations au mépris de la loi actuelle, et que certains de leurs dirigeants déclarent publiquement vouloir continuer quelle que soit la décision du Parlement !
Il faut donc être très vigilants et dire clairement dans la loi qu’il y a des souplesses utiles que nous acceptons et que nous accepterons, mais aussi des dérives dangereuses que nous n'accepterons pas ! Je proposais tout à l'heure la suppression de l'article 2 et son remplacement par un article affirmant clairement qu'en aucun cas un enseignement destiné à de jeunes francophones ne peut être intégralement assuré dans une langue étrangère. Ce qui est en jeu, mes chers collègues, c'est la diversité linguistique, qui est au cœur de la diversité culturelle. Nous avons tous combattu, ces derniers jours, pour l'exception culturelle, c'est-à-dire pour le maintien de la diversité culturelle et linguistique. Allons-nous, dans l'université, envoyer un signal de démission linguistique, de résignation à la langue unique, qui, vous le savez bien, conduit à la pensée unique ?
Aujourd'hui, je pense à ce propos prémonitoire du Président Georges Pompidou : « Si nous reculons sur notre langue, nous serons emportés. » Nous ne devons pas reculer sur notre langue, pas seulement pour défendre le français, mais aussi parce que, dans le monde du XXIe siècle, menacé d'uniformisation et d'appauvrissement intellectuel, la diversité des langues et des pensées est une ardente exigence.