Monsieur le président, madame la ministre, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, je vous ai présenté la semaine dernière, avec Mme Dominique Gillot, dont je salue le travail libre et approfondi sur le présent texte, notre rapport commun sur l’autonomie des universités depuis la loi LRU et l’évaluation de l’application de cette dernière.
Nous avons souligné combien cette réforme s’imposait au regard de nos résultats internationaux, pour le moins décevants – même s’il faut relativiser la portée du classement de Shanghai –, et des difficultés de nos étudiants, trop nombreux à quitter l’université sans diplôme.
Ce rapport concluait qu’il fallait laisser le temps à cette réforme d’ampleur de produire ses effets dans la durée, d’autant qu’elle s’est heurtée à de fortes résistances culturelles. Il faut du temps – et des moyens – pour que les acteurs et usagers du service public de l’enseignement supérieur s’imprègnent d’une telle réforme et consolident leur pratique des nouveaux codes et règlements mis en place.
Cinq années seulement après l’entrée en vigueur de la loi LRU, nous voici en présence d’un nouveau projet de loi. Je m’interroge dès lors sur l’opportunité et la portée de ce texte.
Vous avez reconnu, madame la ministre, qu’il ne pouvait être question de remettre en cause l’autonomie de nos universités. Celle-ci était attendue depuis de nombreuses années, et il faut reconnaître à la majorité précédente le courage d’avoir traduit des vœux pieux en actions et d’y avoir consacré des moyens supplémentaires, comme l’a excellemment rappelé Mme Primas.
Ce fut tout d’abord le cas avec la loi Goulard de 2006, qui créa les PRES et l’AERES, nouvelle autorité d’évaluation indépendante. Puis la loi LRU de 2007 réalisa le fameux big bang, en transformant totalement les méthodes de fonctionnement des universités, qui ont basculé dans l’autonomie.
Les universités sont devenues pleinement décisionnaires. La loi LRU leur a donné les moyens d’un véritable pilotage, d’une part en resserrant le conseil d’administration et en lui donnant une fonction plus stratégique, d'autre part en accordant au président d’université une autorité renforcée et en lui confiant un rôle plus actif dans le management de ses équipes.
La loi LRU a également donné aux universités le droit de gérer leurs ressources humaines et la responsabilité de recruter l’ensemble de leur personnel, avec la possibilité de le faire au rythme de leurs besoins. Elles peuvent dorénavant gérer leur patrimoine immobilier, même si elles ne se sont pas encore toutes lancées dans cette mission.
Nos déplacements et auditions effectués lors de la préparation du rapport ont montré que la majorité des universités n’entendaient nullement revenir sur l’autonomie acquise ; nous avons même observé un enthousiasme certain pour celle-ci. Les universités réclament un renforcement de leurs moyens et une amélioration des mécanismes qui leur permettent d’exercer leur autonomie dans des conditions optimales.
Or que prévoit la réforme proposée ? Elle se caractérise d'abord par l’absence de moyens. Comme l’a relevé Mme Primas, et comme vous l’avez vous-même reconnu, madame la ministre, il ne s’agit pas d’une loi de programmation. Alors que le gouvernement précédent avait pris des engagements – qu’il a tenus –, votre majorité ne donne aucune visibilité financière à notre système universitaire et de recherche. Certes, le contexte budgétaire est contraint, mais chacun sait que, si un secteur doit échapper à la rigueur, c’est précisément celui de l’acquisition des connaissances, qui seul peut nous permettre de tenir notre rang dans la compétition mondiale.
Par ailleurs, est-il question, dans ce projet de loi, d’améliorer les dispositifs existants ? Je l’espère, mais je crains qu’il ne comporte, en guise d’améliorations, que des freins, tantôt marginaux, tantôt plus sévères, à la dynamique de l’autonomie.
En effet, la gouvernance est mise à mal. La dyarchie qu’il est proposé de créer, autour de deux conseils – un conseil d’administration et un conseil académique – dirigés par des personnalités distinctes, me paraît injustifiée. Il me semble qu’il ne pourra sortir de ce dispositif malvenu que des complications ; c’est en tout cas l’avis de l’ensemble de la communauté universitaire, dont nous avons reçu les témoignages d’inquiétude.
Une plus grande ouverture de la gouvernance des universités aurait constitué une amélioration, mais vous refusez de donner davantage de poids aux personnalités extérieures du conseil d’administration. Vous entendez favoriser le partage des pouvoirs, alors que celui-ci nuit à la capacité de décision et à l’adoption d’une stratégie claire.
Je regrette également le remplacement des PRES par des communautés d’universités dont le fonctionnement complexe ne sera pas source de progrès. Désormais, au lieu de porter un projet commun, les universités seront liées par leur appartenance géographique. Il me semble réducteur de limiter ainsi leurs choix. La création de ces communautés représente une atteinte injustifiée à l’autonomie des universités. Les PRES relevaient au contraire d’une démarche volontaire. Faut-il rappeler que l’autonomie c’est la liberté, et non la contrainte ? Dans le nouveau paysage qui se dessine, l’autonomie sera nécessaire au succès de nos universités.
Enfin, je souhaite revenir brièvement sur la suppression de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, qui sera remplacée par un Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. Ce projet laisse songeur. Il s’agit de supprimer une autorité administrative créée sous la législature précédente pour la remplacer par une autre autorité administrative ayant sensiblement les mêmes pouvoirs. Dès lors, où est l’avancée ?
Depuis sa création, l’AERES a su améliorer son mode de fonctionnement. Elle peut encore évoluer et affiner ses missions à la lumière de l’expérience accumulée pendant six années d’existence. La supprimer purement et simplement reviendrait à nier la notoriété européenne et internationale qu’elle a acquise et obligerait la nouvelle autorité à repartir de zéro. Il est très regrettable que l’AERES fasse les frais d’un changement apparemment politique ; Mme Létard l’a souligné avant moi.
Au regard de l’examen approfondi auquel j’ai procédé en vue de la rédaction de notre rapport d’évaluation de la loi LRU, et parce que les trois points que j’ai évoqués me semblent incohérents avec celui-ci, je souhaite que le débat permette d’apporter des modifications sensibles au projet de loi. Notre groupe a déposé des amendements en ce sens, dont je souhaite l’adoption. §