Je suis ravi d'être à nouveau parmi vous. J'avais été auditionné par le Sénat en 2010 lors de la fusion de l'Afssa et de l'Afsset, ainsi qu'à diverses occasions : proposition de loi relative à l'interdiction du bisphénol A, publication de Gilles-Eric Séralini sur les effets des OGM, proposition de loi sur les lanceurs d'alerte et l'indépendance de l'expertise. L'Anses cultive de fortes relations avec le Parlement : d'une part parce que le Parlement est à l'origine de sa création, et d'autre part parce que nos activités sont à l'interface entre la science et la société, et à ce titre répondent aux préoccupations de tous nos concitoyens. Mon mandat de directeur général de l'Anses arrive à échéance le 6 juillet. Nos cinq ministres de tutelles ont proposé ma reconduction.
Ingénieur de formation, membre du corps des mines, j'ai commencé ma carrière dans le domaine environnemental comme responsable des installations classées de la région Île-de-France et secrétaire général d'Airparif, organisme chargé de mesurer la pollution atmosphérique dans l'agglomération parisienne. J'ai ensuite travaillé dans le secteur privé, en tant que responsable de la recherche et développement de la Compagnie nationale de géophysique, société d'imagerie du sous-sol, entreprise de taille moyenne mais cotée aux bourses de Paris et New-York. Je me suis familiarisé aux enjeux liés à la santé humaine à la tête du Laboratoire de métrologie et d'essais, établissement public industriel et commercial dont le rôle est notamment de contrôler les dispositifs médicaux sous l'autorité de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), puis en tant que directeur général adjoint de l'Institut Pasteur. J'ai ensuite occupé la fonction de directeur de cabinet du secrétaire d'Etat à l'industrie et à la consommation. En 2009, j'ai été nommé directeur général de l'Afssa et chargé de préparer sa fusion avec l'Afsset.
L'Afssa était une importante agence forte de 1 250 agents et de dix ans d'expérience dans le champ de la sécurité alimentaire. Son fonctionnement très intégré couvrait toute la chaîne, « de la fourche à la fourchette », y compris la santé animale et végétale. L'Afssa s'appuyait sur des collectifs d'experts chargés d'évaluer les risques, et sur des laboratoires disséminés sur le territoire pour collecter des données au plus près des lieux d'élevage et de culture. L'Afsset, plus petite, plus récente, était quant à elle compétente en matière d'environnement et de santé au travail.
Un article de la loi « hôpital, patients, santé et territoires » prévoyait la fusion de ces agences par ordonnance dans un délai de six mois. Cette perspective a suscité de nombreuses inquiétudes dans des structures de tailles et de cultures différentes. Pour les lever, j'ai conduit la fusion à partir de septembre 2009 dans le respect d'un certain nombre de principes : d'abord, forte concertation interne, mais aussi externe, compte tenu des relations étroites qui unissaient les agences aux partenaires sociaux, aux associations de consommateurs, aux ONG de défense de l'environnement, aux organismes professionnels et aux administrations. Les quinze réunions que nous avons organisées en six mois ont été l'occasion d'échanges avec quarante partenaires et ont permis à tous de comprendre les synergies attendues de l'opération.
Deuxième principe : faire du neuf, ne pas réduire la fusion à l'absorption d'une agence par une autre. Ce qui caractérise l'Anses, c'est son large champ de compétences, qui découle de la proximité des activités de l'Afssa et de l'Afsset. La première était par exemple compétente pour évaluer les pesticides, la seconde les biocides - c'est-à-dire les produits chimiques à usage non agricole ; l'Afssa étudiait l'eau destinée à la consommation humaine, l'Afsset l'eau de baignade. Enfin, dernier principe : créer une dynamique interne. Ce fut le cas, puisque j'ai eu la chance de réaliser le processus dans des délais rapides : l'agence a été créée le 1er juillet 2010.
Avec trois ans de recul, on peut dire que la sécurité sanitaire a fait d'importants progrès, en s'appuyant sur les acquis. D'abord, l'évaluation des risques s'appréhende de manière bien plus intégrée. Les risques encourus par l'homme en tant que travailleur, consommateur ou citoyen exigent une évaluation coordonnée, que l'agence fournit. Par exemple, répondre aux questions qui entourent le bisphénol A exige d'étudier toutes les sources d'exposition auxquelles nous sommes soumis : alimentation, matières plastiques, traces résiduelles dans l'environnement... Sous ce rapport, l'Anses est une structure unique au niveau international, où les risques alimentaires et environnementaux sont étudiés séparément, et elle commence à faire école.
Deuxième atout de l'agence : sa gouvernance originale, très ouverte à toutes les parties prenantes. Nos collectifs d'experts sont très protégés de toute influence particulière. En amont comme en aval de l'évaluation, des espaces sont aménagés pour la discussion contradictoire. Nous faisons en outre d'importants efforts pédagogiques pour expliquer les résultats de nos travaux.
Enfin, le cadre déontologique de l'agence a été renouvelé. Un code de déontologie a été élaboré. Un comité de déontologie et de prévention des conflits d'intérêts, indépendant de la direction de l'agence, publie des analyses et des recommandations. Tous les salariés et experts extérieurs établissent une déclaration - ce qui ne veut pas dire que nous n'acceptons pas les liens d'intérêts, indissociables de la compétence de terrain. Nous étudions avant chaque réunion, en fonction de chacun des points de l'ordre du jour, les risques de conflits d'intérêts. Écarter des scientifiques d'une discussion n'est jamais simple, car ils vivent cela comme une remise en cause de leur intégrité intellectuelle et professionnelle. C'est pourquoi nous travaillons beaucoup sur la dépersonnalisation de cette pratique, devenue chez nous systématique et banalisée.
Le principe de séparation entre l'évaluation et la gestion des risques est un pilier du fonctionnement de l'Anses. Nos travaux se bornent à faire l'inventaire des connaissances - mais aussi des ignorances ! - scientifiques dans certains domaines. Puis nous émettons des avis à l'attention des citoyens et des pouvoirs publics. Charge à ces derniers de prendre les décisions qu'ils estiment en découler.
L'Anses a rendu à ce jour plus de 5 000 avis. Elle peut être saisie par un ministère ou l'une des parties prenantes à ses travaux, mais examine aussi les dossiers que lui soumettent les industriels dans le cadre de la réglementation européenne, en matière de produits phytosanitaires, biocides ou vétérinaires. Les médicaments vétérinaires sont une exception au principe de séparation de l'évaluation et de la gestion des risques, puisque nous gérons également la mise sur le marché et le suivi de ces produits, en lien avec l'ANSM.
Venons-en aux enjeux d'avenir. L'essentiel est d'anticiper les risques émergents. Cela implique d'abord de fournir un travail de prospective scientifique pour identifier les grands sujets qui se poseront à moyen terme, comme les cancers hormono-dépendants ou les troubles de la fertilité. A cette fin, l'Anses pilote et coordonne les travaux des membres du réseau R31, qui rassemble de nombreux organismes de recherche, dont le CNRS et l'Inserm.
Anticiper suppose ensuite de capter les signaux d'alerte, dont les lanceurs sont désormais protégés par la loi de 2012. Celle-ci crée en outre dans les agences comme la nôtre des registres d'alerte, destinés à assurer la traçabilité. Nous sommes à l'écoute, sans prendre pour argent comptant tout ce qui nous est rapporté, mais sans rien négliger. Ici encore, notre gouvernance pluraliste et ouverte est précieuse, qui permet de ne sélectionner que les signaux d'alerte témoignant d'un risque scientifiquement étayé.
La tendance générale est au renforcement de la surveillance. Nous croisons de plus en plus systématiquement les données de l'évaluation avec les informations recueillies sur le terrain par les centres antipoison, de toxicovigilance et de pharmacovigilance, bien que ceux-ci souffrent de sous-déclaration et que leurs données soient difficiles à exploiter. En matière de maladies professionnelles, le réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P), présent dans les centres hospitalo-universitaires, récolte les observations faites dans les consultations, sur les risques spécifiques à certaines professions : coiffeurs, travailleurs exposés au bitume, agriculteurs manipulant des pesticides.
Nous menons aussi des travaux méthodologiques, concernant les effets cocktail des substances chimiques (alors que les risques sont encore étudiés le plus souvent individuellement) ou sur les faibles doses dans le domaine des perturbateurs endocriniens, ou encore, sur les effets de certaines substances à certaines périodes de la vie, comme pendant la grossesse.
Comme d'autres, nous sommes financièrement contraints. Pour la troisième année consécutive, nous subissons la réduction de nos effectifs. Les synergies créées par la fusion l'expliquent en partie. Mais nous sommes sans cesse sollicités pour de nouveaux travaux, par exemple sur la création d'une base de données des industriels utilisant des nanomatériaux. En outre, il est difficile de faire des choix et de fixer des priorités dans un champ si vaste, d'autant que les crises surviennent souvent là où on ne les attend pas.
L'international est un autre défi à relever. Nous sommes plus au fait des progrès scientifiques étrangers que nous ne l'avons jamais été. Le risque de prendre avec retard des décisions sanitaires s'estompe par conséquent. Mais il reste à aider nos partenaires moins avancés à se doter de dispositifs de surveillance crédibles. C'est le cas en Chine, qui vient de s'équiper d'une agence comparable à la nôtre.
Nous ambitionnons d'attirer les meilleurs scientifiques dans chaque domaine, en conciliant stricte indépendance et compétence. Nous réfléchissons donc à une meilleure valorisation de l'activité d'expert dans la carrière de scientifique. Dernier défi, restaurer la confiance des citoyens ébranlée par les crises sanitaires. L'excellence scientifique, l'indépendance, la transparence, doivent y concourir. Nous participons aux débats publics. Nous avons d'ailleurs créé au sein de l'agence des comités de dialogue sur des sujets très controversés, comme les radiofréquences ou les nanomatériaux. Parce qu'elle n'est pas en charge de la décision politique, l'Anses est un lieu de dialogue très ouvert.