Nous sommes une instance scientifique indépendante de l'administration, ce qui nous soustrait à toutes les pressions. Nous offrons un panorama mis à jour des connaissances scientifiques dans un domaine donné, sans exclure, je l'ai dit, les zones d'ombres qui demeurent, afin de fournir une base à la décision politique. En vertu du principe de précaution, celle-ci peut d'ailleurs consister à ne rien faire. Nous ne prenons en compte que les aspects scientifiques et sanitaires. Le politique peut y adjoindre des considérations d'une autre nature. En matière de santé au travail par exemple, nous émettons des valeurs limites d'exposition à certaines substances en fonction des risques aigus ou chroniques que la recherche scientifique a considérés comme en résultant. Nous consultons ensuite les industriels et recueillons leurs commentaires, avant que les pouvoirs publics ne prennent les décisions réglementaires qu'ils jugent nécessaires.
Notre force réside dans la transparence de nos processus d'évaluation et de publication des résultats. Nos collectifs sont constitués de manière très large et comprennent plusieurs experts par champ d'expertise. Nos appels à candidature sont les plus ouverts possible, afin d'éviter la cooptation. Des procès-verbaux rendent compte des débats des collectifs. Enfin, nous entretenons des contacts avec les journalistes et les différents relais d'opinion pour faire la pédagogie de nos résultats. Par exemple, le bisphénol A fait l'objet d'avis très divergents : nous les confrontons.
Le domaine du médicament fonctionne autrement : des dossiers très aboutis nous sont présentés, et l'évaluation n'est pas réalisée uniquement pour l'autorisation de mise sur le marché, mais aussi pour en déterminer le remboursement, en suivant les recommandations de la Haute Autorité de santé. L'ANSM n'est donc pas la seule à intervenir. Dans les autres pays, en dehors du médicament, les agences séparent souvent l'évaluation et la gestion des risques. Ces dispositifs fonctionnent bien lorsque chaque acteur joue pleinement, mais exclusivement, son rôle.
La capacité de s'autosaisir est un des éléments de notre indépendance. Plus de 90 % de nos saisines sont le fait des ministères. Et dans 5 % à 6 % des cas, des partenaires sociaux - sur les travailleurs qui goudronnent les routes, ou sur les pathologies des égoutiers par exemple. Nous nous autosaisissons une dizaine de fois par an. A la création de l'Anses, la santé des travailleurs exposés aux produits phytosanitaires était un vrai sujet. Nous avons créé notre propre groupe d'experts, indépendant du cadre réglementaire mis en place à l'époque, pour approfondir le sujet. La fusion a facilité le croisement des données agricoles et environnementales. Nous travaillons aujourd'hui, à notre propre initiative, sur les compléments alimentaires, ou encore sur la résistance aux antibiotiques - les antibiotiques de dernier recours étant les mêmes en médecine humaine et vétérinaire, des recherches sont à conduire dans ces deux domaines.
Nous n'avons pas de délégations régionales, mais des implantations à proximité des grands territoires d'élevage ou de culture. Nous avons un laboratoire à Ploufragan, près de Saint-Brieuc, compétent notamment sur les filières volaille et porcine ; un autre à Niort sur les caprins ; un autre encore à Sophia-Antopolis sur la santé des abeilles, sujet particulièrement épineux sur le plan scientifique en raison de la multiplicité des facteurs à prendre en compte. Ce dernier a d'ailleurs été nommé laboratoire de référence de l'Union européenne. Le lien avec les ARS n'est que ponctuel, mais les thématiques liées à la santé, à l'eau, à l'environnement justifieraient une coopération plus structurelle.
Le secteur de l'alimentation ne peut que nous interroger. Le scandale de la viande de cheval n'était certes pas de nature sanitaire, mais la complexité des circuits économiques suscite une préoccupation sur le plan sanitaire. Si nos laboratoires ne sont pas compétents pour faire des contrôles, ils conçoivent les méthodes qui servent à harmoniser les analyses décidées par les pouvoirs publics. Dans un contexte d'érosion des moyens, renforcer leur efficacité est une priorité : nos outils analytiques permettent désormais de rechercher jusqu'à 150 contaminants à la fois ; nos outils de séquençage identifient plus rapidement les gènes responsables d'une crise comme celle causée par la bactérie escherichia coli en 2011, responsable de 52 morts en Europe.
L'Anses suit également l'évolution de la qualité nutritionnelle des aliments. Notre observatoire de la qualité des aliments (OQALI) mesure la réalité des engagements pris par les industriels en matière de réduction de la teneur en gras ou en sel, et l'impact global de ces évolutions, en fonction des parts de marchés de chacun.
Nous travaillons étroitement avec l'Anact, bien que nous soyons plus investis dans les problèmes d'exposition aux produits chimiques. Nous sommes en outre très mobilisés dans le Plan de santé au travail.
Nous ne jugeons pas la qualité des travaux de recherche. Nous initions certains chantiers ; nous mobilisons les acteurs, comme nous l'avons fait avec l'Inserm sur les effets des pesticides sur la santé. Nous sommes certes parfois sollicités pour faire office de super comité de lecture, comme ce fut le cas pour les travaux de Gilles-Eric Séralini sur les OGM. Ce n'est toutefois pas notre rôle. Nous nous bornons, le plus souvent, à resituer les publications scientifiques dans un contexte plus large. Jamais une publication n'apporte la preuve unique et définitive : c'est le nombre de publications convergentes qui compte.
Nous avons cinq ministères de tutelle. Ce n'est pas simple, mais garantit paradoxalement notre indépendance, car nous ne sommes la chose d'aucun ! Certes, les positions des ministères divergent sur certains points. Mais le pilotage se fait de manière tournante tous les six mois, et nous échangeons trois ou quatre fois par an avec les cinq directeurs généraux. Cela fonctionne bien.
Notre seul souci est d'attirer des scientifiques de qualité, de langue française. Nous faisons de gros efforts d'explication sur les règles qui encadrent nos méthodes d'évaluation, qui peuvent paraître contradictoires. La présence d'un expert lié à l'institut Danone dans un collectif chargé d'étudier les liens entre les produits laitiers et la croissance, par exemple, nous paraissait impossible : l'intéressé l'a mal pris. Aujourd'hui, chacun l'admet plus facilement, car nous avons fait de la pédagogie. Cependant, nous ne pouvons souhaiter avoir affaire à des moines chercheurs, qui n'auraient aucune connaissance concrète des procédés technologiques ni aucun lien avec le monde extérieur !
Le Parlement ne peut pas, pour l'heure, saisir l'Anses. Nous pouvons certes nous autosaisir si vous attirez notre attention sur un point précis. Mais nous sommes très demandeurs d'un mécanisme plus direct.