Intervention de Didier Bernus

Commission des affaires sociales — Réunion du 26 juin 2013 : 2ème réunion
Table ronde sur la prévention du suicide

Didier Bernus, membre du Conseil économique, social et environnemental :

Je vous remercie de cette audition qui permet de prolonger le rapport du CESE dont le titre dit l'ambition « Suicide : Plaidoyer pour une prévention active ». Ce rapport intervient, symboliquement, vingt ans après celui présenté par Michel Debout au Conseil économique et social qui avait montré que le suicide est un problème de santé publique.

Je ne reviendrai pas sur les éléments de constat que vous avez donnés. Je pense qu'il faut retenir qu'il y a en France plus de dix mille morts par suicide chaque année et que ce sont des morts évitables. Contrairement à ce que l'on entend souvent, le suicide n'est pas une fatalité. C'est pour cela que nous souhaitons une prévention active. Il s'agit d'empêcher qu'une personne souffrant de mal être ne fasse un geste définitif. Il faut convaincre qu'il est possible d'éviter le passage à l'acte.

Le premier problème est de mieux connaître le phénomène. Le suicide a des causes multifactorielles et chaque situation est différente car elle relève de l'intime. En aucun cas il n'est question de se pencher sur la vie de chacun mais il est nécessaire de prendre des dispositions générales en matière de prévention.

Le nombre de suicides est relativement constant en France même s'il tend à baisser depuis vingt ans car les pouvoirs publics se sont réveillés. Nous ne partons donc pas de rien et des plans relatifs au suicide, ainsi que des plans de santé mentale, ont été mis en place. L'Institut de veille sanitaire travaille sur les données relatives aux suicides mais les chercheurs reconnaissent eux-mêmes les limites de leurs travaux et la nécessité de mesures concrètes. La volonté militante d'acteurs associatifs et de soignants a également beaucoup contribué à la mise en place de dispositifs efficaces. Des actions concrètes sont menées à Lyon, Lille ou encore à Brest. Il faut néanmoins reconnaître que les initiatives militantes actuelles manquent de coordination.

En matière d'épidémiologie, on sait qu'il y a entre deux cents et deux cent vingt mille tentatives de suicide par et que plus de 60 % des personnes qui se suicident ont auparavant tenté de le faire.

Les actions ciblées sur les jeunes ont pu donner des effets, le pic épidémiologique des suicides se situe entre 30 et 60 ans, ce qui doit nous amener à réfléchir sur les causes de ce phénomène. Il existe une sociologie des suicides et des facteurs de risque ont été identifiés par les professionnels au travers de conférences de consensus. Ainsi dans 70 à 90 % des cas, le suicide est lié à la dépression.

Il y a aussi des facteurs aggravants qui déclenchent le passage à l'acte. Il faut trouver les moyens d'intervenir pour interrompre le processus. L'isolement, qui ne se limite pas à la solitude, est un point déterminant et il faut essayer de rétablir un lien social avec ceux qui en souffrent. Les différents cadres que sont la famille, les associations, le travail devraient être un facteur d'intégration mais ils peuvent parfois créer de l'isolement par manque de communication.

Comment prendre en charge les personnes suicidaires ? On peut regretter que le plan de lutte contre le suicide et les plans de santé mentale ne soient pas coordonnés. A mon sens, l'appellation de plan de lutte contre le suicide n'est pas la plus adaptée. Mieux vaudrait parler de plan de prévention.

Les centres de prévention du suicide, qui sont animés par des associations ou des établissements de santé, sont très fragilisés pour des raisons budgétaires. Des conventions leur permettant d'exercer leur mission ne sont pas reconduites, ce qui a entraîné la disparition de 60 % de centres en Ile-de-France.

Il faut soutenir la mise en place de dispositifs de veille et de suivi et permettre l'accès rapide à des professionnels formés dans tous les services d'urgence. A l'heure actuelle, ce sont principalement les CHU qui disposent d'unités dédiées. Trop souvent, les personnels non formés tendent à minimiser les tentatives de suicide alors qu'une barrière a été franchie.

Plusieurs axes se dégagent en matière de prévention. Tout d'abord, il faut colliger les informations disponibles et récolter les informations manquantes pour dégager des actions concrètes. Si l'on prend l'impact de la crise économique et des plans sociaux sur les salariés, il est incontestable qu'il s'agit d'un facteur aggravant. La Grande-Bretagne a la capacité d'évaluer la surmortalité suicidaire liée à la crise. Il s'agit de mille suicides de plus par an. En France, nous ne savons pas évaluer cet impact.

La question de l'observatoire national dont nous souhaitons la création est centrale. Il doit être appuyé sur les équipes de terrain car les situations locales ne sont pas identiques. Il faut également utiliser les capacités d'expertise dont nous disposons déjà et créer des réseaux. L'observatoire doit être en mesure de faire des recommandations en dehors de toute contingence.

La prévention du suicide n'est pas seulement une affaire de spécialistes. Cela nous concerne tous. Comme il y a trente ans avec les accidents de la route, il faut dépasser le fatalisme. On doit faire prendre conscience à la population que l'on peut agir et qu'il faut reconnaître les signes d'alerte. Cela passe aussi par des mesures concrètes. En Grande-Bretagne, des barrières ont été placées près des zones sensibles sur les voies ferrées et un message y est destiné à ceux qui envisagent le suicide pour tenter de les faire réfléchir, de retarder le plus possible le passage à l'acte.

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