Lors du récent déplacement d'une délégation de la commission des affaires sociales au Québec nous appris que la province a mis en place un réseau de « sentinelles » chargées de la prévention du suicide. Il s'agit là d'un autre exemple de mesure concrète.
Pr Michel Debout, professeur de médecine légale et de droit de la santé à l'université de Saint-Etienne, président de Bien-être et société. - Le suicide me paraît être une question majeure car la manière dont il est traité montre le prix qu'une société attache à la vie humaine.
Peut-on accepter que des personnes quittent la vie et qu'elles ne fassent rien de leur existence ? Je suis professeur de médecine légale et j'ai donc « rencontré » beaucoup de personnes mortes de suicide, mais aussi beaucoup de familles, et cette expérience a été particulièrement marquante. J'ai créé à l'hôpital de Saint-Etienne un des premiers services d'urgences qui a pris en charge de nombreuses personnes ayant tenté de se suicider.
La question du suicide est rendue plus complexe car, quand il y a cinquante ou soixante ans on parlait de suicide, on parlait des morts. Aujourd'hui, on parle plutôt de personnes vivantes et le problème est d'éviter la répétition des actes suicidaires. La démarche est donc différente.
C'est une vieille affaire que le suicide, la question se pose depuis qu'il y a des humains. La question est à la fois philosophique, sociale et religieuse, et ce sont des dimensions qui ne peuvent être évacuées. En France, l'interdit moral et religieux a longtemps pesé, on violentait le corps du suicidé et l'opprobre pesait sur sa famille. Ce n'est que depuis 1969 qu'une personne décédée par suicide a la possibilité d'obtenir des obsèques catholiques. Pendant longtemps donc, la question n'était pas celle de la prévention, mais l'interdiction. Le suicide était une réalité dont on ne parlait pas.
Le temps de la prévention n'a donc débuté que très récemment. On ne s'en préoccupe que depuis l'après-guerre. Il reste d'ailleurs beaucoup de freins et d'interrogations sur la société concernant le suicide. Ces questions se retrouvent en chacun de nous. Dès lors, une politique de prévention est difficile à développer. Il est révélateur qu'on en soit toujours aujourd'hui à demander un observatoire sur cette question, alors qu'en France, on observe tout. On nous a opposé de nombreux arguments pseudoscientifiques pour écarter cette création, mais le suicide ne concerne pas seulement l'épidémiologie, ni même les seuls acteurs médicaux.
Il y a eu deux ruptures en matière de pensée sur le suicide. Tout d'abord, les médecins aliénistes de la première moitié du XIXe siècle ont noté la fréquence du suicide dans les asiles. Ils ont établi un lien entre suicide et folie, et considéré que l'on ne se suicide que si l'on est fou. Cela est faux bien sûr, mais cela a eu l'intérêt de poser la question non plus en terme de morale, mais de médecine. La deuxième rupture intervient en France à la fin du XIXe siècle, avec l'oeuvre de Durkheim. Il montre que le suicide est certes un problème individuel, mais aussi qu'il existe un taux de suicide dans une population, et que ce taux varie dans une société et augmente surtout quand elle est en crise. Les effets de la crise sur le taux de suicide sont observés au Royaume-Uni, en Grèce, en Italie et en Espagne, mais nous ne disposons d'aucun élément pour la France.
Il y a donc deux approches qui se complètent. Il y a tout d'abord une approche médicale qui s'adresse aux individus, mais pas uniquement : elle s'adresse également aux groupes qui sont les plus exposés, les chômeurs, les exclus, les personnes surendettées. Parce que le suicide est un fait de société, il faut également développer une prévention sociale.
Parler de suicide est parler d'une chose négative, il faut donc plutôt essayer de développer le bien-être dans la société en prenant en compte la détresse humaine. Comment pouvons-nous accepter que des personnes s'immolent ? C'est contraire à la fraternité humaine qui figure dans la devise républicaine.
Je souhaite enfin souligner que quand un suicide survient, il y a une onde de choc sur la famille et sur l'entourage qui se trouve marqué et déconstruit. Le Québec mène des actions intéressantes d'accompagnement des endeuillés et de prévention les concernant.
Au Québec, effectivement, nos interlocuteurs nous ont présenté le concept de « postvention » qui prend la suite de la prévention en matière de suicide.