Intervention de Didier Bernus

Commission des affaires sociales — Réunion du 26 juin 2013 : 2ème réunion
Table ronde sur la prévention du suicide

Didier Bernus, membre du Conseil économique, social et environnemental :

Vos questions sont symptomatiques car elles renvoient toutes, à des degrés divers, à vos expériences personnelles ou professionnelles. En outre, il y a toujours la tentation de vouloir une sorte de « catalogue des recettes » pour combattre le suicide, mais bien sûr, il n'y a pas de solutions miracle.

Il est effectivement essentiel de suivre les personnes qui ont fait des tentatives de suicide et leur entourage, et d'accompagner également les proches des personnes qui se sont suicidées pour éviter toute reproduction du geste. Le risque est grand, car le suicide s'inscrit alors dans le « logiciel » de pensée de l'entourage, surtout pour les personnes les plus proches de la victime.

S'agissant de la prévention sur les lieux de travail, il est clair que cette question renvoie plus globalement à l'organisation du travail elle-même. Le suicide apparaît comme un symptôme, la résultante de certains types d'organisation du travail. Certains salariés reçoivent des injonctions paradoxales, c'est-à-dire des ordres contradictoires, qui peuvent être déstructurants. Bien souvent, les responsables dans les entreprises ne prennent pas la mesure de leurs décisions sur la santé mentale de leurs salariés. Prenons un exemple concret : on a réussi à diminuer le nombre de chutes de hauteur dans le secteur du BTP en imposant de nouvelles règles de sécurité et grâce à une prise de conscience des employeurs sur les conséquences d'un accident du travail sur la bonne marche de l'entreprise. C'est pourquoi il faut prendre du recul sur les modes d'organisation dans les entreprises, et redonner du sens au travail des salariés.

Pr Michel Debout. - Depuis le premier rapport du Conseil économique et social sur la question, les choses ont heureusement évolué. Nous avions déjà à l'époque consacré un chapitre de notre rapport à la question du suicide au travail. Perdre son travail est un moment psychotraumatique. Or, aujourd'hui, les salariés victimes d'un plan social ne sont pas suffisamment accompagnés. Paradoxalement, quand on perd son travail, on perd la médecine qui va avec, alors que justement c'est dans ces moments-là que les services de santé au travail auraient le plus d'utilité.

Vouloir faire du suicide une grande cause nationale, pourquoi pas. Mais l'expérience prouve qu'ériger un sujet en grande cause nationale n'apporte pas toujours les résultats attendus. Je préfèrerais quant à moi faire du suicide une grande cause de santé publique. J'avais dans ce sens demandé il y a quatre ans un « Grenelle de l'humain », afin de sensibiliser l'opinion publique et les acteurs institutionnels au suicide des jeunes, des adultes au travail et des personnes âgées, et je souhaite que le Sénat appuie ma démarche.

J'en viens aux modes opératoires choisis par les personnes qui décident de se suicider. Il faut comprendre que trois choix sont faits simultanément : la date, le lieu et le mode opératoire du suicide. Ces choix sont personnels, chargés de symboles, et difficilement modifiables. A mon sens, la pendaison renvoie à un contexte culturel et à un sentiment de culpabilité très fort, tandis que l'utilisation d'une arme à feu implique une mise à distance entre la personne et son corps. Se suicider sur son lieu de travail, en public, comporte une dimension symbolique très forte. De même, les personnes qui s'auto-immolent envoient un signal, elles veulent que les choses bougent pour les autres. Je rappelle que 95 % des suicides se font à l'écart du public.

S'agissant de la prévention des suicides au travail, je crois qu'il faut au préalable distinguer deux notions : il existe des « travailleurs fragiles », c'est vrai, mais il existe aussi des « travailleurs fragilisés » par leur emploi. Il faut donc aussi s'occuper de la dimension collective dans la prévention des suicides. A cet égard, les lois votées sur le harcèlement moral ont permis d'avancer sur le chemin de la prévention.

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