Merci de votre invitation. Le problème du dopage dans le cyclisme a toujours été ma priorité en tant que président de l'UCI, et l'est encore plus depuis six mois. L'UCI subit en effet les attaques des médias et des autres acteurs et organisations depuis la publication de la décision motivée de l'United States Anti-Doping Agency (USADA) au sujet de Lance Armstrong. Armstrong n'est pas le seul champion à s'être dopé, mais l'un des plus connus, et son cas a été aggravé par son comportement, pendant des années, à chaque fois qu'était soulevée la question du dopage. Cette affaire a beaucoup nui au cyclisme, un sport qui a pourtant fait beaucoup de progrès et rencontré un vrai succès lors des Jeux olympiques de Londres.
Depuis la décision de l'USADA, de nombreuses accusations ont été lancées contre l'UCI, contre moi-même et contre mon prédécesseur Hein Verbruggen. Même si je n'étais pas en fonction à l'époque de certains de ces faits, je suis ici pour vous parler, les yeux dans les yeux, de ceux dont j'ai eu connaissance et des décisions que j'ai prises en tant que président. Pour ce qui précède ma prise de fonction, je vous répondrai de mon mieux.
La lutte contre le dopage est l'une de mes priorités depuis huit ans, mais cela fait vingt ans que l'UCI est pionnière en la matière. Elle a été à la pointe de la technologie, avançant seule, prenant tous les risques, assumant seule les coûts. Le cyclisme n'a jamais fermé les yeux sur le fléau du dopage. En 1992, l'UCI fut la première fédération sportive internationale à créer une commission antidopage distincte de la commission médicale. Elle fut la première à introduire des prélèvements pour mesurer la présence de corticostéroïdes dans le sang et de l'EPO dans les urines, en en assumant le risque juridique et financier. Elle fut la première à conduire des tests pour détecter les transfusions sanguines homologues et l'hémoglobine de synthèse, et à lancer le passeport biologique. L'UCI est également la seule fédération internationale à avoir une fondation antidopage indépendante.
Depuis ma prise de fonction, j'ai lancé de nombreuses initiatives. En 2006, un programme de contrôle externe pour les laboratoires d'analyses de sang, que l'Agence mondiale antidopage (AMA) a repris pour le passeport biologique. En 2007, le programme « À 100 % contre le dopage », et la mise en place du passeport biologique sanguin. En 2008, le système « Adams », qui localise électroniquement l'athlète, et des tests sanguins pour détecter les hormones de croissance. En 2009, le programme « Vrai champion ou tricheur ? », et l'introduction de critères éthiques pour l'attribution des licences aux équipes professionnelles. En 2011, l'UCI fut la première à lancer une politique « Pas d'aiguille », généralisée par le Comité international olympique (CIO) lors des Jeux de Londres.
Le cyclisme occupe le troisième rang, après le football et l'athlétisme, pour le nombre de tests antidopage réalisés, et le premier pour les tests effectués hors compétition. L'an dernier, l'UCI a réalisé 14 168 prélèvements, dont 7 558 en compétition et 6 610 hors compétition, et 5 218 dans le cadre du passeport biologique. L'UCI est la première fédération internationale à avoir lancé ce programme, qui donne d'excellents résultats. Le passeport biologique concerne environ mille cyclistes par an, qui font partie du groupe cible et doivent faire connaître leur localisation via le système « Adams ». Ils sont testés 8,5 fois par an en moyenne. Environ 200 coureurs sont testés avant le Tour de France, et 150 prélèvements supplémentaires sont réalisés pendant la course. L'UCI a signé des accords d'échange de résultats avec d'autres organisations antidopage. Plus de trente athlètes ont été convaincus de dopage à l'EPO, des résultats anormaux dans le cadre du passeport ayant entraîné des tests urinaires ciblés. Cependant l'efficacité du programme réside moins dans le nombre de sportifs confondus et sanctionnés, que dans son effet dissuasif : ainsi, on demande généralement aux coureurs souhaitant changer d'équipe ou être sélectionnés en équipe nationale de fournir leur passeport biologique.
Le budget antidopage de l'UCI s'élevait l'an dernier à 7 millions de francs suisses, soit 5,7 millions d'euros, dont plus de la moitié pour les prélèvements réalisés hors et pendant les compétitions. Vous le voyez, l'UCI s'investit pleinement pour assurer un sport propre, sans dopage. Le cyclisme a changé, il serait injuste de condamner les coureurs d'aujourd'hui pour les fautes de leurs aînés. La culture du peloton a évolué, de grands athlètes tels que Philippe Gilbert, Mark Cavendish ou Bradley Wiggins soulignent que le cyclisme a su faire le ménage en son sein. Notre capacité à détecter le dopage a progressé, mais nous ne nous en tenons pas là : quand les récompenses sont aussi élevées, certains chercheront toujours le coup de pouce pour gagner. Notre mission est de les en empêcher. Ce n'est pas facile, mais nous avons fait de grands progrès.
Vous, hommes et femmes politiques nationaux et européens, avez aussi un rôle à jouer : vous pouvez faciliter la coopération entre les acteurs en adoptant des lois qui permettent le partage des informations entre autorités policières, organisations sportives et agences antidopage, notamment concernant le trafic de produits illicites. Il faut sanctionner pénalement, comme le fait la France, ceux qui fournissent ces produits. L'existence d'un délit pénal de dopage encouragerait également les forces de l'ordre à enquêter et à poursuivre davantage.
Au niveau national, vous pouvez encourager l'industrie pharmaceutique à coopérer avec les agences antidopage, afin que celles-ci anticipent mieux les dangers à venir. Enfin, les gouvernements nationaux peuvent mener des campagnes d'éducation sur les sujets moraux, éthiques et sanitaires en direction des jeunes athlètes et de leurs entraîneurs, notamment dans les écoles sportives.
Les athlètes ont le même droit que les autres au respect de la vie privée. Néanmoins, ceux qui se destinent à une carrière sportive doivent comprendre qu'ils acceptent de ce fait de se soumettre à des obligations spécifiques.
J'en reviens à l'affaire Armstrong. Non, l'UCI n'a pas protégé Lance Armstrong. Elle a pris des décisions conformes aux faits qui étaient connus à l'époque et aux connaissances scientifiques de l'époque ; ces décisions ont été prises de bonne foi, par des personnes responsables et neutres, qui ont contribué à faire de l'UCI un leader en matière de lutte antidopage. L'UCI s'est engagé à faire réaliser un audit indépendant de ses activités pendant les années Armstrong. Les discussions sont en cours avec l'AMA à ce sujet. Nous allons lui transmettre, ainsi qu'à l'USADA, tout ce qui concerne les prélèvements effectués sur Lance Armstrong. Nous souhaitons rétablir des relations constructives avec l'USADA et son président M. Tygart est d'accord pour me rencontrer prochainement.
Il y a beaucoup à faire pour réparer les dégâts que Lance Armstrong et quelques autres ont infligés à notre sport. Nous devons mieux communiquer sur nos activités antidopage, rassurer le public et nos partenaires, montrer que nous faisons tout pour que le cyclisme soit un sport propre, et que le peloton n'a rien à voir avec celui d'il y a dix ans.