Intervention de Jean-Marcel Ferret

Commission d'enquête sur la lutte contre le dopage — Réunion du 5 juin 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-Marcel Ferret ancien médecin de l'équipe de france de football de 1993 à 2004

Jean-Marcel Ferret :

Je tiens tout d'abord à dire que je suis honoré d'être auditionné par votre commission d'enquête.

On ne peut plus aujourd'hui parler de sport et de médecine sans parler de dopage. Or, le médecin n'est pas uniquement celui qui fait des piqûres ou qui promeut la performance ! La médecine française occupe une place particulière en Europe, dans la mesure où la formation de nos médecins est bien plus humaniste que celle que l'on dispense dans des pays comme l'Italie, l'Espagne ou l'Allemagne. Beaucoup de joueurs étrangers arrivent de ce fait en France avec une culture médicale différente.

J'ai débuté ma carrière dans le football en 1976, avec Aimé Jacquet, à l'Olympique lyonnais (OL). J'y suis resté trente ans. En 1993, j'ai eu la chance d'être appelé par Gérard Houiller pour m'occuper de l'équipe de France. J'y ai trouvé un fonctionnement médical amateur, dans la mesure où il n'existait pas de suivi des joueurs. On s'est aperçu que ce fonctionnement était très insuffisant pour tirer toute la quintessence souhaitée des joueurs -bien sûr dans le respect de l'éthique.

C'est pourquoi nous avons mis au point, en 1998, avec Aimé Jacquet, un suivi d'environ 35 joueurs, qui a duré pratiquement deux ans. À chaque rassemblement à Clairefontaine, nous faisions un certain nombre de tests qui nous ont permis de bien connaître les joueurs et de mettre au point, lors du Mondial de 1998, une préparation physiologique qui a beaucoup compté dans la réussite de l'équipe. Lors de la finale, on a écrasé les Brésiliens, mais certains joueurs m'ont dit ensuite qu'ils auraient été capables de jouer un huitième match !

L'aventure aurait toutefois pu s'arrêter en huitième de finale contre le Paraguay, sans le but en or de Laurent Blanc. On n'aurait alors pas échappé aux foudres médiatiques ! Après la victoire, les gens nous remerciaient de les avoir fait rêver, ce qui a été une grande récompense.

Lors de ce Mondial, dix-sept joueurs ont été contrôlés dans la phase de préparation par le ministère de la jeunesse et des sports, un an avant le début de la compétition ; durant cette dernière, quatorze joueurs ont par ailleurs été contrôlés. Nous avions également réalisé des contrôles internes, notamment en matière de drogues « récréatives », ce qui nous a permis de gérer les choses sans qu'il y ait de problèmes. L'ensemble de ces contrôles se sont révélés négatifs.

Il existe à ce sujet deux polémiques... La première résulte du contrôle des joueurs de l'équipe de France, à Tignes, le 26 décembre 1997, à l'initiative de Marie-Georges Buffet. Il s'agissait d'un stage familial, destiné à souder le groupe. Le lendemain de Noël, nous avons vu débarquer un préleveur, qui voulait contrôler un certain nombre de sportifs. Ceux-ci ont été contrôlés, mais cela a nécessité la journée, certains joueurs étant partis par monts et par vaux. Cela ne nous a pas tellement fait plaisir, mais je suis étonné qu'un ministre de la République affirme qu'elle n'a pas eu le courage de faire réaliser d'autres contrôles ! Il est vrai, pour autant que je me souvienne, que nous n'en avons plus subi jusqu'à la compétition, à l'exception de ceux de la Fédération française de football (FIFA) : deux joueurs sont tirés au sort après un match, finale comprise, et sont contrôlés, ce qui ne va pas sans poser quelques problèmes. Les joueurs sont obligés d'aller directement au contrôle antidopage ; or, après la finale a lieu la remise de récompense aux vainqueurs. C'est un peu dommage pour les deux joueurs tirés au sort...

La deuxième polémique émane de mon confrère Jean-Pierre Paclet qui, plus dix ans après l'événement, a mis en cause les résultats biologiques de l'équipe de 1998. Je tiens ici à rassurer chacun : les sportifs présentent toujours des profils biologiques anormaux mais, avec un laboratoire lyonnais, nous sommes allés au bout des choses pour être sûrs qu'il n'existait aucun problème.

La prise d'érythropoïétine (EPO) provoque la fabrication de globules rouges. Il est donc facile de se rendre compte, d'après un examen biologique basique, si le taux de jeunes globules rouges est élevé ou non. Si c'est le cas, il y a suspicion de prise de produits exogènes. Cela n'a jamais été le cas !

J'ai également lu dans la presse qu'il existait une suspicion de transfusion sanguine durant la Coupe du monde. Je tiens à rassurer tout le monde : pour faire des transfusions sanguines, il faut un gros laboratoire derrière soi et beaucoup d'argent ! Il n'a jamais été question de perfusions, ni d'autoperfusions dans le cas évoqué ! Le taux de jeunes globules rouges est alors beaucoup moins élevé que la normale, puisqu'on injecte des globules rouges frais. On a donc des moyens directs de détecter une prise de produits exogènes.

Ce qui compte surtout, en biologie, ce sont les très grosses variations. Quand un hématocrite passe de 40 à 52, on peut se poser certaines questions. Quand ce taux d'hématocrite reste à environ 48-49 tout au long d'une saison, les choses ne sont pas de même nature !

Je l'ai dit à l'époque à la presse, quand on m'a interrogé : « Croyez-vous que je sois suffisamment stupide pour laisser des contrôles biologiques anormaux dans les dossiers des joueurs en cas de problème ? » Je regrette que certains confrères aient besoin d'exister à travers un livre, dix ans après l'événement -mais j'en ai fait mon deuil !

Pour en revenir au contrôle, je considère que le ballon rond a été relativement épargné par le dopage, au moins jusqu'en 2008, date à laquelle j'ai décroché du football professionnel français grâce, je le répète, à la formation humaniste dont ont bénéficié les médecins français. Notre premier credo est la santé du joueur, non la performance à tout prix. Nous nous distinguons ainsi de nos confrères étrangers, sans compter certains médecins sulfureux, italiens ou espagnols.

Certes, le dopage peut exister dans le football, mais il s'agit d'un sport multifactoriel. Les sports les plus touchés sont des sports énergétiques, où il suffit de prendre certains produits pour améliorer les performances de 20 à 25 %. Dans le football, la performance physique n'est pas tout. L'intelligence de jeu, la tactique et la technique comptent également. Le comprimé permettant d'acquérir la technique de Zizou n'existe malheureusement pas !

Ces deux facteurs ont fait que le football a été relativement épargné par les phénomènes de dopage organisé, qui nécessitent énormément d'argent. Dans l'affaire Armstrong, il fallait un budget d'environ un million d'euros par an pour arriver à ce qui a été fait.

Oui, j'ai été confronté au dopage, comme tout médecin qui s'est occupé de sportifs. Dans le football, le dopage est passé par les centres de formation, avec l'arrivée du haschich, dans les années 1980-1985. À l'époque, on avait alerté la Fédération et les pouvoirs publics. On nous a demandé de nous débrouiller seuls ! On était loin des contrôles actuels...

Le football peut être davantage touché par les drogues « récréatives » que par le dopage destiné à stimuler la performance. C'était du moins encore le cas en 2008. Je ne puis plus me prononcer à présent. Certaines rumeurs ont circulé à propos de l'Espagne. Je ne me prononcerai pas sur ce point, n'étant plus au fait de tous ces phénomènes.

Je regrette que l'on ne considère plus le sport et les victoires qu'à travers l'optique du dopage. Énormément de sportifs sont propres, et l'on peut être au plus haut niveau en football sans recourir à un procédé physique ou chimique contraire à l'éthique.

J'ai surtout été confronté au dopage individuel, souvent dû à l'entourage familial. Quand l'équipe ne tourne pas, on trouve toujours un dirigeant ou quelqu'un d'autre pour proposer certains produits. Il m'est arrivé à quelques reprises que les joueurs me soumettent un produit dont la boîte avait été grattée. Quand on est médecin, on reconnaît cependant les comprimés. J'ai été confronté deux ou trois fois à ce phénomène. La première fois, il s'agissait de Captagon, une pseudo-amphétamine. Cela remonte à loin. La seconde fois, il s'agissait de corticoïdes. Le capitaine de l'équipe m'a demandé ce que j'en pensais. Je lui ai dit que c'était un euphorisant, et qu'on ne faisait pas une carrière avec ce type de produit ! La longévité sportive des footballeurs de la génération 1998 a été extrêmement importante. C'est un critère qui va à l'encontre du dopage, au moins dans le milieu du football.

En trente ans d'OL et onze ans d'équipe de France, je n'ai jamais eu vent de dopage organisé, à l'instar d'autres disciplines. Les footballeurs ne sont pas des saints, et c'est plus l'aspect multifactoriel de la performance qui les a protégés. Je pense que le corps médical a également une responsabilité dans ce domaine, le football ayant été médicalisé -dans le bon sens du terme- à partir des années 1970, alors que d'autres sports ont été médicalisés beaucoup plus tard, et dans le mauvais sens du terme !

La présence du médecin a permis de préserver la santé des joueurs. Un bon médecin du sport était autrefois celui qui remettait un joueur le plus vite possible sur le terrain. Aujourd'hui, ce n'est plus d'actualité : le bon médecin est celui qui remet le sujet sur le terrain quand il est capable d'y être, à 100 % de ses performances physiques et mentales.

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