Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec un intérêt tout particulier que l’enseignant que j’étais suit ce débat sur la refondation de l’école, tout en s’interrogeant sur son application outre-mer, en particulier dans le territoire que je représente, à savoir Wallis-et-Futuna.
Qu’il me soit permis ici de rappeler la spécificité de ces deux îles du Pacifique, du fait de leur situation géographique et de leur histoire. Territoires français depuis 1961, elles ne bénéficient d’un véritable système d’enseignement que depuis une cinquantaine d’années.
Le premier degré est, par convention, totalement délégué par l’État à la direction de l’enseignement catholique ; le secondaire est assuré par l’État lui-même.
Le projet de loi, dans son article 59, prévoit que sa transposition se fera par ordonnances. J’espère que ces dernières, monsieur le ministre, seront préparées en concertation avec les élus et l’ensemble des acteurs locaux de l’institution scolaire. Le Gouvernement envisage-t-il de faire appliquer la loi dans sa quasi-intégralité ?
Un des points clefs de ce texte concerne la réforme de la formation des enseignants. Il s’agit d’un domaine assez complexe de par l’histoire, la géographie et la compétence des collectivités française du Pacifique, à savoir la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna. La formation des enseignants y a été assurée par l’IUFM du Pacifique, dont une antenne avait été implantée à Wallis. Par la suite, les universités de Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie ont chacune absorbé cette ancienne structure, l’antenne de Wallis-et-Futuna étant intégrée à l’université de Nouvelle-Calédonie.
Monsieur le ministre, pour des questions de disponibilité de places et de compétences en matière d’enseignement, il serait souhaitable que la formation des enseignants de Wallis-et-Futuna puisse relever officiellement des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPE, qui seront mises en place au sein des universités de Polynésie Française et de Nouvelle-Calédonie, dont les conseils d’administration comportent tous deux des représentants de Wallis-et-Futuna.
Sur notre territoire, le recrutement des maîtres est actuellement ouvert aux bacheliers qui, à l’issue d’une formation de trois ans, passent un diplôme d’instituteur. Il serait désormais souhaitable d’instaurer le grade de professeur des écoles à Wallis-et-Futuna, lequel pourrait être attribué à celles et ceux qui iront en ESPE.
L’obtention d’un master 1 constitue une perspective intéressante pour nos jeunes se destinant à l’enseignement. Les carrières de l’éducation nationale doivent leur être ouvertes, avec toutes les possibilités et les grades existants.
Cet aspect est également important pour le secondaire, où les professeurs Wallisiens-et-Futuniens de collège et lycée sont très peu nombreux par rapport aux enseignants métropolitains mutés pour quelques années seulement.
La loi prévoit également la création d’un fonds d’aide aux communes pour la mise en place d’activités périscolaires dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires. Or, à Wallis-et-Futuna, il n’existe pas de communes. Dès lors, comment pourrait-on bénéficier de ce fonds ?
Monsieur le ministre, la fracture numérique, ou plutôt la quasi-inexistence du numérique, est très pénalisante pour nos élèves, et je me réjouis des engagements pris dans ce projet de loi en matière d’enseignement au numérique.
Nos établissements scolaires ne bénéficient pas d’un équipement informatique suffisant, ni de connexions internet satisfaisantes. Cela représente un sérieux handicap dans le cursus scolaire de nos élèves. Sur un territoire exigu, enclavé et éloigné de tout, Internet est pourtant primordial pour s’ouvrir au monde et le découvrir.
Cette déficience est aussi particulièrement problématique en raison du retard pris par les jeunes dans la maîtrise de l’outil informatique, ce qui les pénalise par rapport à leurs condisciples métropolitains lors de la poursuite de leurs études supérieures. Dans ce contexte, quelles mesures pratiques pourrez-vous prévoir pour le territoire dans les futures ordonnances?
J’aimerais maintenant souligner les avancées du présent projet de loi en matière de langues régionales, un sujet auquel je m’intéresse tout particulièrement.
Parmi les 200 000, et plus, jeunes Français en métropole ou en outre-mer concernés par l’enseignement des langues régionales, ou en langue régionale, dans les écoles, les collèges et les lycées, on compte une grande partie des jeunes de nos îles. Ces derniers utilisent au quotidien et dans tous les domaines leur langue maternelle locale, à côté du français qu’ils maîtrisent tous. Cela fait plusieurs années que l’enseignement en wallisien-et-futunien a été mis en place en maternelle et au primaire, mais il reste des aspects à améliorer.
Trop souvent, ces langues locales ne sont envisagées que comme des marchepieds vers le français. L’objectif ultime est donc de former des élèves « monoglottes » en français, alors que la persistance des langues vernaculaires permet de viser un véritable bilinguisme pour l’ensemble des élèves.
Monsieur le ministre, je me félicite que la loi étende la possibilité d’enseignement en langues locales à l’école. Cela offre une légitimité accrue et une reconnaissance culturelle à ces idiomes autrefois bannis des salles de classe.
Cependant, il n’existe toujours pas d’épreuve de wallisien-et-futunien au baccalauréat, alors qu’une telle mesure a été rendue possible pour le tahitien en 1981 et pour les langues kanak en 1992, au travers de l’extension de la loi Deixonne. De plus, il n’existe toujours pas non plus de diplôme universitaire de wallisien-et-futunien, ce qui pénalise fortement les élèves de notre territoire souhaitant devenir professeurs et enseigner les langues locales.
Les jeunes du territoire seraient pourtant nombreux à vouloir enseigner le wallisien-et-futunien, aussi bien à Wallis qu’en Nouvelle-Calédonie, mais le sort réservé à cette matière les décourage.
Je souhaiterais également aborder l’obligation, prévue par la loi, d’effectuer au moins un voyage à l’étranger durant la scolarité de chaque élève. Il s’agit d’une excellente idée, qui commence d’ailleurs à entrer dans les pratiques et qu’il serait donc tout à fait bénéfique de généraliser.
Une telle mesure représente un outil formidable au service de l’intégration régionale, dont la France et l’Union européenne ne cessent de répéter l’importance pour les régions ultrapériphériques, les RUP, et les pays et territoire d’outre-mer, les PTOM. Ce séjour de découverte, dans un milieu insulaire comme celui de nos îles, est plus que nécessaire. Cependant, notre isolement est tel que sortir du territoire pour rendre visite à nos voisins anglophones du Pacifique implique nécessairement de prendre l’avion.
Dès lors, comment le Gouvernement voit-il cette situation, et quels sont les moyens qu’il pourrait mettre en œuvre ?
L’éducation à la santé est une nécessité pour nos îles, confrontées à la présence de maladies spécifiques – dengue, paludisme, chikungunya et autres – qui représentent des menaces sérieuses pour la population.
De même, les règles d’hygiène et la modification de certaines habitudes alimentaires nécessiteraient un enseignement spécifique. Cette éducation à la santé dans le cadre scolaire est d’autant plus indispensable que l’agence de santé de nos îles ne dispose, faute de moyens financiers, d’aucun service consacré à la prévention.
Voilà, monsieur le ministre, les points que je souhaitais vous soumettre dans la perspective des ordonnances que le Gouvernement devra préparer pour rendre ce texte applicable à nos territoires, où les spécificités n’empêchent pas l’aspiration au progrès et à la modernité.