Comment a évolué la situation au Mali, tout d'abord ? Depuis avril, si, à la faveur d'une intervention militaire remarquablement efficace et d'une diplomatie non moins performante -cela n'a pas été assez dit !-, le Mali avance vers une certaine stabilisation -le ministre des affaires étrangères algérien, M. Médelci, vient d'ailleurs de l'affirmer-, nous estimons pourtant que les racines profondes d'un demi-siècle de crises maliennes (nous en sommes à la quatrième rébellion touareg !) n'ont -et ne pouvaient d'ailleurs pas- été traitées : les germes de déstabilisation possibles que nous avions identifiés sont toujours là.
La menace terroriste a beaucoup diminué ; 600 terroristes et 300 tonnes d'armes ont été neutralisés, tout le territoire a été visité par les forces françaises -dont je salue ici l'engagement-, elles continuent encore à chercher nos otages et à trouver des caches, sur indication de la population, non seulement dans le Nord, mais aussi à Gao, ce qui nous apparait comme très positif, car dissocier les populations des groupes terroristes est la clé de la réussite. Le rejet des groupes terroristes n'était pas acquis, car ces derniers peuvent représenter une certaine forme « d'ordre », ordre terrible, mais ordre quand même, pour des populations aux conditions de vie très dures.
Les groupes armés terroristes ne semblent plus avoir désormais la capacité de conduire des attaques organisées, mais des actions kamikazes ne sont pas à exclure. Si les « reins » d'AQMI semblent brisés, nous avions sous-estimé le MUJAO, qui a de fortes adhérences locales dans la boucle du fleuve Niger, et dont l'action ne se résume pas au narcotrafic. Ce groupe est très lié aux villages wahhabites, travaillés depuis des décennies par des prêcheurs fondamentalistes. Cela justifie qu'on laisse actuellement encore 3 200 hommes sur le terrain, dans une opération rebaptisée « Groupement Désert », avec un objectif de réduction à 1 000 hommes fin 2013. Ces forces viendront en appui, si besoin, de la MINUSMA, officiellement déployée depuis lundi dernier, dans des conditions qui garantissent notre liberté de décision et d'engagement pour son soutien éventuel.
Vous vous souvenez de l'appréciation que nous avions formulée de la qualité opérationnelle de la MISMA, Tchadiens et Nigériens mis à part. Il faut rendre hommage non seulement à nos soldats tombés ou blessés, mais aussi aux Tchadiens et à leur charge héroïque, qui s'est soldée par une trentaine de morts.
Force est de reconnaitre qu'avec plus de 12 000 hommes attendus, la MINUSMA disposera d'un effectif doublé. Des contingents mauritanien, chinois, bangladeshi, notamment, devraient venir en renfort. En attendant, ce sont les forces françaises qui rempliront, en fait, certaines missions que la sagesse de notre diplomatie a su remettre à l'ONU, notamment l'appui au processus politique (transport des urnes, surveillance d'une partie des 25 000 bureaux de vote...). Autre point positif, la mission de formation européenne avance, même si le 1er bataillon de 700 soldats maliens formé s'est mis en grève pour la cérémonie finale ! Après les permissions, il en manquait une centaine à l'appel.... Le deuxième bataillon, sur un total de 4 -trop peu au regard des défis-, est toutefois à l'instruction. L'organisation des élections présidentielles avance bien ; vous trouverez dans le rapport écrit les détails. Notre position est qu'il faut aller à l'élection, même si nous craignons un taux de participation assez faible -pas tellement à cause de la pluie ou du Ramadan, mais à cause de la désaffection de la population pour la politique, qui ne date pas d'aujourd'hui-.
Dernier point positif : les accords de Ouagadougou du 18 juin organisent le cessez le feu et l'élection à Kidal, avec un cantonnement du MNLA et un redéploiement progressif, « chaperonné » par les forces françaises et béninoises, de la gendarmerie et de l'armée maliennes. C'était essentiel, -nous avons d'ailleurs redouté un moment une « sortie de route » du processus de négociation-. C'est un beau succès, mais je le dis tout net : ce n'est pas suffisant. Car un traitement dans le long terme des racines de la crise nous semble toujours aussi nécessaire. Nous connaissons trop bien l'état d'esprit des Maliens -on a parfois l'impression que l'ennemi est le Touareg, et non pas le terroriste-. Les accords préliminaires de Ouagadougou renvoient à une deuxième phase le traitement des « vrais » sujets : décentralisation, organisation administrative, développement du Nord, commission internationale sur le massacre d'Aguelhok.... Nous craignons qu'une fois réglée la question emblématique du retour de l'armée malienne à Kidal, le gouvernement issu des urnes se désintéresse progressivement de la question de la réconciliation avec un Nord qui pèse si peu en termes électoraux : il faudra mettre toute notre énergie pour que s'engage un processus indispensable. Il nous parait souhaitable que le nouveau Président élu ou son Premier ministre aillent à Kidal pour ouvrir ce dialogue. Il faut, aussi, une route asphaltée entre Gao et Kidal !
L'hypothèque de la junte n'est pas totalement levée ; les putschistes ne sont pas exfiltrés et seraient encore à l'origine de certains « mouvements » plus ou moins spontanés, de la rue, des soldats, voire de certaines autorités...
La « reconstruction » des structures étatiques prendra du temps, qu'il s'agisse de l'armée, de l'administration ou des services à la population. À cet égard, nous ne sommes pas optimistes sur l'aide au développement. 3,2 milliards ont été promis à Bruxelles le 15 mai, mais notre méthodologie n'est pas la bonne : le plan porte sur le Mali et non pas sur le Sahel ; personne n'a vraiment évalué les raisons de l'échec passé ; il n'y a pas de coordination autre qu'« informelle » des différents bailleurs de fonds, et la France n'a pas à elle seule le poids suffisant pour tout mettre en cohérence ; un développement spécifique du Nord n'est pas prévu ; il doit l'être ; un tiers de l'aide sera versé directement aux collectivités maliennes : ont-elles les capacités techniques nécessaires ? Sur le plan du contrôle, nous suggérons un renforcement de l'actuelle autorité de vérification, le « Bureau vérificateur ». Nous avons même envisagé de proposer la création d'une Cour des Comptes.