Compte tenu de la situation au Sahel, nous formulons dans le rapport une série de recommandations pour notre politique intérieure, diplomatique et de défense. Sur le plan de la sécurité intérieure, deux phénomènes sont à suivre très attentivement : l'appel d'air vers la Syrie, (plus d'ailleurs que vers le Mali) d'« apprentis terroristes djihadistes » français, et les conséquences de leur futur retour au pays ; la banalisation, sur notre territoire, des trajectoires de radicalisation progressive, puis de passage -imprévisible- à l'acte, sous l'effet d'une rencontre, à la faveur d'une conversion, ou tout simplement via un endoctrinement par Internet. L'auteur présumé de l'attaque de la Défense est de mon département : c'était un converti...
Au plan diplomatique, un plan d'urgence de sécurisation de nos implantations diplomatiques doit être mis en oeuvre sans tarder, en particulier pour relocaliser notre ambassade à Tripoli. Mais la mécanique est vicieuse, puisque ces crédits proviennent des cessions (aléatoires) du patrimoine immobilier du Quai d'Orsay.
Nous voyons trois initiatives diplomatiques à court terme :
- un renforcement d'une « Stratégie Sahel » de l'Union européenne qui soit recentrée sur la Libye et le Niger notamment ; les Européens doivent être persuadés, dans leur propre intérêt, que leur sécurité se joue au Sahel ;
- un événement de haut niveau sur la Libye, comme nous l'avions fait l'an passé sur le Mali, en marge de l'Assemblée générale des Nations unies, pour mobiliser la communauté internationale ;
- un forum africain, co-organisé avec un think tank africain, qui se tiendrait en Afrique de l'ouest, et qui serait le symétrique du dialogue de Shangri-La pour l'Asie, sur la lutte contre la ''route de la drogue'' en Afrique de l'Ouest et au Sahel. L'idée est d'enclencher un dialogue régional, associant des États riverains des deux côtés de l'Atlantique.
Sur le plan militaire, le renforcement de nos capacités d'observation (avec les drones notamment) et la consolidation annoncée du renseignement et des forces spéciales devraient contribuer à accroître nos moyens sur les nouveaux points névralgiques, en liaison avec nos alliés et les États concernés.
Le groupe « Afrique » de notre commission se penchera surement sur la question de notre présence militaire sur ce continent, pour lequel on entend dire que les arbitrages de la loi de programmation militaire (dans quelques jours !) iraient vers une décrue sensible. Il nous parait quant à nous dangereux de rétrécir sans examen préalable ni solution alternative notre dispositif militaire en Afrique, comme, d'ailleurs, notre coopération militaire structurelle. Serval nous offre au contraire l'occasion de déplacer, en accord avec les États concernés, nos points d'appui vers le Nord et l'Ouest, pour mieux coller à nos intérêts et renforcer notre stratégie d'accès (autour d'un port en eau profonde comme Abidjan par exemple). Nous pourrions conserver des échelons « légers », en nénuphars, autour des zones de crise : Mali, Tchad, Niger, voire Burkina Faso. Parallèlement, il faut mieux articuler la présence française avec les échelons régionaux des forces africaines, avec deux pôles dédiés à la coopération, à respectivement Dakar (pour la CEDEAO) et, sur le même format, à Libreville (pour l'Afrique centrale), qui aideront à la montée en puissance de la « Force d'intervention rapide » africaine. Car la défense de l'Afrique par les Africains eux-mêmes doit rester notre objectif ultime. C'est à la fois notre intérêt et la condition de l'acceptation de nos bases sur le sol africain. Ces propositions ne sont pas définitives : elles visent à alimenter notre réflexion et surtout à résister, vous l'aurez compris, à la tentation du « hors sol », assez pressante ces temps-ci. Avant de laisser Jean-Pierre Chevènement conclure, permettez-moi de vous remercier, Monsieur le Président, de nous avoir confié, dès l'automne dernier, une mission aussi passionnante.