Oui, il s'agit du taux de couverture le plus faible parmi les régimes spéciaux ouverts, qu'il convient de distinguer des régimes des mines ou de la SEITA, qui sont en extinction.
Le ratio entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités n'a cessé de se dégrader en raison de la forte baisse des effectifs de marins. Ce recul de l'emploi maritime en France s'explique en partie par l'apparition de pavillons de complaisance. Les armateurs utilisant ces pavillons préfèrent alors recourir à des assurances privées, d'autant plus que les formalités d'immatriculation et d'affiliation prennent souvent entre un et deux mois.
Le déficit démographique explique le versement par l'Etat d'une subvention au régime de retraite des marins, afin d'assurer son équilibre. Pour l'année 2013, l'Etat verse une subvention de 834 millions d'euros à l'ENIM, qui sert à financer les pensions de retraite des marins. En outre, une subvention de 6 millions d'euros est versée au titre de l'action sanitaire et sociale de l'établissement. La dotation de l'Etat à l'ENIM représente donc plus de la moitié des ressources de l'établissement, toutes prestations confondues. A cette subvention totale de 840 millions d'euros de l'Etat s'ajoutent 169 millions d'euros versés au titre du mécanisme de transfert de compensation démographique entre régimes. Afin de financer les prestations maladie, l'ENIM reçoit en outre une subvention de 284 millions d'euros de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés. Comme vous pouvez le constater, le régime se trouve sous perfusion massive de l'Etat et des autres régimes.
Au final, les contributions patronales et les cotisations salariales ne représentent que 10 % des ressources de l'ENIM, toutes prestations confondues. Il faut également souligner que l'Etat prend en charge, à hauteur de 69 millions d'euros, les exonérations de charges sociales dont bénéficient les secteurs maritimes, notamment celui de la pêche, qui constitue un secteur en difficulté.
Je souhaiterais maintenant aborder le bilan de la réforme de l'ENIM. Comme je l'ai indiqué précédemment, une réforme importante a eu lieu en 2010. L'ENIM, qui était jusqu'ici une direction d'administration centrale, a été transformé en établissement public administratif. Ceci est une bonne solution pour séparer les tâches de gestion et de réglementation du régime.
S'agissant des effectifs de l'établissement - question à laquelle je suis toujours attentif - leur évolution est maîtrisée. A l'occasion du déménagement du siège de l'établissement à La Rochelle, les 110 fonctionnaires travaillant dans les locaux parisiens de l'ENIM, ont été pour la plupart reclassés dans d'autres directions du ministère de l'écologie. Un recrutement important de personnels sur place a donc été nécessaire, dont certains sont issus de caisses primaires d'assurance maladie. Malgré tout, le nombre d'équivalents temps plein travaillés (ETPT) de l'ENIM est en baisse : entre 2010 et 2012, 34 ETPT ont été supprimés, sur un total de 425 agents en 2012. Cette baisse a notamment été rendue possible par la fermeture du centre de prestations de Bordeaux. Le recrutement de personnel extérieur, à l'occasion de la réforme de l'établissement, a été particulièrement bénéfique et a participé à la modernisation de ce système vieillissant.
L'une des conséquences de la transformation de l'ENIM en opérateur de l'Etat est la signature d'une convention d'objectifs et de gestion (COG) avec les trois directions de tutelle (affaires maritimes, budget et sécurité sociale). Couvrant la période 2013 à 2015, elle s'articule autour de trois axes : l'amélioration du service rendu à l'assuré, le développement de partenariats avec d'autres acteurs du secteur social et la mise en oeuvre des politiques générales de l'Etat, telles que la lutte contre la fraude ou la réduction des dépenses de fonctionnement.
Lors de mes travaux, j'ai toutefois relevé deux points problématiques dans la gestion du régime. Le premier concerne le partage des tâches entre l'ENIM et les services déconcentrés de l'Etat. En vertu d'une convention, les directions départementales des territoires et de la mer effectuent un certain nombre de missions importantes pour le compte de l'ENIM : instruction des demandes d'affiliation des marins, enregistrement des entreprises d'armement, constitution des dossiers de demande d'aide sociale ou encore préparation des dossiers de pension d'invalidité. De facto, les services des affaires maritimes demeurent le lieu principal d'information et de contact pour les marins et les armateurs en matière de protection sociale. Or, lors de mon déplacement à Saint-Malo, j'ai pu constater que les agents sur place ne peuvent pas toujours répondre aux demandes d'information qui leur sont faites. C'est un vrai problème pour l'ensemble du système. Il s'agit certainement de l'une des raisons pour lesquelles le régime ne parvient pas à attirer certains nouveaux professionnels. Il conviendrait d'avoir un référent sérieux dans les principaux ports.
Le second domaine où des difficultés persistent est la coopération avec les autres organismes de protection sociale. La mise en oeuvre de l'adossement informatique à la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a apporté quelques améliorations, mais la coopération avec les autres régimes spéciaux, notamment pour mutualiser certains outils, est encore insuffisante. Ceci étant, je note la volonté du nouveau directeur de l'ENIM d'avancer dans ce sens. Un véritable travail de fond est mené pour moderniser la gestion du régime mais, malheureusement, certaines structures sont un peu dépassées.
Le régime est resté à l'écart des principales réformes des retraites, dont la réforme des régimes spéciaux de 2008. A première vue, les règles du régime apparaissent favorables. L'âge légal de départ à la retraite pour les marins est fixé à cinquante-cinq ans, avec une possibilité de départ anticipé à cinquante ans. Il n'existe pas de mécanisme de décote en cas de durée de cotisation insuffisante et la pension est calculée sur les trois dernières années de service, contre les vingt-cinq années les plus avantageuses dans le régime général. Malgré ces conditions plus avantageuses que le droit commun, le régime de retraite des marins apparaît peu attractif. Ceci est principalement dû à sa très grande complexité et à la rigidité d'un certain nombre de règles.
Tout d'abord, il existe plus d'une trentaine de taux de contributions patronales et de cotisations salariales différents. Ces derniers varient notamment en fonction du secteur maritime, du poste occupé par le salarié ou de la taille du navire. Ensuite, le calcul des pensions, des contributions des armateurs et des cotisations salariales s'effectue sur la base d'une grille de salaires forfaitaires, organisée en vingt catégories. Enfin, différents dispositifs d'allègement et d'exonération de charges sociales se sont empilés au fil des années. La multiplication des « niches sociales » tend à fragiliser le régime, qui souffre déjà d'un déficit structurel important. Le système est donc peu lisible à la fois pour les employeurs, les usagers et les services chargés de la gestion du régime. Lors des auditions, j'ai constaté qu'il y a unanimité pour considérer le régime de retraite des marins comme le plus complexe des régimes spéciaux. Il convient donc de profiter de la prochaine réforme des retraites pour poursuivre la modernisation et la simplification de ce régime spécial.
Ainsi, je m'essaie là à quelques audaces en formulant dix recommandations. En premier lieu, il convient de remettre à plat le partage des tâches entre l'ENIM et les services déconcentrés de l'Etat.