Intervention de Jacques Legendre

Réunion du 3 juillet 2013 à 14h30
Enseignement supérieur et recherche — Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Photo de Jacques LegendreJacques Legendre :

Vous vous êtes étonnée de la passion avec laquelle ce sujet a été abordé par la société civile, puis par le Parlement. Cette passion était nécessaire, car il ne s’agit pas d’un sujet mineur. On ne peut pas réduire le débat au régime linguistique d’un établissement d’enseignement supérieur. Il s’agit, en fait, du statut international de la langue française.

Certes, actuellement, la langue la plus largement utilisée dans le monde est l’anglais, l’« hyper-langue », comme disent les linguistes. Toutefois, le français fait partie, à côté de l’anglais, avec l’espagnol, le portugais, l’arabe, bientôt le chinois, des langues centrales, celles qui ont vocation à être utilisées internationalement. Le français est devenu la langue en partage de nombreux pays qui se sont d’ailleurs regroupés pour cela au sein de la francophonie. Encore faut-il, pour être une langue centrale, pouvoir répondre à tous les besoins de la société, être aussi une langue d’accès à la modernité et, donc, une langue de l’enseignement. En permettant officiellement que notre université s’ampute, dans certaines disciplines, de cette possibilité, c’était le statut même du français qui était remis en cause.

Dire qu’un tel sacrifice faciliterait l’accueil chez nous d’étudiants étrangers est aussi un mauvais argument. Que penseront les étudiants africains francophones qui souhaitent poursuivre leurs études chez nous si nous leur proposons de suivre des cours en anglais ?

Que penser d’étudiants français qu’on obligera à suivre en France des enseignements intégralement dispensés en langue étrangère, concrètement en anglais ? Vous conviendrez qu’il n’est pas normal de soumettre nos étudiants au diktat d’une langue dominante quand bien même sa bonne connaissance est évidemment devenue une nécessité.

Oui, il faut que nos étudiants maîtrisent les langues étrangères, et pas qu’une seule : il serait préférable qu’ils en maîtrisent deux !

Oui, nous devons avoir une politique active d’accueil d’étudiants étrangers francophones et non francophones ! Pour ces derniers, nous pouvons admettre qu’ils suivent des cours dans leur langue ou en anglais, ce qui était déjà permis par la loi Toubon.

Le problème est non d’attirer des étudiants étrangers avec des cursus entièrement en anglais, mais de garantir un encadrement suffisant de l’enseignement en langues étrangères pour qu’il ne porte pas atteinte au principe de souveraineté de notre langue en France. Il s’agit, ainsi, de défendre concrètement la diversité culturelle et linguistique. On ne défend pas la diversité culturelle si on ne défend pas aussi la diversité linguistique.

Si l’article 2 avait été adopté dans sa rédaction initiale, nos étudiants, dans les disciplines scientifiques en particulier, risquaient de ne plus travailler qu’en anglais. Il était donc nécessaire de revenir à une rédaction prévoyant la possibilité d’un enseignement donné partiellement dans une langue étrangère. C’est ce que j’ai proposé par voie d’amendement.

Le travail mené au Parlement a été assez consensuel, en liaison avec notre collègue Michèle André, à travers l’Assemblée parlementaire de la francophonie. Nous avons ainsi proposé à la Haute Assemblée un amendement aux termes duquel l’accréditation devra être délivrée avec indication du pourcentage d’enseignement en français. Je me réjouis que ce dispositif ait été validé par la commission mixte paritaire.

J’avais également proposé que le ministre de la culture soit informé des motivations et de la portée d’un tel enseignement. Je me réjouis également que ce point ait, lui aussi, été retenu.

La rédaction finale de l’article 2 a donc le mérite d’être claire : la langue française demeure la règle, l’enseignement en anglais l’exception, strictement encadrée.

J’ajoute que l’obligation pour les étudiants étrangers d’apprendre le français lors de leurs études, introduite par nos collègues députés, a été fort heureusement maintenue en commission mixte paritaire. Apprendre notre langue permettra à ces étudiants d’accéder à la littérature française et à notre culture, ce qui contribuera au rayonnement de notre pays à l’étranger.

Sur ce point, je crois que nous sommes parvenus à une rédaction équilibrée, mais il faudra rester vigilant. Ces dernières années, les services du ministère – pas seulement sous votre responsabilité, madame la ministre – ont fermé les yeux sur la mise en place d’enseignements en anglais qui violaient délibérément la loi Toubon. Le nouveau régime que nous définissons aujourd’hui devra être respecté. Conscients que certains tenteront de s’y soustraire, nous serons donc extrêmement vigilants.

J’en viens maintenant à d’autres dispositions essentielles du projet de loi.

Ce texte entend apporter des améliorations au dispositif mis en place par la loi LRU, ce qui est louable, même si cela semble un peu prématuré. En effet, cinq années seulement se sont écoulées depuis l’adoption de la loi, et sa durée d’application par les universités est encore plus brève.

J’ai noté quelques avancées au fil des articles, mais aussi, malheureusement, un net recul sur des points essentiels et pourtant bien acceptés par la communauté universitaire. Je pense notamment à la gouvernance, à l’évaluation et au regroupement d’établissements.

Premier point : concernant la gouvernance des universités, le projet de loi reprend l’idée de collégialité dont nous avions débattu en 2007.

Le Gouvernement veut introduire à tout prix davantage de collégialité, jusque dans la prise de décisions. Une telle politique est, nous le craignons, déstabilisante pour les universités qui viennent de constituer leur conseil d’administration. Celui-ci devra déléguer certains de ses pouvoirs à un conseil académique né de la fusion du conseil scientifique et du conseil des études et de la vie associative.

À la tête du conseil d’administration et du conseil académique, deux présidents pourront cohabiter. Or nous savons les risques de confrontation et de blocage qu’implique une telle cohabitation.

Fort heureusement, nous avons proposé, et obtenu, que le président de l’université puisse être le président du conseil académique. Il sera sage que cela soit souvent le cas.

Il n’en demeure pas moins que la composition du conseil d’administration passe de 30 à 36 membres et que le conseil académique pourra compter de 40 à 80 membres.

L’exercice de l’autonomie suppose un pilotage fort. C’est la raison pour laquelle la loi LRU avait doté le président de pouvoirs de décision et prévu un conseil d’administration resserré autour de lui. Il est infiniment regrettable que le projet de loi remette en cause ce principe. Sans doute pouvait-on revoir d’autres points, comme cela a été le cas pour le rôle des personnalités extérieures. Je vois une avancée dans leur participation à l’élection du président de l’université.

Toutefois, en modifiant imprudemment la gouvernance des universités par la création de ce second conseil, le projet de loi prend le risque de laisser le poids des corporatismes bloquer le processus décisionnel et empêcher toute réflexion stratégique.

Deuxième point de rupture avec le projet de loi : nous déplorons la suppression de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur et son remplacement par une autorité de même nature, ayant sensiblement les mêmes objectifs et disposant des mêmes moyens. La seule différence réelle, c’est que le Haut Conseil qui remplacera l’AERES aura pour mission de valider des procédures d’évaluations réalisées par d’autres instances. Il s’agit plutôt d’un inconvénient, car cette disposition risque de créer un doute sur l’indépendance et l’impartialité des évaluations. Ici encore, la suppression de ce qui avait été construit par l’ancienne majorité a peut-être eu valeur de symbole…

Certes, le rôle de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur a été mal perçu dans un premier temps, car il n’est jamais simple pour des établissements et des chercheurs de se soumettre à une évaluation. Depuis six ans, l’AERES a cependant su modifier ses méthodes de travail et se faire accepter. Elle a acquis une reconnaissance européenne et internationale. On ne voit donc guère l’intérêt de ce changement. Notre rapporteur, dont je souhaite au passage saluer l’investissement et le courage dont elle a fait preuve sur ce texte, a d’ailleurs relevé cette incohérence coûteuse.

Troisième point de rupture ou de désaccord : le projet de loi supprime les pôles de recherche et d’enseignement supérieur ainsi que les réseaux thématiques de recherche avancée.

Alors que les PRES reposaient sur une démarche volontaire associant les établissements autour de projets d’excellence, les communautés d’universités et établissements sont créées dans une logique territorialisée.

Les communautés auront la même nature juridique que les universités elles-mêmes et les mêmes organes de gouvernement : conseil d’administration et conseil académique, notamment. Nous allons donc vers davantage de complexification et moins de liberté.

Établir une logique régionale et modifier le mode de fonctionnement des regroupements, ainsi que le prévoit le projet de loi, risque de nous faire perdre un temps précieux. Manifestement, l’État entend se préserver de l’autonomie, plutôt que la favoriser et en faire un levier de la modernisation de l’université et de celle de l’économie de notre pays, au risque d’un rendez-vous manqué. Malheureusement, sur ce point, comme sur celui de la gouvernance, vous n’avez pas entendu nos arguments, madame la ministre.

Enfin, et ce sera le dernier point dont je souhaite parler, je m’interroge sur la disposition de l’article 18 visant les IUT. Selon cet article, des quotas seront fixés pour conduire les IUT à accueillir davantage de lycéens issus de bacs technologiques. Ces quotas seront même obligatoires en vertu d’un amendement socialiste adopté en commission.

Cette mesure vise à traiter le problème de l’échec de ces bacheliers admis en première année dans les filières universitaires.

Nous partageons cette préoccupation, mais il me semble que le système des quotas ne réglera pas le problème et va, au contraire, peser sur le bon fonctionnement des IUT. Comment des étudiants qui ne parviennent pas à faire des études supérieures à l’université pourraient-ils avoir plus de succès dans les IUT, qui sont une filière exigeante ? Ne va-t-on pas déplacer le problème, en augmentant le nombre de sorties sans diplôme dans les IUT ? Ne risque-t-on pas également de déprécier la valeur des diplômes en IUT, qui sont aujourd’hui très bien considérés par les entreprises ?

On résoudra le problème non en imposant des quotas mais en trouvant des solutions en amont, lors de la formation initiale de ces jeunes. Éviter l’échec de nos jeunes en première année d’université ou en licence doit se préparer dès le secondaire. Cela aurait dû être l’objectif de la loi pour la refondation de l’école de la République, mais nous savons, pour l’avoir récemment étudié, que ce texte n’accomplira pas la révolution attendue.

Au début de nos débats, madame la ministre, notre groupe a exprimé ses doutes sur votre projet de loi et conditionné son vote à la modification des points centraux que je viens d’évoquer. Nous n’avons pas été suffisamment entendus pour pouvoir émettre un vote positif sur ce texte ni même nous abstenir. En désaccord avec un projet de loi dont nous n’approuvons pas certaines des dispositions essentielles, notre groupe votera contre.

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