En somme, le projet de loi constitutionnelle accroît les pouvoirs du CSM et modifie substantiellement sa composition. Il vise à lustrer, si l’on peut dire, l’institution judiciaire, à la réhabiliter et à mettre de la distance entre cette institution et la magistrature, afin de créer les conditions d’un exercice impartial des fonctions judiciaires.
Je vous rappelle que le CSM nomme ou émet un avis conforme sur les nominations, et qu’il juge les juges ; aussi est-il extrêmement important qu’il soit irréprochable et qu’il paraisse tel. C’est le sens de cette réforme constitutionnelle.
J’en viens au projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique. Ce texte modifie les articles 30 et suivants du code de procédure pénale, en particulier les dispositions issues de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. Il est complémentaire de la réforme constitutionnelle dans la mesure où il vise à consolider l’indépendance de la magistrature et l’impartialité des juges.
Dans sa rédaction actuelle, l’article 30 du code de procédure pénale attribue au garde des sceaux la conduite de l’action publique. Nous avons choisi d’affirmer très clairement que le garde des sceaux est responsable de la conduite de la politique pénale sur l’ensemble du territoire, mais que l’action publique relève du parquet général pour son animation et pour sa coordination, ainsi que du parquet, c’est-à-dire des procureurs, pour son exercice direct.
Nous n’avons pas entendu supprimer la relation hiérarchique entre, d’une part, le procureur et le procureur général, et, d’autre part, le parquet et le garde des sceaux. En effet, nous avons voulu maintenir ce qu’on appelle le parquet à la française, en confortant l’appartenance du ministère public à l’autorité judiciaire, tout en apportant des garanties d’impartialité et de neutralité grâce à un desserrement des liens entre le ministère public et le pouvoir exécutif.
Nous n’avons donc pas touché à l’ordonnance du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature, notamment à son article 5 qui énonce que « les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques », c’est-à-dire les procureurs généraux, « et sous l’autorité du garde des sceaux ».
En effet, étant donné que le pouvoir exécutif est responsable devant les citoyens et devant la représentation nationale de la conduite des politiques publiques en matière de justice, singulièrement de la politique pénale, nous estimons qu’il appartient au garde des sceaux de répondre du bon fonctionnement du service public de la justice et de répondre aux questions qui peuvent lui être posées ; il importe que le pouvoir exécutif, conformément à l’article 20 de la Constitution, conserve cette responsabilité.
Nous n’ignorons pas que des contestations s’élèvent. Si le Conseil constitutionnel reconnaît de façon constante l’appartenance du ministère public à l’autorité judiciaire, la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de cassation émettent des doutes à cet égard. Une divergence d’appréciation, et même une contradiction, semble donc exister. En réalité, il n’y a là qu’une apparence, car il faut distinguer deux conceptions de l’autorité judicaire : la conception conventionnelle et notre conception constitutionnelle.
Dans sa conception conventionnelle, l’autorité judiciaire correspond à l’autorité de jugement. C’est pourquoi la Cour européenne des droits de l’homme considère que les magistrats du ministère public, n’ayant pas le pouvoir de prononcer des décisions privatives de liberté, ne constituent pas une autorité judiciaire.
Du point de vue de la conception constitutionnelle de l’autorité judiciaire, les magistrats du ministère public, quoiqu’ils n’aient pas le pouvoir de prononcer des décisions privatives de liberté, sont garants des libertés individuelles. C’est la raison pour laquelle nous considérons qu’ils appartiennent à l’autorité judiciaire.
De fait, la Constitution affirme l’unité du corps judiciaire et, en dehors du statut, il n’y a aucune distinction entre les magistrats du ministère public et les magistrats du siège. D’ailleurs, des passerelles existent, qui permettent aux magistrats ayant servi dans le ministère public de rejoindre le siège, et inversement ; ces mobilités sont certes relativement rares, mais elles ne sont soumises à aucune formalité particulière, mis à part l’avis que peut émettre le CSM.
Je le répète, tout en renforçant le statut des magistrats du ministère public et en consolidant leur appartenance à l’autorité judiciaire, le projet de loi constitutionnelle et le projet de loi ordinaire garantissent leur impartialité et leur neutralité à l’égard du pouvoir politique lorsqu’ils traitent de dossiers individuels, prennent des décisions ou mènent des enquêtes. Ces magistrats doivent pouvoir instruire à charge et à décharge et rechercher librement la vérité.
Pour notre part, nous veillons à éviter les ingérences. Ainsi, nous supprimons les instructions individuelles, dont le code de procédure pénale prévoyait l’existence depuis 1958 et qui, dans un premier temps, n’étaient pas versées au dossier ; en effet, ce sont seulement les lois du 4 janvier et du 24 août 1993 portant réforme de la procédure pénale qui ont prévu que ces instructions devraient être écrites et versées au dossier. D’ailleurs, nous ne nous contentons pas de renoncer à ces instructions ; nous avons décidé d’inscrire dans le code de procédure pénale le principe de leur prohibition.
En revanche, nous confions au garde des sceaux la conduite de la politique pénale sur tout le territoire, pour les raisons que j’ai exposées tout à l’heure, tout en redéfinissant ses relations avec le ministère public. En particulier, nous précisons que le garde des sceaux adresse ses orientations de politique pénale au ministère public par circulaire générale et impersonnelle. Ces orientations seront déclinées par les procureurs généraux dans leur ressort ; quant aux procureurs, ils les adapteront aux particularités de leur circonscription.
On s’est interrogé sur la signification de cette déclinaison et de cette adaptation. C’est à tort qu’elles ont parfois été interprétées comme donnant aux procureurs généraux et aux procureurs une liberté de manœuvre dans la mise en œuvre des orientations de politique pénale. Les orientations générales concernent l’ensemble du territoire. Toutefois, pour une plus grande efficacité, les procureurs généraux les déclineront plus précisément en fonction du profil délictuel et criminel de leur ressort.
Concrètement, les procureurs généraux retiendront, parmi les orientations figurant dans les circulaires, celles qui concernent plus particulièrement leur ressort. En revanche, ils ne pourront pas ajouter de nouvelles orientations : il ne s’agit pas que les procureurs généraux constituent des fiefs à l’intérieur desquels ils mèneraient leur propre politique pénale.
En somme, la politique pénale sera partout celle du garde des sceaux, arrêtée au nom du Gouvernement ; mais, dans un souci d’efficacité, elle sera adaptée aux données locales. Ni les procureurs ni les procureurs généraux n’auront la possibilité de manœuvrer, de tordre les orientations de politique pénale ou de les modifier en profondeur.
Dans certains territoires, des particularités justifient que l’ajustement de la politique pénale soit opéré au niveau de l’exécutif. Par exemple, après que j’eus fait paraître, au mois de septembre dernier, une circulaire générale de politique pénale comportant une série d’indications de principe et de méthode, ainsi que des orientations précises, la situation de certains territoires m’a conduite à faire paraître des circulaires pénales territoriales pour la Corse, pour l’agglomération de Marseille, pour la Guyane et pour la Nouvelle-Calédonie. De même, nous sommes en train de mettre la dernière main à une circulaire territoriale qui concerne la Guadeloupe, où se développe une forme particulière de criminalité.
Loin d’être contradictoires avec la circulaire générale, ces circulaires territoriales en ajustent les principes au profil délictuel et criminel des ressorts concernés, afin que l’application des orientations générales soit mieux ciblée. Elles comportent par exemple des indications sur la cosaisine des services d’enquête de la police et de la gendarmerie, en leur demandant notamment de travailler de façon plus systématique avec TRACFIN, la Banque de France, la chambre régionale des comptes et le tribunal administratif. Ainsi, elles mettent en place des outils qui assurent une meilleure efficience de la politique pénale.
C’est sous ce rapport, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il convient d’envisager la déclinaison et l’adaptation des orientations pénales. Pour le reste, le procureur général a évidemment la responsabilité de présenter un rapport annuel sur l’application des orientations de politique pénale dans son ressort. Il peut également présenter des rapports particuliers, qu’ils soient thématiques, visant par exemple des formes de délinquance, ou qu’ils portent sur telle ou telle procédure.
Ces rapports sont rendus nécessaires par l’obligation incombant à l’exécutif de fournir, notamment à la représentation nationale, un certain nombre d’explications sur des thématiques sensibles, en particulier dans le domaine de la santé publique – je pense à l’amiante –, ou sur des procédures sensibles, par exemple celles qui ont un retentissement dans les médias et dans le débat public ; en effet, à l’égard de celles-ci, la représentation nationale a le droit de savoir précisément ce qu’il en est.
En définitive, les dispositions du projet de loi ordinaire, complémentaires de celles du projet de loi constitutionnelle, contribuent à assurer l’indépendance et l’impartialité de l’autorité judicaire, tout en maintenant la responsabilité du pouvoir exécutif dans la conduite de la politique pénale sur l’ensemble du territoire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, compte tenu de l’équilibre qui caractérise à la fois les principes de cette réforme et les dispositions pratiques que nous avons prévues pour inscrire ses objectifs dans le droit, je ne doute pas que vous voterez ces deux projets de loi.