Ce n’est pas la suppression des instructions individuelles qui pose problème : seule une dizaine d’entre elles est versée chaque année aux dossiers. Ainsi, l’abandon de cette procédure revient simplement à faire plaisir à une certaine opinion, sans avoir le moindre effet sur le quotidien de la justice.
Ce qui fait difficulté, c’est la possibilité d’adaptation des instructions générales, car le garde des sceaux, je le répète, a pour mission de déterminer et de conduire la politique pénale.
Le lien hiérarchique qui s’y rattache a pour corollaire le principe d’opportunité des poursuites, qui répond au principe d’égalité devant la justice. Or votre projet de loi attribue aux procureurs généraux et aux procureurs de la République un pouvoir de précision et d’adaptation des instructions générales du garde des sceaux, lesquelles sont impersonnelles. À nos yeux, ce pouvoir ouvre la voie à une application différenciée de la politique pénale dans notre pays ; c’est le nouvel article 39-1 du code de procédure pénale.
Nous le savons tous, il peut se révéler nécessaire d’adapter les outils de la politique pénale à un contexte particulier, mais une instruction générale plus circonstanciée peut y suffire. À preuve, comme vous nous l’avez indiqué, c’est la solution que vous utilisez actuellement. En aucun cas il ne doit revenir aux magistrats d’interpréter une circulaire, dès lors que ces derniers sont hiérarchiquement tenus d’appliquer la politique définie par le gouvernement de la République.
Par ailleurs, aux termes de l’article 39-1, le procureur de la République aura tous les pouvoirs de l’action publique. Certes, il devra agir dans le cadre de vos instructions générales ou de celles du procureur général, mais ces dispositions restent bien vagues et susceptibles d’interprétations au titre des applications locales.
Dans les faits, le procureur pourra diligenter l’action publique à sa guise et selon son bon vouloir. Il est même précisé qu’il pourra tenir compte du contexte propre à son ressort. En résulte un véritable danger : voir l’action publique déclinée de manière différenciée sur le territoire français, et cela en toute légalité.