Intervention de Philippe Kaltenbach

Réunion du 3 juillet 2013 à 14h30
Conseil supérieur de la magistrature. – attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public — Discussion d'un projet de loi constitutionnelle et d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Philippe KaltenbachPhilippe Kaltenbach :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je suis un élu des Hauts-de-Seine, département où se trouve le tribunal de Nanterre qui, en raison de son activité hors norme, est le deuxième tribunal de France. En effet, celui-ci traite régulièrement de dossiers aussi sensibles que tentaculaires. Pour mémoire, je rappelle que vingt-quatre des entreprises du CAC 40 ont leur siège social dans les Hauts-de-Seine.

Le précédent procureur de la République de ce tribunal, pourtant tout particulièrement exposé, avait été nommé en mars 2007 contre l’avis du Conseil supérieur de la magistrature. Il ne fut pas le seul en France, je le concède, mais son cas me semble tout à fait emblématique.

À l’époque, le principal syndicat de magistrats, l’Union syndicale des magistrats, s’était élevé contre cette nomination en ces termes : « Nous ne mettons pas en cause les qualités [de la personne nommée]. Nous regrettons que le système de nomination des procureurs soit ainsi entaché d’une certaine suspicion. »

C’est cette suspicion qui nuit fortement à la perception qu’ont nos concitoyens de l’action de la justice. C’est cette suspicion qui peut aussi conduire à désorganiser le travail de la justice, comme ce fut le cas durant cinq années au palais de justice de Nanterre : relations dégradées, rivalités internes, les tensions entre magistrats du siège et du parquet y furent exacerbées.

Cette suspicion, le Gouvernement nous propose de la combattre plus efficacement.

En travaillant à mieux garantir l’indépendance de la justice, nous œuvrons à la restauration de la confiance. L’image d’une justice « à deux vitesses », implacable avec le faible, conciliante à l’égard du puissant, est encore trop présente dans l’esprit de beaucoup de nos compatriotes.

Le Conseil supérieur de la magistrature, dans son rapport d’activité publié en 2008, soulignait lui-même cette défiance. Il citait une étude de l’IFOP qui indiquait que 61 % des personnes consultées considéraient l’action de la justice comme inégalitaire. Malheureusement, cette tendance ne s’est pas inversée depuis.

Dans une République parlementaire comme la nôtre, l’État de droit repose sur deux pouvoirs, le législatif et l’exécutif, ainsi que sur une autorité, l’autorité judiciaire. Leur stricte séparation doit être garantie et la France ne cesse, sur ce point, de faire l’objet d’observations de la part des institutions européennes.

Ces réformes nous mettront enfin en conformité avec les règles en vigueur au sein des démocraties européennes.

La Cour européenne des droits de l’homme n’a en effet pas manqué, à de multiples reprises, de nous rappeler que notre parquet n’en est pas un. Dans son arrêt du 10 juillet 2008, elle considérait que les procureurs français sont dans une situation de dépendance à l’égard de l’exécutif incompatible avec cette exigence première qu’est l’indépendance des magistrats.

Encore récemment, le 27 juin dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a confirmé une nouvelle fois que le parquet français ne présentait pas les garanties d’indépendance nécessaires au juge judiciaire et ne constituait pas une autorité judiciaire en tant que telle.

La convention européenne des droits de l’homme exige tout naturellement une justice impartiale. La France s’emploie à atteindre cet objectif avec la présente réforme du Conseil supérieur de la magistrature, qui vise à constitutionnaliser l’indépendance et la protection des membres du parquet.

Les dispositions proposées concernant la composition du Conseil supérieur de la magistrature, son mode de désignation ou son fonctionnement le mettraient en effet désormais à l’abri de toute intervention politique.

Le projet de loi ordinaire permettra, dans le même temps, une meilleure définition de la manière dont sera désormais conduite la politique pénale en France et assainira les rapports entre la Chancellerie et le parquet.

Je regrette toutefois que deux mesures techniques n’aient pas été retenues dans les projets de réforme.

La première serait pourtant de nature à garantir réellement et efficacement l’indépendance des magistrats du parquet : il s’agit de l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature en matière disciplinaire.

La seconde, plus symbolique, aurait satisfait notre volonté commune de renforcer l’indépendance de la justice en l’élevant enfin, dans notre Constitution, au rang de « pouvoir judiciaire » et non plus seulement d’« autorité ». J’espère que Mme la garde des sceaux pourra un jour faire évoluer notre droit sur ces questions ! La République aurait ainsi conféré un rang égal à tous les pouvoirs constitutionnels.

Cela dit, je ne boude pas mon plaisir, car la concordance de ces deux textes va incontestablement contribuer à fonder un nouvel équilibre dans les rapports qu’entretiennent le pouvoir exécutif et l’autorité judiciaire, un juste équilibre qui va renforcer la crédibilité de nos institutions judiciaires et la confiance que leur témoignent les Français.

Si la révision constitutionnelle de 2008 a introduit des dispositions vertueuses, celles-ci avaient laissé un goût d’inachevé.

En parcourant les débats de l’Assemblée nationale, j’ai parfois eu le sentiment que, pour beaucoup de nos collègues de l’opposition, l’indépendance de la justice était apparue en France avec l’an II du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Qu’ils me permettent d’avoir sur ce point une appréciation beaucoup plus mesurée…

Certes, la révision de 2008 a apporté certains bouleversements : tout d’abord, en écartant le chef de l’État de la présidence du Conseil supérieur de la magistrature et en plaçant chacun des plus hauts magistrats du siège et du parquet à la présidence de chacune des deux formations ; ensuite, en conférant au Conseil supérieur de la magistrature des pouvoirs disciplinaires ; en outre, l’appel à des candidatures extérieures ainsi que la saisine des commissions parlementaires ont créé des espaces nouveaux.

Cependant, lors des débats qui ont entouré cette réforme, un certain nombre de regrets avaient été formulés, sur les bancs de l’ancienne opposition comme sur ceux de l’ancienne majorité. Mes chers collègues, nous vous proposons aujourd’hui d’achever ensemble cette réforme, car c’est indispensable au renforcement du lien de confiance qui doit unir citoyens et justice !

D’autres biais sont tout aussi nécessaires pour y parvenir : je pense notamment à la transparence dont doit faire preuve l’institution judiciaire dans son fonctionnement ou encore aux moyens qui lui sont alloués dans son travail. Mais, je le sais, le Gouvernement y travaille également, comme l’a souhaité le Président de la République.

Ces réformes ambitieuses faisaient d’ailleurs partie des engagements du candidat François Hollande. En février 2012, ce dernier déclarait : « L’indépendance, ce n’est pas une concession ou un privilège qu’il faudrait accorder aux magistrats, c’est une exigence qu’il faut garantir aux justiciables pour qu’ils aient la certitude que le juge ne se détermine qu’en fonction de la loi. » Je ne doute pas de la détermination du chef de l’État à ce que la justice agisse sans entrave et sans ingérence.

Le Gouvernement n’a pas manqué de rappeler à maintes reprises qu’il n’était jamais intervenu, depuis sa prise de fonctions il y a plus d’un an, dans des dossiers individuels. Tout le monde a d’ailleurs pu l’observer puisque les procédures judiciaires se déploient sans entrave depuis un an. Sur ce point, le changement a bien eu lieu : plus aucun démembrement de dossiers ni aucune délocalisation d’affaires n’ont été constatés depuis un an.

Les rapports entre le pouvoir exécutif et l’autorité judiciaire n’ont donné que trop souvent lieu à des dysfonctionnements. Grâce à ces réformes, nous pacifions ces relations et nous dissipons les soupçons de dépendance et de partialité qui sont de nature à décrédibiliser l’institution judiciaire.

En conclusion, je citerai le trente-deuxième président des États-Unis, Franklin Delano Roosevelt, qui estimait que « gouverner, c’est maintenir les balances de la justice égales pour tous ». Si, tout comme moi, vous partagez cette opinion, convenez que cette réforme est une réforme de bonne gouvernance. Au-delà des choix politiques de chacun, dans l’intérêt des justiciables, nous nous devons de la soutenir. Cette réforme doit dépasser les convictions partisanes et je vous invite, mes chers collègues, à l’approuver sans réserve. Sur ce point, il faut dépasser les clivages politiques et soutenir le Gouvernement qui œuvre pour l’indépendance de la justice.

Le groupe socialiste votera ce texte et j’espère qu’il sera rejoint par de nombreux autres groupes.

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