ministre des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative. - Permettez-moi d'ouvrir cette audition par un propos introductif que je tâcherai de rendre le plus bref possible, mais il me semble essentiel de bien développer l'ensemble des facettes du sujet qui nous réunit aujourd'hui.
C'est bien sûr la ministre des sports, responsable de la lutte contre le dopage en France, qui est reçue ce jour devant la commission d'enquête sénatoriale sur l'efficacité de la lutte contre le dopage.
Mais permettez-moi tout d'abord de vous dire à quel point ce sujet de la lutte contre le dopage m'importe, à quel point ce sujet du dopage a été structurant dans mon parcours professionnel, et qu'il explique mon engagement actuel.
En effet, j'ai commencé à être concernée directement par le sujet dès 1987 en étant inspecteur régional de la jeunesse et des sports pour la Haute-Normandie, chargée de coordonner sur le territoire la lutte antidopage, d'organiser les contrôles et de mener des actions de prévention et de sensibilisation des sportifs. La seule fois où j'ai prêté serment à part aujourd'hui était en tant que médecin contrôleur. J'ai également été médecin préleveur, toujours à la fin des années 80.
Je suis devenue en 1989 chef de la mission de médecine du sport au ministère des sports (à l'époque secrétaire d'état), et à cet effet, j'ai contribué à la rédaction de la loi « dopage » de 1989 qui pour la première fois :
- sort le sportif dopé de la juridiction pénale, cette dernière s'appliquant aux seuls trafiquants (le constat ayant été fait que la temporalité juridique n'était pas adaptée, c'est la temporalité sportive qui entre en vigueur) ;
- fait confiance au mouvement sportif et à ses règlements disciplinaires et lui donne la responsabilité de sanctionner les sportifs contrevenants ;
- affirme le rôle de l'État dans la protection de la santé des sportifs.
J'ai ensuite été médecin de nombreuses équipes de haut niveau : l'équipe de hockey sur glace de Rouen, l'équipe de France de volley-ball féminin, l'équipe professionnelle de basketball de Rouen.
Avant d'occuper les responsabilités professionnelles dont j'ai la charge aujourd'hui, j'ai été membre en 1998 du groupe interministériel instauré par les ministres des sports (Marie-George Buffet) et de la Santé (Bernard Kouchner) après l'affaire Festina, ayant conduit à faire évoluer le dispositif législatif français et à participer à la dynamique internationale qui a contribué à la mise en place de l'Agence mondiale antidopage (AMA). Enfin, je suis depuis janvier 2013 représentante du Conseil de l'Europe au comité exécutif de l'Agence mondiale antidopage.
Pas question, par ce retour en arrière, d'une quelconque valorisation de mon parcours sur le dopage, mais j'ai seulement la volonté de redonner toutes les données de mes fonctions passées à la commission pour faire comprendre mon extrême intérêt pour les travaux qui sont menés ici depuis le début, et ce à plus d'un titre, pour l'éthique du sport et la protection des sportifs.
Je veux donc profiter de l'occasion pour vous remercier, mesdames et messieurs les sénateurs, pour l'initiative que vous avez prise, pour la qualité du travail qui est effectué, et dont je ne manquerai pas de m'inspirer, et pour les déplacements qui ont alimenté votre commission d'enquête.
L'USADA a permis, en 2012, de montrer aux yeux du monde entier que celui qui prétendait être le plus grand des champions était en réalité le plus grand des tricheurs. J'ai été amenée à dire à de nombreuses reprises, que nous ne devions pas laisser passer cette « affaire Armstrong » comme une affaire de plus dans la lutte contre le dopage, s'ajoutant à la liste des affaires, Festina ou Puerto. Non, il doit y avoir un avant et un après. C'est de notre responsabilité à tous, et le Sénat s'est pleinement saisi du sujet avec cette commission, sous l'impulsion du sénateur Lozach.
Cette commission, d'abord, a permis d'entendre de très nombreuses personnes sur le sujet du dopage. Selon les acteurs auditionnés, nous avons eu des sentiments très différents :
- tantôt de la compétence, de l'engagement et du volontarisme ;
- tantôt du fatalisme et de la résignation ;
- tantôt du repli sur soi.
Nous avons appris beaucoup, aussi, nous avons été étonnés par les témoignages de certains qui ne veulent pas voir ou savoir ce qui se passe, qui remettent en cause les principes de la lutte, ou qui pensent presque que le dopage n'est pas un problème dans le sport. Nous avons été émus, enfin, par les aveux de certains et les explications du pourquoi des pratiques, par le décès tragique de Philippe Gaumont la veille de son audition, aussi.
Mais je ne suis pas ici pour juger les interventions d'untel ou untel, mais bien pour témoigner, devant la représentation nationale, de l'action de mon ministère et des principes qui la guident. Cette action s'est inscrite dans la continuité des différents gouvernements.
Il nous faut répondre dans un premier temps à une question dont nous avons pu nous apercevoir qu'elle n'était en fait pas si évidente pour tous : pourquoi lutter contre le dopage ?
- Préserver l'éthique du sport,
- protéger la santé des sportifs.
Ce sont les deux éléments de réponse.
La réponse première, la réponse évidente, c'est qu'il faut préserver l'esprit du sport, il faut préserver l'éthique du sport.
Et sans rentrer dans l'exercice toujours compliqué de la définition, nous pouvons dire que le sport est caractérisé par deux choses : l'égalité des chances et l'incertitude du résultat.
Or, le dopage remet fondamentalement en cause cette égalité des chances. D'aucuns diront que les conditions d'entraînement, les différences physiques entravent déjà cette notion d'égalité, mais ne nous y trompons pas, cela n'a rien à voir. Si parfois les techniques d'entraînement et de récupération sont très sophistiquées, cela ne peut modifier fondamentalement le profil physiologique d'un sportif. Le dopage modifie les critères sanguins, il modifier la puissance musculaire plus que n'importe quel programme de musculation. Il permet de décupler la puissance développée comme le montrent certaines études actuellement sur le cyclisme avec notamment le nombre de watts développées à l'occasion des étapes.
C'est pour ça qu'il existe une liste de produits interdits, c'est pour ça que les sportifs ne peuvent pas prendre toutes les substances, ne peuvent pas utiliser toutes les techniques. Cette liste, rappelons-le, est établie à partir de critères.
Les trois critères déterminants sont les suivants :
- amélioration de la performance ;
- danger pour la santé des sportifs ;
- contradiction avec l'esprit du sport.
Si deux de ces trois critères sont remplis, alors le produit est interdit.
Ces critères sont justes, j'en suis persuadée, car ils incluent toutes les notions importantes : la performance, l'esprit du sport et la protection de la santé des sportifs.
Il a été longuement évoqué, dans les dernières discussions sur la révision du code mondial antidopage auxquelles j'ai pris part, la possibilité de rendre le premier critère obligatoire. Nous avons obtenu finalement que cela ne change pas, et il s'agit d'une très bonne nouvelle. Il était en effet essentiel que restent sur le même plan les critères de la performance et de la santé des sportifs.
Car c'est bien là la deuxième partie de ma réponse à la question « pourquoi lutter contre le dopage ? » qui nous importe : pour préserver la santé des sportifs.
J'ai entendu, ici et là, évoquer que nous ne savions pas, que nous ne connaissions pas les risques du dopage pour la santé des sportifs. Je veux ici dénoncer ces discours inconscients qui banalisent des pratiques dangereuses. Car je peux le dire ici, comme médecin et comme ministre, le dopage est dangereux pour la santé, et les pratiques dopantes font courir un risque majeur aux athlètes.
Je ne présenterai pas l'ensemble des effets secondaires des stéroïdes, des stimulants, de l'EPO, etc. Les sportifs ont servi de cobayes. L'EPO peut avoir des effets désastreux, comme l'obstruction des vaisseaux sanguins due à l'augmentation de la viscosité du sang et à une diminution de la fluidité sanguine. Les personnes qui prennent des corticoïdes sont conscientes qu'il vaut mieux les prendre le matin en raison du sentiment d'excitation et de la sensation de pouvoir repousser ses limites.
Les études scientifiques démontrant ces effets indésirables sont innombrables. Deux études doivent retenir notre attention :
- le rapport Spitzer de 2006 concernant les conséquences du dopage d'État tel qu'il était organisé dès le plus jeune âge en République Démocratique Allemande. L'étude portant sur 10 000 sportifs dopés a identifié 1 000 troubles mineurs et 500 troubles graves (changement de sexe, stérilité, cancer...) Les produits incriminés étaient essentiellement des anabolisants stéroïdiens et des neuro-stimulants ;
- la seconde concerne le cas des footballeurs italiens qui fait l'objet d'une enquête judiciaire depuis plusieurs années. Ces anciens footballeurs professionnels italiens sont sept à huit fois plus touchés que le reste de la population par la sclérose latérale amyotrophique. Deux fois plus de footballeurs italiens souffrent de cancers sur une population de 24 000 joueurs.
Le dopage est contraire à l'éthique du sport en améliorant artificiellement les performances, oui le dopage est dangereux pour la santé et met en cause l'intégrité physique des sportifs.
C'est pourquoi nous travaillons, au quotidien, à lutter contre le dopage. Le premier rôle du ministère des sports, c'est bien sûr de faire respecter l'arsenal législatif qui existe et de contribuer, avec l'aide du Parlement, à l'améliorer en permanence.
Depuis la loi « Herzog » du 1er juin 1965 - qui a fait de la France le premier grand pays européen à se doter d'une législation réprimant le dopage - jusqu'à la promulgation de l'ordonnance du 14 avril 2010, la lutte contre le dopage est motivée par la préoccupation de promouvoir l'éthique et la santé à l'égard des sportifs, ainsi que par l'objectif de se conformer aux conventions internationales de lutte contre le dopage auxquelles la France a adhéré, celle du Conseil de l'Europe de 1989, celle de l'UNESCO de 2005 qui comporte en appendice le code mondial antidopage (CMA).
Tout d'abord, en vertu de la loi « Herzog » de 1965, le fait de s'être dopé, s'il a été intentionnel, constitue un délit sanctionné pénalement. Ensuite, dans la loi « Bambuck » de 1989, le fait de se doper ne relève plus du pénal. En revanche, la pénalisation de ce qu'on peut déjà appeler le trafic de produits dopants peu atteindre jusqu'à dix ans d'emprisonnement en cas de substances classées comme stupéfiantes.
En 1999, la loi « Buffet » vise la prévention et le renforcement de la protection de la santé des sportifs par la mise en oeuvre d'un suivi médical longitudinal, tout en prévoyant une lutte renforcée contre les pourvoyeurs de produits et procédés dopants.
En 2006, la loi « Lamour » réalise la première transcription en droit français du code mondial antidopage de 2003. Ce nouveau texte a recentré les missions du ministère des sports vers la prévention, la protection du public, la promotion de la santé et la recherche.
Dans ces textes, ni la détention, ni les autres activités caractérisant un trafic (transport, exportation, importation) ne sont réprimées. Par conséquent, les services de police judiciaire ne disposaient pas d'instrument juridique leur permettant de faire face à la réalité des modes opératoires des trafiquants.
En 2008, la loi « Laporte » met à jour le droit français avec le droit international. En effet, la convention internationale contre le dopage dans le sport sous l'égide de l'UNESCO, adoptée en octobre 2005, impose aux États parties, dans son article 8, de limiter la disponibilité et l'utilisation dans le sport de substances dopantes et de lutter contre les trafics en limitant la production, la circulation, l'importation, la distribution et la vente de ces substances et procédés aux sportifs. Le nouveau code mondial antidopage adopté à Madrid en novembre 2007 en a fait également une exigence forte de l'ensemble de cette lutte.
Ces dispositions ont conduit la France à créer une nouvelle infraction : l'infraction pénale de détention de produits dopants, qui permet aux enquêteurs d'engager les procédures visant à remonter et démanteler les filières de distribution. Le panel des incriminations pénales existantes en matière de trafic est donc complété. Tous ces textes sont désormais codifiés dans le code du sport au Titre III « Santé des sportifs et lutte contre le dopage ».
C'est la préservation de la santé des sportifs qui, outre la lutte contre la tricherie, a toujours conditionné la position du ministère des sports, en cohérence avec celle du mouvement sportif sur le sujet. En effet, s'il est important de montrer la détermination de la lutte contre le dopage dans tous les domaines où se rencontrent des pratiques dopantes, la pénalisation de l'usage des produits dopants pose plusieurs difficultés qu'il convient de prendre en compte.
Mais ma conviction est claire sur ce sujet, ma conviction est ferme. Je suis opposée à la pénalisation de l'usage. Comme j'ai eu l'occasion de l'expliquer il y a quelques mois, j'y suis opposée car, de concert avec le mouvement sportif, je suis convaincue que le sportif doit être protégé et non condamné. Le problème du dopage est un enjeu de santé publique, avant d'être un enjeu pénal. Quand un sportif se dope pour gagner, il se met en danger, il joue les cobayes humains en s'injectant des produits dont les effets à terme sont inconnus. Les scientifiques ne doivent pas conduire les études en utilisant des doses énormes sur des patients qui ne sont pas malades. La base scientifique est souvent le sportif placé en situation d'être le cobaye du fait du détournement de l'utilisation du produit et de sa dose.
C'est aussi sous cet aspect qu'il faut considérer la lutte contre le dopage. Condamner pénalement les tricheurs, c'est se mettre en position de défiance envers les sportifs, c'est se mettre en position de défiance envers les fédérations. Le rôle du ministère des sports n'est pas, selon moi, de créer un climat pénal autour du sport, mais bien de protéger les sportifs et, ce faisant, de protéger le sport.
Cette conviction n'enlève rien à ma détermination, rien à la lutte que je veux mener contre le dopage. Je ne serais pas complète sur la législation antidopage si je n'évoquais pas la loi du 12 mars 2012 qui, grâce au travail des sénateurs et aux amendements que vous aviez déposés, met en place le profil biologique pour certains paramètres des sportifs, et en réserve son usage aux sportifs de haut niveau, aux Espoirs, aux sportifs professionnels et aux sportifs ayant fait l'objet d'une sanction. Ces sportifs sont parallèlement assujettis aux obligations de géolocalisation.
Le passeport biologique de l'athlète est un outil développé par l'Agence mondiale antidopage. Sa généralisation fait partie des recommandations du rapport Pound. Il consiste en la réalisation d'une série d'examens biologiques sur la base de paramètres particuliers selon des règles opérationnelles rigoureuses (prélèvement, acheminement, traitement statistique). Les résultats de ces examens sont consignés dans un document, le « passeport biologique de l'athlète », que des experts évaluent sur la durée. En cas de détection d'anomalies ou de variation de ces paramètres, qui ne pourraient se justifier qu'en raison du recours à certains procédés non autorisés, ces experts en réfèrent à la structure concernée.
Sur ce sujet comme sur d'autres, la France reste en pointe. Un comité de préfiguration est en cours, présidé par l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD). Il doit se réunir une dernière fois en juin avant de finaliser le rapport qui aboutira à la mise en place du comité d'experts en septembre prochain, puis un décret en Conseil d'État. Ces dispositions sur le passeport biologique ont vocation à devenir universelles et sont discutées dans le cadre de l'évolution du code mondial antidopage.
Comme vous le voyez, l'arsenal législatif est important, en perpétuelle évolution, notamment pour se mettre en conformité avec les textes internationaux. Les textes continueront de s'enrichir, avec, par exemple, les propositions qui ne manqueront pas d'apparaître dans les conclusions de votre commission d'enquête.
Cependant, le rôle du ministère ne se limite pas aux textes et à leur application. J'ai déjà eu l'occasion de présenter l'étendue des actions du ministère mais je suis heureuse de pouvoir de nouveau le faire aujourd'hui. Depuis plusieurs années, la direction des sports travaille activement sur le sujet de la lutte contre le dopage. Ces actions se décomposent en deux volets majeurs qui seront notamment développés dans le plan de prévention 2013/2016 :
Il existe un volet grand public, tout d'abord :
- avec l'association de la direction des sports aux travaux du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) pour la diffusion des programmes concernant la lutte contre le dopage par une mise à disposition de kits de communication à disposition du CSA ;
- avec la sensibilisation des usagers des clubs de remise en forme, portée par l'implication de la fédération française d'haltérophilie - l'État étudie aussi la possibilité de pouvoir exercer des contrôles ou d'engager des enquêtes dans des salles de remise en forme du secteur commercial, sachant que ces salles doivent être en conformité avec la réglementation liée à tout établissement d'activités physiques et sportives ;
- avec la mise en place d'un Numéro Vert Écoute Dopage, porté par Dopage info service - qui reçoit en moyenne 338 appels par mois et 238 courriels par mois ;
- avec la création d'antennes médicales de prévention du dopage (qui effectuent 1 000 consultations par mois, soit 42 par antenne) - et qui bénéficient de 580 000 euros sur la part territoriale du Centre national de développement du sport (CNDS) ;
- avec la mise à disposition d'outils de sensibilisation et de communication, réalisés en partenariat avec la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT).
Le deuxième volet concerne notre action à destination du mouvement sportif :
- nous soutenons les fédérations qui s'engagent dans des programmes de prévention du dopage par le biais des conventions d'objectifs ou d'appels à projets. Sur ce chapitre, en dépit de contraintes budgétaires que chacun connaît, j'ai tenu à ce que les moyens de la lutte contre le dopage soient préservés dans le budget 2013 ;
- nous soutenons aussi les territoires, par le biais des projets de clubs intégrant dans leur volet éducatif des actions de sensibilisation à la prévention du dopage ;
- nous avons défini une norme qualité AFNOR le 6 juillet 2012 qui garantit aux sportifs l'assurance de la qualité des compléments alimentaires.
Les actions de la direction des sports sont nombreuses, et elles doivent être sans cesse approfondies et améliorées. Enfin, le ministère des sports est le financeur majeur de l'autre acteur principal, au niveau de la puissance publique, de la lutte contre le dopage. Je veux parler, bien sûr, de l'Agence française de la lutte contre le dopage (AFLD), autorité administrative indépendante.
Je ne peux que souligner les avancées considérables qui ont été faites ces dernières années, et qui ont permis, comme lors du Tour de France 2008, de dépister les tricheurs. Il faut toujours être attentif à ces résultats positifs.
Une agence comme l'AFLD ne peut fonctionner correctement sans un secteur des contrôles efficient et une recherche de pointe.
Afin de préserver la pertinence et le caractère inopiné des contrôles, le secteur qui en a la charge doit, conformément à l'esprit de la loi, jouir d'une totale indépendance pour les aspects techniques et fonctionnels. Je tiens à réaffirmer l'attachement du Gouvernement à ce principe essentiel, qui doit s'exercer dans le cadre du plan stratégique annuel et du budget qui est imparti à l'Agence, après adoption par son collège. Nous pouvons, sur ce sujet, nous féliciter que plus de 40 % des contrôles sont aujourd'hui inopinés, comme l'a précisé le président Bruno Genevois dans le rapport d'activité de l'Agence ;
Pour accroître son efficacité, je suis convaincue que le secteur chargé des contrôles doit pouvoir s'appuyer sur une démarche d'investigation qui lui est propre, et en outre sur une collaboration étroite avec la gendarmerie, la police et les douanes. Au sein de l'Agence, il doit pouvoir collaborer avec le secteur ayant en charge l'instruction des dossiers et le secteur scientifique, qui aura notamment la mission d'assurer le suivi du profilage biologique.
Tout ce travail, qui mérite d'être salué, de tous les agents du ministère, de tout le personnel de l'AFLD, tout cela permet que la France reste un pays moteur dans la lutte contre le dopage.
Mais nous en sommes tous conscients, cela ne suffit pas. Nous avons besoin de mieux coordonner encore nos actions. Nous avons besoin de fédérer autour de nos convictions. Cela dépend de nous, du ministère, du législateur, du mouvement sportif, mais cela dépend également de l'international. Nous savons tous que dans l'époque mondialisée dans laquelle nous vivons, la lutte contre les trafics, la lutte contre les tricheurs se joue aussi en dehors de nos frontières. Vous avez fait de nombreux déplacements dans le cadre de cette commission, sans nul doute fort utiles.
En ce sens, l'un des rôles de mon ministère est aussi d'assurer le rôle moteur de la France. Comme vous le savez il existe plusieurs instances incontournables dans la lutte contre le dopage :
- le Conseil de l'Europe, précurseur sur le sujet avec le texte de 1989 ;
- l'UNESCO et la convention internationale de 2005 adoptée par plus de 170 pays ;
- l'AMA, bien sûr, qui a la responsabilité de la lutte antidopage à l'international et celle, essentielle de la rédaction du code mondiale antidopage, qui s'impose à toutes les fédérations internationales et que l'UNESCO impose comme base juridique à tous les pays signataires de sa convention.
Le travail au Conseil de l'Europe consiste essentiellement dans deux groupes :
- le groupe de suivi de la lutte contre le dopage, dont la principale mission est de veiller au respect du traité par les États parties ;
- le Comité ad hoc européen pour l'Agence mondiale antidopage (CAHAMA), est un comité d'experts chargé de coordonner les positions des États parties à la Convention culturelle européenne, s'agissant de l'Agence mondiale antidopage.
La France est bien évidemment représentée au sein de ces groupes par la Direction des sports et travaille activement au bon déroulement des travaux de ce groupe. Le rôle du CAHAMA est essentiel notamment en amont des comités exécutifs et des conseils de fondation de l'AMA. C'est en effet le CAHAMA qui fixe le mandat des représentants européens, et ainsi coordonne la position européenne. Les européens parlent ainsi d'une voix unie et forte aujourd'hui au sein de l'Agence.
Ce rôle moteur et fort que joue le Conseil de l'Europe pour fédérer les pays européens autour de la lutte contre le dopage, c'est bien sûr l'UNESCO qui le joue à l'international, avec notamment la conférence des parties, conférence statutaire qui a lieu tous les deux ans pour examiner la mise en oeuvre et le suivi de la Convention internationale contre le dopage dans le sport en conformité avec ses dispositions. Cette conférence nourrit plusieurs objectifs, dont celui de fournir une plate-forme d'échanges et de débats.
À ces deux organes de coordination des États, au niveau européen et au niveau mondial, il faut ajouter évidemment l'AMA, qui fait le lien avec le mouvement sportif. Composée à 50 % de représentants du monde sportif et à 50 % des autorités publiques, et d'un représentant par continent, l'Agence est aujourd'hui l'institution centrale de la lutte contre le dopage. Elle édicte les règles par le code mondial antidopage. Elle est aussi motrice sur la recherche, l'éducation, et la prévention. Elle accrédite les laboratoires, parce qu'elle travaille en lien avec les pays en retard ou avec ceux qui vont accueillir de grandes compétitions internationales.
Comme vous le savez, je suis, depuis janvier, la représentante du continent européen au sein du comité exécutif de l'Agence. Aussi me dois-je d'évoquer devant vous les deux actualités qui me paraissent essentielles dans l'avenir proche de l'Agence : la révision du code et le rapport de Dick Pound, ancien président de l'AMA, sur l'efficacité de la lutte contre le dopage.
Sur la version 3.0 du code mondial antidopage, je ne vais pas faire la longue liste des articles qui pourraient évoluer, mais me concentrer sur les quelques points qui me semblent essentiels :
Concernant les sanctions, il s'agit sans doute d'une des modifications les plus « visibles » du nouveau code : le passage de deux à quatre ans pour la sanction en cas de contrôle positif à une substance lourde. Cette position européenne notamment est une bonne nouvelle à deux titres. C'est le signe qu'on ne transige pas avec la lutte contre le dopage. C'est nécessaire quand on voit le nombre de récidivistes qui après un ou deux ans de suspension, reviennent et se font de nouveau prendre.
Concernant les pouvoirs d'investigation, l'agence se voit confier la possibilité de lancer ses propres enquêtes sur les violations des règles antidopage. Cela apparaît d'autant plus important que toutes les leçons de l'affaire Armstrong n'ont pas été tirées. C'est pourquoi, à mon initiative puis à l'initiative des représentants européens et américains, nous avons signé une lettre commune, avec l'ensemble des représentants des autorités publiques à l'AMA, qui encourage l'Agence dans sa volonté de voir installer une commission d'enquête complètement indépendante lorsque l'actualité le justifie.
Concernant les droits de l'homme, le principe de proportionnalité, l'importance de la prévention et de l'éducation, de nombreuses remarques et de nombreux amendements européens ont été pris en compte sur la notion du respect du droit de chacun. En effet, il est nécessaire que le code respecte un certain nombre de droits, et notamment qu'il soit compatible avec les exigences européennes en matière de protection des données, de droits de l'homme, et d'égalité devant la justice et de proportionnalité des sanctions. C'est en ce sens que la période pour comptabiliser les trois « no show » suspensifs passera de 18 à 12 mois à Johannesburg, à la fin de l'année 2013.
Concernant le rôle des acteurs, le rôle des agences nationales est renforcé, notamment par rapport aux fédérations internationales.
Les organisations nationales antidopage (ONAD) auront en effet désormais la possibilité automatique (et non après avoir demandé l'autorisation à l'AMA) d'effectuer des contrôles additionnels sur les compétitions internationales organisées sur leur territoire dès lors que la fédération internationale les mandate pour prendre en charge les contrôles sur la compétition.
Le code pourrait encore aller plus loin en ce sens, pour qu'en cas de carence des fédérations internationales, les agences nationales puissent automatiquement prendre le relais, pour que le transfert d'informations entre les agences et les fédérations soit plus automatique, aussi.
Je suis extrêmement attentive à ce sujet, car il me semble difficile d'être à la fois juge et partie. Ce n'est donc pas faire injure au mouvement sportif, au contraire, de dire que des instances neutres doivent pouvoir être l'acteur principal des contrôles.
Concernant, enfin, les décisions pratiques pour lutter contre le dopage, il est à noter que :
- de nouvelles décisions ont été prises concernant les autorisations à usage thérapeutique (AUT) qui pourront désormais être contestées par les agences nationales ou par les organisateurs des compétitions ;
- le maintien sur un pied d'égalité des trois critères définissant les produits dopants permet notamment d'avoir plus d'assurance quant au maintien des glucocorticoïdes sur la liste des substances interdites ;
- l'utilisation des données du passeport biologique et du suivi longitudinal comme preuves de dopage a été renforcée ;
- dans le même temps, les seuils de détection pour le cannabis seront relevés. C'est une très bonne nouvelle pour la lutte contre le dopage car les traces de THC restent très longtemps dans les urines. De ce fait, il y avait une avalanche de contrôles positifs, et de procédures en cours, simplement parce que des athlètes avaient été en contact avec du cannabis, parfois plusieurs semaines avant une compétition. Donc, sans intention d'utiliser un produit pour améliorer leurs performances.
L'autre sujet essentiel majeur pour l'Agence est le rapport de Dick Pound sur l'inefficacité de la lutte contre le dopage. Dans ce rapport sans concessions de mai 2013, l'ancien président de l'AMA met en exergue les difficultés et les défauts d'organisation de l'ensemble des acteurs de la lutte contre le dopage. Il dresse également un certain nombre de recommandations à destination de toutes les parties prenantes.
Tout le monde est mis face à ses responsabilités, sans tabou, dans ce rapport qui propose par exemple :
- la possibilité pour les ONAD, ou les agences, de contrôler les sportifs étrangers sur son territoire ;
- plus d'obligation d'échanges d'informations entre ONAD et fédérations internationales ;
- l'obligation de conformité au code pour tous les États et toutes les fédérations internationales avec un suivi précis de l'AMA ;
- la généralisation du passeport biologique ;
- l'indépendance des ONAD face à toute pression extérieure.
L'enjeu principal de ce rapport sera surtout de se prononcer sur le positionnement à venir de l'AMA et sur son rôle dans la lutte contre le dopage. Pour certains, l'agence doit être un prestataire de services pour les fédérations internationales. Pour d'autres, elle doit être plutôt une agence de régulation et notamment de contrôle de conformité au code des différentes parties prenantes.
Le prochain comité exécutif de l'Agence mondiale antidopage, qui se déroulera le 11 septembre prochain à Buenos Aires, aura donc une importance capitale, non seulement au sujet de la révision du code mais aussi sur les suites du rapport Pound et donc sur le rôle à venir de l'AMA. J'y porterai la voix de l'Europe avec la plus grande fermeté.
Comme vous le voyez, personne ne se repose sur ses acquis et tout le monde se remet en cause pour améliorer la lutte contre le dopage. Car pour avancer, il faut des règles, des institutions, mais il faut également du volontarisme.
Ce volontarisme politique, nous en avons eu une belle illustration avec la nouvelle convention inédite entre l'Union cycliste internationale (UCI) et l'AFLD pour le Tour de France 2013. En effet, suite aux révélations de l'affaire Armstrong et aux soupçons légitimes (je dis bien légitimes) qui ont pesé sur l'UCI (et dont Travis Tygart vous a fait part), nous avons travaillé, avec l'AFLD, la fédération française de cyclisme (FFC) et Amaury sport organisation (ASO), sur les conditions qui nous paraissaient nécessaires pour que les contrôles soient efficients durant le Tour du centenaire. Je pense notamment à la transparence totale de l'UCI envers l'AFLD sur les passeports biologiques et sur la géolocalisation des coureurs pendant la préparation du Tour. Et je félicite l'AFLD d'avoir eu une attitude ferme qui a débouché sur une convention remplissant toutes les conditions requises.
C'est donc dans des conditions nouvelles et meilleures que jamais que le département des contrôles de l'AFLD a pu travailler sur le Dauphiné et pourra travailler jusqu'au Tour de France et pendant la Grande Boucle.
Les contrôles seront améliorés donc, et plus efficaces sur ce Tour 2013. Nous travaillons aussi avec toutes les parties pour que le dispositif de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (Oclaesp), de la gendarmerie, des douanes, soit plus efficace que jamais, et que les parquets soient particulièrement impliqués.
Nous travaillons également sur le décret élargissant la liste des agents habilités à rechercher et constater les trafics de produits dopants qui sera prochainement publié au Journal officiel (JO).
Jusqu'à présent, seuls les officiers et les agents de police judiciaire, ainsi que certains personnels du ministère des sports et les représentants assermentés de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) étaient habilités, par l'article L. 232-20 du code du sport, à s'attaquer aux trafics de produits dopants.
Ce décret renforcera la coopération interministérielle dans ce domaine, en ajoutant désormais à cette liste les agents des services des impôts, de la concurrence et de la répression des fraudes. Tous pourront dorénavant échanger leurs informations sur de possibles trafics de substances dopantes, comme les caractéristiques des substances en circulation et celles des circuits frauduleux (mode d'acquisition et d'approvisionnement, moyens d'acheminement ou typologie des filières).
Ce prochain décret instituera également une « instance nationale de lutte contre le trafic de substances ou méthodes dopantes ». Cet organisme aura pour vocation de mobiliser plus efficacement et de manière coordonnée l'ensemble des services concernés par la lutte contre le dopage et le trafic qui s'y rapporte. Il facilitera également le partage régulier et efficient des informations et des bonnes pratiques.
L'instance nationale permettra de conjuguer les efforts et les ressources du ministère des sports, de l'AFLD, de la police nationale, de la gendarmerie nationale, des douanes, de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), de l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS), de la Direction générale de la santé (DGS), de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), du Service central des courses et des jeux, ainsi que de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT). Dans chaque région, les « commissions régionales de lutte contre le trafic de substances ou méthodes dopantes » réuniront les mêmes administrations au niveau déconcentré.
Et puis il y a d'autres voies aussi que nous devons explorer. Je pense en premier lieu au lien avec l'industrie pharmaceutique. La conférence organisée le 12 novembre 2012 à Paris, conjointement par l'AMA, l'UNESCO, le Conseil de l'Europe et le ministère des sports a été l'occasion de réunir les acteurs du mouvement sportif, les organisations représentatives de l'industrie pharmaceutique, ainsi que certaines firmes. Lors de cet évènement, les bases du processus relatif à la collaboration pharmaceutique ont été présentées. Les firmes présentes ont été invitées à s'inscrire dans cette démarche. Nous devons encourager un travail en amont indispensable avant que les molécules ne soient mises sur le marché, voire détournées de leur usage. Le défi est compliqué. Nous devons continuer à le relever. À ce titre, il est indispensable de pouvoir bénéficier et consulter le travail mené par la commission d'enquête pour que ce défi, pour l'éthique du sport et la santé des sportifs, évolue collectivement dans notre pays, dans un contexte international prégnant. Je vous remercie pour ce propos liminaire sans doute un peu long.