En préambule, je dirais quelques mots du contexte dans lequel s'est déroulée la mission de notre commission. 2013 marque les 40 ans des relations diplomatiques entre la France et le Vietnam ; en outre, de la mi-2013 à la mi-2014 se dérouleront les années croisées entre nos deux pays. Cette mission s'inscrivait, enfin, dans la longue tradition de l'intérêt tout particulier que porte le Sénat à ce pays auquel la France est liée par l'Histoire.
Un point tout d'abord sur les années croisées France-Vietnam : celles-ci associent de nombreux partenaires publics, qu'il s'agisse des ministères des affaires étrangères, de la culture, de l'économie, de l'enseignement supérieur et de la recherche et de nombreux instituts et des intervenants privés, dont un comité des mécènes qui complète le financement spécifique des fonds publics accordés à cet événement. La saison française au Vietnam a commencé depuis avril. Parmi les nombreux temps forts, je citerai, au titre des domaines de compétence de notre commission, l'inauguration de l'espace français à la bibliothèque nationale du Vietnam, le festival itinérant du cinéma français, la célébration du cent vingtième anniversaire de la fondation de Dalat ou le colloque sur vingt ans de recherches agronomiques françaises pour l'agriculture familiale, organisé sous l'égide du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD).
Dans ce contexte, notre délégation s'est plus particulièrement attachée à étudier trois domaines : la place du français dans l'enseignement, la collaboration universitaire et scientifique, notamment le secteur de la santé et au service du développement, la conservation et la mise en valeur du patrimoine. Compte tenu de cet ambitieux programme, notre commission s'est concentrée sur deux villes : Hanoï et Hué.
Avant de présenter les enseignements de notre mission, je vous rappelle que le Vietnam connait un accroissement démographique rapide - la population croit d'un million d'habitants par an. Dans un contexte de croissance économique forte, le pays reste largement rural et de nouvelles problématiques - pollution, effets du changement climatique - apparaissent. Dernier élément : l'ouverture sur l'extérieur est encore récente et le Vietnam n'est rentré à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) qu'en 2007. D'après les éléments qui nous ont été présentés, à titre d'exemple, la notion d'exclusivité reste encore floue et la place des médias étrangers incertaine... sans mentionner les modalités d'exercice de la censure.
Nos interlocuteurs nous ont présentés l'éducation comme un sujet de préoccupation quotidien pour les familles. Les conditions d'apprentissage restent précaires car l'enseignement ne peut pas être assuré pour tous sur la journée entière. Les familles qui le peuvent financent un complément à l'enseignement public qui, lui, est gratuit. Dans ce contexte, l'objectif défini pour l'apprentissage du français, c'est-à-dire en faire une langue de réussite scolaire et universitaire, paraît louable. De l'aveu des responsables que nous avons rencontrés, dès lors que le français ne constitue pas la première langue étrangère, les efforts consentis par la France permettent aux autorités vietnamiennes en charge de l'éducation de concentrer leurs moyens sur l'apprentissage de l'anglais, première langue étrangère. Pourtant, le Vietnam est un membre à part entière de l'organisation internationale de la Francophonie et son influence est visible dans la rue. Je citerai, par exemple, les mots « oto » ou « cãng tin ».
Pour autant, dans l'enseignement, la place du français a diminué au cours de la décennie écoulée. Aujourd'hui, seuls 14 300 élèves sont scolarisés en classes bilingues et cet apprentissage est réservé à une élite. Le français est de plus en plus concurrencé par la montée des langues des autres pays d'Asie - Corée, Chine, Japon... - dont la présence économique s'accroit. C'est également au nom de cet intérêt économique bien compris que le français garde une utilité aux yeux des autorités, afin de préparer les élites appelées à intensifier les liens entre le Vietnam et les pays francophones d'Afrique. Comparativement, l'enseignement du français peut s'appuyer sur des enseignants de bon niveau. Fortement mobilisés, ceux-ci regrettent toutefois que les stages de formation ne soient plus organisés qu'au Vietnam.
Au sein de l'enseignement supérieur, la situation est très différente selon les établissements que nous avons visités. Au sein de l'université des sciences et des technologies de Hanoï, fruit d'un partenariat entre la France et le Vietnam, qui a souhaité mettre en place un nouveau modèle d'université sur la base de principes d'excellence, de qualité et d'autonomie, les cours sont intégralement dispensés en anglais. Les élèves doivent néanmoins obligatoirement suivre des cours de français, qui sont évalués et pris en compte pour l'obtention des diplômes obéissant, pour la première fois, au système licence-master-doctorat (LMD). À l'inverse, au sein de la faculté de médecine de Hué, que la délégation a également visitée, les futurs médecins, destinés à se former dans différents centres hospitalo-universitaires français, sont préalablement familiarisés au français, ce qui explique d'ailleurs le tropisme médical du fond du centre culturel français de la ville.
En matière de coopération scientifique, nous avons eu le sentiment d'une synergie entre les différents intervenants français (CNRS, IRD, CIRAD et USTH), qui contribuent ainsi à l'accroissement du niveau de l'éducation scientifique du Vietnam. La première mission de ce réseau concerne la production de savoir pour le développement. Elle s'exerce sur un positionnement d'avenir, la lutte contre les effets du changement climatique, aux effets particulièrement préoccupants au Vietnam. Cette orientation est renforcée par les critères d'intervention de l'AFD, qui consiste à concilier développement et lutte contre le changement climatique dans trois secteurs prioritaires, essentiels au développement du pays : agriculture et sécurité alimentaire, infrastructures de base et appui aux PME. Dans ce cadre, notre délégation a été fortement impressionnée par la visite de l'institut de génomique du riz, qui s'efforce de sélectionner les souches naturelles les plus à même de résister à un choc hydrique ou à l'élévation de la salinité du milieu de culture. On peut d'ailleurs se féliciter que ces expériences soient réalisés au sein d'un organisme public de recherche, qui a su résister aux sollicitations d'un grand laboratoire particulièrement actif en matière d'organismes génétiquement modifiés.
La recherche en sciences sociales constitue un autre secteur d'excellence, même si le dispositif de l'École française d'Extrême-Orient (EFEO), fruit d'une longue tradition, s'appuie désormais sur la présence d'un seul chercheur. Malgré ces moyens limités, l'EFEO assure depuis Hanoï une formation régionale qui s'adresse à 500 personnes chaque année. En outre, en collaboration avec l'Académie des sciences sociales du Vietnam, l'école a réalisé la conception muséographique et scénographique du musée d'archéologie de Hanoï, qui présente les résultats des fouilles entreprises entre 2002 et 2008 dans la citadelle impériale.
La France apporte également son savoir-faire dans le domaine de la médecine. Dans un contexte général de difficultés d'accès aux professionnels et d'un questionnement sur les déserts médicaux qui n'est pas sans rappeler la problématique que nous connaissons bien, la lutte contre les fléaux sociaux revêt une importance toute particulière. Outre les accidents de la circulation, qui font 15 000 morts chaque année, le Vietnam se trouve confronté à une forte prévalence de la tuberculose et de certains cancers, sans oublier le HIV ou les conséquences de l'utilisation intensive des pesticides ainsi que des antibiotiques dans l'alimentation animale. Face à ces défis, la coopération nouée entre la France et le Vietnam s'appuie sur la présence de plusieurs instituts de recherche que j'ai cités à l'instant ainsi que sur l'action d'ONG au savoir reconnu. Autre point, la formation médicale. La coopération, ce sont 1 500 étudiants qui passent un DU chaque année et 50 un DFMS. Les échanges que nous avons eus à Hué nous ont d'ailleurs montré l'intensité des relations nouées avec l'université de médecine. J'ai d'ailleurs relevé un point de vigilance. Comme l'ont souhaité nos interlocuteurs, il me parait indispensable d'assurer la diffusion de l'information sur les signalements de médicaments réputés dangereux par les autorités sanitaires. L'exemple du Mediator est malheureusement resté dans toutes les mémoires : en l'absence d'information, alors qu'il était largement prescrit par les médecins vietnamiens à l'instar de leurs confrères français, son potentiel de risque n'a été réévalué qu'avec retard. Enfin, je regrette que l'intensité des liens noués entre professionnels de santé ne s'accompagne pas de l'implantation d'entreprises françaises de ce secteur. Pourtant, le savoir-faire et l'attachement aux relations avec la France sont là mais nous sommes souvent trop timorés.
La conservation du patrimoine représentait le troisième domaine d'étude de notre mission. C'est un autre exemple d'excellence de la France et la multitude de réalisations et de projets témoigne de l'implication de nombreuses collectivités territoriales. Je pense, en particulier, au travail accompli dans le vieux Hanoï, dans le cadre de partenariats de long terme noués avec la ville de Toulouse ou la région Ile-de-France. Je pense aussi au travail de longue haleine accompli à Hué pour la restauration et l'entretien des maisons jardins et des potagers de la citadelle. Cette expertise s'étend désormais à de nouvelles problématiques, telles que l'assainissement, l'urbanisme, les transports, la formation des personnels ou l'écotourisme.