La commission des finances a fourni un gros travail sur le texte relatif à la fraude fiscale et à la grande délinquance économique et financière. Cet ambitieux et difficile projet suscite des débats. La discussion à l'Assemblée nationale a été fournie, et les députés ont triplé le nombre d'articles alors que le texte initial avait déjà été complété par une lettre rectificative.
La fraude fiscale est à l'origine chaque année, pour l'État, de pertes de recettes de trente à quatre-vingt milliards d'euros selon les estimations. Parce qu'elle introduit une inégalité profonde devant la loi fiscale, la réprimer est une exigence démocratique. Elle fait appel à des techniques particulières qui ont beaucoup évolué ces dernières années. Nous ne nous intéressons pas ici à la fraude à la TVA du cafetier du coin, mais à la grande fraude mondialisée et sophistiquée, qui utilise internet pour faire échapper en un clic des centaines de millions d'euros à l'impôt. Cette fraude consiste parfois non à ne pas payer, mais à encaisser, par exemple dans les cas de carrousels de TVA intracommunautaire ou de fraudes à la taxe carbone.
Ce texte touche à toutes les dimensions de la lutte contre la fraude fiscale. Il renforce les moyens d'enquête, en regroupant la brigade centrale de lutte contre la corruption et la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale en un office central des investigations financière et fiscales et en créant un registre public des trusts, qui sont un des moyens d'échapper à l'impôt.
Il alourdit les peines, qui étaient à la fois faibles et faiblement appliquées, pour un grand nombre d'infractions d'atteintes à la probité. Comme Dominique Raimbourg l'a indiqué à l'Assemblée nationale, l'amende encourue est parfois ridicule au regard du bénéfice de l'infraction. Les députés ont donc décidé de la fixer à 10% du chiffre d'affaires moyen des trois dernières années en matière correctionnelle, et 20% en matière criminelle. Le texte crée un délit de fraude fiscale commise en bande organisée, et aggrave le délit de fraude lorsqu'un compte est ouvert à l'étranger ou qu'il y a des manoeuvres frauduleuses. Les peines d'amende en cas d'atteinte à la probité sont sensiblement alourdies : elles passeront de 30 000, 75 000 ou 150 000 euros à 200 000, 500 000 ou un million d'euros. Un délit d'abus de biens sociaux aggravé est aussi instauré.
Outre la création d'un procureur de la République financier, nous améliorons sensiblement le recouvrement, par des dispositions sur les saisies et les moyens de recouvrement ; en cas de condamnation d'une personne morale pour blanchiment, l'intégralité du patrimoine pourra être confisquée. D'importantes dispositions concernent les contrats d'assurance-vie, qui servent parfois à recycler le produit de l'infraction. Le montant estimé de la fraude pourra être recouvré en valeur dans le patrimoine du fraudeur.
Plusieurs points font débat. L'article 1er donne aux associations la possibilité d'intervenir dans la procédure pénale, en se constituant partie civile ou en se joignant à une action en cours. Il leur faudra disposer d'un agrément, ce qui déplaît à certaines associations, mais cette disposition protègera les associations les plus pertinentes et évitera des abus.
Une première modification aux règles de prescription a été introduite par l'Assemblée nationale : inscrivant dans la loi la jurisprudence de la Cour de cassation en matière d'infractions dissimulées, elle fixe comme début du délai de prescription la révélation du fait. Si nous retenons cette position de l'Assemblée nationale, et non celle de la Chancellerie, il faudra modifier sa rédaction, car les députés n'ont visé que les délits. Pourquoi ne pas inclure les crimes ? La corruption de magistrat en est un, et il n'y a pas de raison que les règles de prescription soient plus favorables pour un assassinat que pour un délit.
Je vous proposerai de supprimer un article introduit par l'Assemblée nationale pour renverser la charge de la preuve dans les affaires de blanchiment, car il porte une atteinte excessive aux droits de la défense : il n'incombe pas au justiciable de démontrer qu'il n'a pas blanchi d'argent.
Le texte étend à la fraude fiscale aggravée les techniques spéciales d'enquête déjà autorisées par la loi Perben 2 dans la lutte contre le crime organisé ou la grande délinquance : surveillances, infiltrations, et surtout extension à quatre jours de la garde à vue. Les auditions auxquelles nous avons procédé nous ont démontré, malgré des divergences de points de vue, qu'une telle extension - sous le contrôle du juge des libertés et de la détention - est souvent nécessaire : les perquisitions peuvent durer un ou deux jours, et il faut bien deux jours de plus pour que la confrontation ait vraiment lieu.