Intervention de Yannick Botrel

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 10 juillet 2013 : 1ère réunion
Dispositif public de soutien aux exportations agroalimentaires — Contrôle budgétaire - communication

Photo de Yannick BotrelYannick Botrel, rapporteur spécial :

Je salue la présence des deux rapporteurs pour avis de la mission « Agriculture » au nom de la commission de l'économie, Renée Nicoux et Gérard César. En février 2012, la commission des finances du Sénat a confié aux rapporteurs spéciaux des missions « Economie » et « Agriculture », une mission sur le dispositif public de soutien aux exportations agroalimentaires. Je tiens à excuser notre collègue Joël Bourdin qui est en déplacement à l'étranger toute la semaine. Notre communication s'inscrit dans la continuité du premier rapport d'étape rendu par André Ferrand en octobre 2012. Nous nous sommes donnés pour objectif de dresser un diagnostic de la situation à l'export des industries agroalimentaires françaises et d'évaluer l'action publique en la matière afin de porter une appréciation sur l'utilisation des crédits budgétaires, l'efficience du dispositif et de proposer des améliorations. A cette fin, nous avons réalisé plusieurs déplacements et conduit de nombreuses auditions.

En introduction, quelques mots sur le contexte économique de notre contrôle. Nous connaissons tous le déficit chronique de notre commerce extérieur : le solde commercial, déficitaire de 67 milliards d'euros en 2012 après 74 milliards en 2011, est révélateur du déficit structurel des exportations par rapport aux importations. De rares secteurs échappent à ce constat, parmi lesquels : l'aéronautique tout d'abord - avec un solde positif de 20 milliards d'euros en 2012 - et les produits agricoles et agroalimentaires ensuite - avec un solde positif de 11,5 milliards d'euros en 2012. Ce surplus s'explique principalement par nos exportations de vins et de boissons alcoolisées, ce qui n'est pas satisfaisant. En effet, nous constatons que la France perd année après année des parts de marché, et ce pour tous les produits agricoles et agroalimentaires. Il en résulte que notre pays, encore deuxième exportateur mondial agroalimentaire à la fin des années 1990 après les États-Unis, n'arrive depuis 2012 qu'au cinquième rang après les États-Unis, les Pays-Bas, l'Allemagne et le Brésil. Nos exportations agroalimentaires progressent moins vite que celle de tous nos concurrents : avec une moyenne de 4 % par an en six ans, contre 5 % pour les Pays-Bas, 6 % pour l'Espagne, la Belgique et l'Italie et 7 % pour l'Allemagne.

Dans ce contexte, l'enjeu stratégique que représentent les exportations agroalimentaires a suscité un intérêt croissant de la part des pouvoirs publics. Notre mission a ainsi vu que différents rapports ont cherché, ces dernières années, à identifier des pistes de réforme. Nous avons également eu des échanges fréquents avec notre ancienne collègue Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur, et son cabinet. J'observe que le mois dernier, dans le cadre de la modernisation de l'action publique (MAP), des recommandations ont été faites par une mission sur l'efficacité du dispositif d'appui à l'internationalisation des entreprises. Leurs conclusions sont assez proches des nôtres et j'attends du Gouvernement qu'il reprenne ces recommandations.

Le champ de notre travail n'est pas allé jusqu'à inclure les questions de compétitivité, mais nous avons bien compris qu'il s'agissait parfois d'un frein à nos exportations. Je pense tout particulièrement au coût du travail par rapport à d'autres pays de l'Union Européenne, au phénomène des travailleurs détachés ou à l'appréciation de l'euro, qui sont - bien entendu - des facteurs qui pèsent sur notre solde commercial, mais là n'était pas l'objet de notre contrôle. Notre focalisation sur le dispositif public de soutien aux exportations agroalimentaires n'interdit cependant pas de réfléchir aux autres éléments qui limitent notre dynamisme.

Je conclurai cette introduction en présentant les thèmes des trois exposés qui vont vous être faits ce matin : je présenterai plutôt l'amont et l'environnement général des filières et des entreprises exportatrices, en plaidant pour une agriculture résolument tournée vers l'export, puis André Ferrand rentrera dans les détails en faisant une présentation approfondie du dispositif national d'appui à l'export, il retracera notamment les enjeux budgétaires de ce dispositif, puis il préconisera une réforme ambitieuse de la gouvernance de ce dernier. Enfin, Christian Bourquin nous parlera du rôle des régions et en recommandant un dispositif régional de soutien à l'export lisible et efficace en direction des petites et moyennes entreprises (PME) et des très petites entreprises (TPE). Je relève à ce sujet, que lors du déplacement en Bretagne, j'ai recueilli des appréciations très positives sur l'agence Bretagne commerce international qui résulte de la fusion entre l'agence du conseil régional dédié à l'export et la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Bretagne. Plusieurs entreprises m'ont d'ailleurs assuré ne pas connaître les structures nationales d'appui à l'export, telles qu'Ubifrance ou Sopexa. J'ai donc pu voir que l'échelon régional représentait un niveau pertinent d'intervention, et Christian Bourquin nous en parlera de manière plus approfondie tout à l'heure.

Premier enseignement de notre diagnostic de l'action publique en matière de soutien à l'export dans l'agroalimentaire : un très grand nombre d'acteurs, souvent compétents et impliqués, mais qui agissent, au mieux, de façon peu coordonnée, au pire, sans aucune coordination. Je vous en cite quelques-uns pour mémoire : Ubifrance, Sopexa et FranceAgriMer que je viens de mentionner, mais aussi Adepta, les CCI, le programme de soutien à l'export de l'Union Européenne, les régions, les douanes, les services sanitaires et vétérinaires, le réseau diplomatique ou, encore, la Coface et la Banque publique d'investissement (BPI) qui prend la suite d'Oséo à partir de cette année. Certes, il existe un plan d'orientation à l'export agroalimentaire (POEAA), mais il n'est clairement pas suffisant en matière de coordination.

De plus, ce déficit de coordination est aggravé par l'absence de chef de file au niveau des ministères concernés. Il faut être conscient que face au ministre de l'agriculture et au ministre délégué à l'agroalimentaire, on trouve le ministre de l'économie et des finances qui a pour bras armé la direction générale du Trésor, mais on trouve aussi le ministère du commerce extérieur et le ministère des affaires étrangères. Et au milieu de tout cela évolue un délégué interministériel aux industries agroalimentaires qui, malgré toute sa bonne volonté, n'est pas en mesure d'assurer la coordination interministérielle requise. Tout au long de nos auditions, nous avons constaté que la concertation interministérielle reste assez faible et que cette absence de pilote était fort dommageable à notre dynamisme à l'export. J'ai relevé la solution retenue par les Pays-Bas, qui ont fait le choix politique de fusionner les ministères de l'économie et de l'agriculture dans une entité unique ayant autorité sur le réseau diplomatique.

J'en viens à la question de l'amont : nos auditions et nos déplacements nous ont appris que nos filières agricoles sont insuffisamment tournées vers l'export. Le fait de « chasser en meute » n'est malheureusement pas une disposition très française. Les entreprises développent en effet plutôt des stratégies individuelles, parfois même des opérations au coup par coup, et c'est pourquoi j'affirme que la culture de l'export est largement insuffisante dans les filières agricoles et les interprofessions. Une avancée récente peut être notée, avec la signature le 19 juin dernier du contrat de filière alimentaire, mais elle me semble bien timide en matière d'export par rapport aux enjeux. Nous recommandons donc de diffuser une culture de l'export dans les filières agricoles, FranceAgriMer pouvant de ce point de vue jouer un rôle majeur. Cet organisme, qui résulte de la fusion de l'ensemble des offices agricoles, pourrait ainsi contribuer à diffuser la culture de l'export dans nos filières agricoles et agroalimentaires, en structurant les filières en ce sens.

Un mot des contraintes rencontrées par les entreprises. Certaines procédures sont connues pour être lourdes et nous avons voulu vérifier ce qu'il en était. Il en résulte que les douanes font un bon travail d'accompagnement du commerce international. Outre la mise à disposition gratuite de statistiques détaillées, la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) informe les entreprises des démarches à accomplir pour exporter et surtout s'inscrit dans une démarche de simplification, d'allègement des formalités déclaratives et de dématérialisation des procédures douanières. Ces efforts de simplification sont salués par de nombreuses entreprises.

A l'inverse, des entreprises se sont plaintes des contraintes imposées par les services sanitaires et vétérinaires sur notre propre sol, et je ne parle même pas ici des contraintes rencontrées à l'étranger, qui peuvent parfois s'apparenter à du protectionnisme déguisé et qui nécessitent de lever les obstacles sur les marchés étrangers en utilisant sans ménagement nos instruments de défense commerciale. Pour revenir aux contraintes que nous imposons à nos exportateurs, j'indique que c'est sans doute la contrepartie de notre ambition d'avoir les produits alimentaires les plus sûrs du monde, mais quoi qu'il en soit nous pouvons simplifier les procédures sur le terrain. Le constat est en effet partagé : les procédures sont lourdes et freinent le dynamisme des entreprises, voire les encouragent à aller exporter à partir d'autres États de l'Union Européenne.

Je souhaite évoquer rapidement trois autres points : les aides versées par l'Union européenne, les couvertures assurantielles et le sujet des infrastructures. S'agissant des aides versées par l'Union européenne pour la promotion transversale de produits, environ 50 millions d'euros par an, dont 10 millions pour la France, il me semble que les conditions imposées rendent les campagnes peu efficaces : en effet il est impossible de faire référence à l'origine nationale du produit ou même d'utiliser un symbole tel que la tour Eiffel pour ne pas discriminer les États membres entre eux. La politique commerciale européenne me paraît au total insuffisamment défensive et insuffisamment offensive : il faut moins de naïveté européenne en matière d'échanges agroalimentaires avec le reste du monde. La quasi-disparition des restitutions à l'exportation, qui s'élevaient à 10 milliards d'euros dans les années 1990, 3 milliards d'euros il y a 10 ans et 80 millions d'euros en 2012, pourrait être compensée par un renforcement des moyens alloués à la promotion.

Par ailleurs, il nous a été mentionné l'existence de difficultés rencontrées par certaines entreprises en termes de couvertures assurantielles. Ceci en dépit de l'offre gérée par la direction des garanties publiques de la Coface qui concerne cinq dispositifs : l'assurance-crédit principalement, qui permet de couvrir le risque de défaut de paiement, que la raison soit politique ou commerciale, mais aussi l'assurance risque exportateur, l'assurance change, l'assurance investissement et, enfin, l'assurance prospection. L'assurance-crédit représente 60 des 80 milliards d'euros du total des encours de ces garanties publiques, mais elle profite surtout à de gros contrats, une trentaine d'entreprises concentrant plus des trois quarts du total des encours. La Coface semble donc peu tournée vers les PME et faiblement réactive, ainsi des entreprises ayant essuyé des refus ont dû recourir à des compagnies d'assurance étrangères, néerlandaises en particulier.

Pour ce qui concerne les infrastructures, comme le montre l'exemple des Pays-Bas, il s'agit d'un point essentiel et nos installations routières, ferroviaires et portuaires doivent permettre de relever ce défi de s'appuyer sur des plateformes logistiques d'envergure internationale.

Enfin, j'en arrive à la concurrence destructrice entre Ubifrance et Sopexa. La défaillance dans la gouvernance que j'ai relevée tout à l'heure se décline dans les opérateurs puisque le ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt (MAAF) a son instrument Sopexa, tandis que la direction générale du Trésor exerce sa tutelle sur Ubifrance.

Ubifrance, qui a pris en 2004 la suite du Centre français du commerce extérieur (CFCE), est censé assurer un accompagnement commercial sur les marchés étrangers tandis que la société pour l'expansion des ventes des produits agricoles et alimentaires (Sopexa), société anonyme créée en 1961, communique et organise des évènements tels que des « semaines françaises » ou des opérations de promotion en magasin ou lors de salon. En réalité, les deux structures se concurrencent et transgressent régulièrement les accords qu'elles concluent pour se répartir leurs champs d'intervention respectifs. Ces redondances sont inacceptables, surtout qu'elles peuvent aussi concerner FranceAgriMer.

Le bilan des deux opérateurs est incertain : Ubifrance rend principalement compte de son volume d'activité mais pas de ses résultats effectifs et, à ce jour, le bilan de la délégation de service public attribué à Sopexa pour la période 2008-2012 n'a toujours pas été communiqué au ministère de l'agriculture malgré des demandes répétées ! Pourtant la délégation de service public (DSP) accordée à Sopexa pour la promotion des produits agroalimentaires a bien été renouvelée pour 2013-2017, mais avec un montant modeste de 9 millions d'euros par an. En termes de message, la communication de Sopexa semble peu lisible, le « B to C » est délaissé alors que la communication grand public est un enjeu sur de nombreux marchés étrangers. En outre, cette société anonyme travaille de plus en plus pour des opérateurs étrangers, ce qui pose question au regard du rôle qui lui est dévolu par la DSP.

Pour conclure, je formule sept recommandations. Dans le cadre d'une stratégie concertée, nous devons pouvoir en arriver à un pilotage cohérent du dispositif, qui permette un dialogue interministériel effectif et efficace. Il nous faut ensuite assurer, a minima, une coordination entre les nombreuses structures qui concourent à la promotion des exportations. Dans le même ordre d'idées, il est même possible d'aller, a maxima, vers un opérateur unique chargé de la promotion et de l'accompagnement, mais en le plaçant dans ce cas sous une double tutelle du ministère de l'économie et des finances (MINEFI) et du MAAF. Plus spécifiquement, nous demandons que les procédures de certification sanitaires et vétérinaires soient, le plus possible, simplifiées et dans la mesure du possible dématérialisées. Cette simplification maximale devra bien évidemment se faire dans le respect des règles internationales et européennes. La DGDDI doit être partie prenante à part entière du dispositif de soutien à l'export. Il faut donc l'associer à l'équipe de France de l'export. Nous devons tourner davantage l'amont vers l'international, en structurant les filières dans ce sens, notamment grâce à la mobilisation de FranceAgriMer. Il nous faut préparer la fin de la délégation de service public à Sopexa en 2017. Se défaire de Sopexa est peu réaliste, surtout à court terme d'abord parce que la DSP court jusqu'en 2017, ensuite parce que des liens historiques et institutionnels existent entre cette entreprise et le ministère de l'agriculture, voire plus largement avec le monde agricole français. Pour mémoire, j'indique que les actionnaires actuels de cette société anonyme sont la plupart des interprofessions agricoles, les coopératives agricoles, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), le Crédit agricole, Sofiprotéol ou encore Unigrains. En dépit de cette situation, il demeure toutefois possible de remettre en question le fonctionnement actuel, en optimisant l'efficacité des actions conduites et en imposant une complémentarité harmonieuse avec les autres opérateurs du soutien public aux produits agricoles et agroalimentaires.

Nous avons un rendez-vous historique et nous ne devons pas le manquer, il en va de l'avenir de notre agriculture et de notre économie.

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