Je salue à mon tour la présence des deux rapporteurs pour avis de la commission de l'économie, Renée Nicoux et Gérard César. Je remercie mon collègue Yannick Botrel pour son exposé, dont je partage le constat et les propositions pour améliorer la culture de l'export dans le monde agricole. Sa présentation de l'action de Sopexa et d'Ubifrance fait office de transition vers la partie qu'il me revient de vous présenter et qui s'intitule « Pour une réforme ambitieuse de la gouvernance nationale de l'appui aux exportations agroalimentaires » et on pourrait ajouter : pour une réforme courageuse car il s'agit de bousculer les situations établies. Ce sujet constitue le prolongement naturel du point d'étape consacré à l'action du réseau d'appui à l'international à la lumière du marché agroalimentaire chinois que je vous avais présenté le 17 octobre de l'an dernier. Pour mémoire, j'avais alors proposé une série de six recommandations destinées à améliorer les conditions d'élaboration d'une stratégie commune et cohérente, dont la portée peut être étendue, au-delà de la seule expérience du marché chinois, d'une part à l'ensemble du réseau et d'autre part à d'autres secteurs économiques.
Il s'agissait d'abord, au niveau local, de consacrer clairement le « leadership » du représentant de l'Etat, l'Ambassadeur, afin qu'il dispose des moyens de coordonner l'action et d'assurer la synergie des différentes structures qui concourent à la promotion des exportations car c'était loin d'être le cas.
Il s'agissait ensuite de traduire le volontarisme de tous les acteurs à travers un plan stratégique et un plan d'action définissant des objectifs aussi précis que possible.
Je proposais de s'assurer que toutes les conventions, chartes et accords, signés à Paris entre les différents acteurs, fassent l'objet de déclinaisons locales permettant la réalité de leur mise en oeuvre.
Enfin, il me semblait nécessaire de rechercher et d'utiliser les circuits d'information les plus opérationnels afin de transmettre aux interprofessions, filières et régions les informations utiles quant aux opportunités identifiées sur les marchés étrangers.
Aussi, je me félicite du fait que ces recommandations aient été reprises par le Gouvernement, dans le cadre d'une convention conclue entre le ministre des affaires étrangères et celui du commerce extérieur, s'agissant notamment de confier à l'Ambassadeur avec l'appui du Conseiller économique la coordination des partenaires à travers les conseils économiques, nouvellement créés, grâce à l'intervention de Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, dans le cadre de la diplomatie économique et d'élaborer le volet économique du plan d'action de chaque ambassade, lequel définit les objectifs adaptés au contexte local.
J'en viens maintenant au coeur de mon propos qui comprendra d'abord des constats sur le dispositif actuel, puis des considérations sur le contexte actuel qui me semble favorable au lancement d'une réforme ambitieuse, indispensable pour notre pays compte tenu de la situation économique actuelle. Je terminerai par la présentation de scénarios de réforme et de recommandations assorties de cas pratiques pour leur application.
Le constat de nos interlocuteurs est unanime : le dispositif actuel de soutien à l'export agroalimentaire se caractérise par la dispersion des moyens publics, l'éparpillement des opérateurs sectoriels et une gouvernance verticale en « tuyaux d'orgue » ou en « silo ».
Cet état de fait réside tant dans l'origine diversifiée des financements que dans l'hétérogénéité des opérateurs en charge du secteur.
Le ministère de l'agriculture a consacré 27,5 millions d'euros au travers des trois organismes d'appui Sopexa (13,5 millions d'euros), Ubifrance (0,7 million d'euros), ADEPTA (1,3 million d'euros) et 12 millions d'euros via le budget de FranceAgriMer.
En outre, environ 20 millions d'euros ont bénéficié au secteur agroalimentaire au titre de la subvention globale du ministère de l'économie à Ubifrance.
La diversité des acteurs du dispositif public de soutien pose donc la question de la synergie des trois niveaux d'intervention de l'Etat : le niveau régalien (administrations de tutelle), les opérateurs spécialisés dans la promotion à l'export (la Sopexa dans le cadre de la délégation de service public (DSP) et Ubifrance) et FranceAgriMer (FAM) en raison de son rôle de structuration des filières et de l'offre de produit dont il conviendrait en effet de rendre son action plus effective dans le domaine.
En outre, il faut signaler que les collectivités territoriales, en particulier les régions, et les organisations professionnelles contribuent également de manière substantielle à la promotion de l'export agroalimentaire. Et il ne faut pas négliger le rôle du ministère des affaires étrangères et des CCI françaises à l'étranger pour la partie internationale du dispositif d'appui.
S'agissant de la gouvernance au niveau national, nos auditions et déplacements nous ont permis de constater que le secteur de l'agroalimentaire se caractérisait historiquement par un manque de cohérence au niveau ministériel et stratégique, entre l'agriculture et le commerce extérieur, qui a cristallisé le débat sur la relation conflictuelle qu'entretiennent Ubifrance et Sopexa. Il en a résulté des chevauchements de compétences et un échec des tentatives de coordination et de répartition géographique. Concrètement, si des conventions, des chartes destinées à progresser sur tous ces points ont été signées à Paris, on se rend compte que beaucoup trop souvent, elles n'ont pas été déclinées ni mises en oeuvre d'une façon opérationnelle et efficace sur le terrain.
Comme j'ai pu m'en rendre compte depuis le début de cette mission, le plan d'orientation à l'export agroalimentaire (POEAA) ne constitue pas une véritable stratégie d'action concertée et partagée par tous les acteurs et, quant à lui, le programme « France Export », est la résultante d'une convention de partenariat entre Ubifrance et Sopexa s'apparentant davantage à un pacte de non agression, sorte de « Yalta » géographique de partage du monde, qu'à une véritable stratégie de collaboration. Aussi, j'ai été surpris de constater sur le terrain que les opérateurs, au lieu de se consacrer chacun aux fonctions dans lesquelles ils sont spécialisés, étaient amenés à dupliquer les mêmes fonctions.
Un schéma complexe illustre cette redondance des actions et la nécessité de clarifier les compétences de chaque acteur notamment en matière d'organisation de salon et d'accompagnement vers les professionnels ou vers les consommateurs. Cette situation est la résultante d'une partition géographique des rôles au lieu d'une répartition fonctionnelle. Normalement l'accompagnement « B to B », la compétence générale d'organisation de stand et la promotion de l'image France devait revenir à Ubifrance alors que le coeur de métier de Sopexa réside dans le marketing, l'image, l'accompagnement vers le consommateur, le « B to C » et la promotion en point de vente, par exemple l'apéritif à la française qui est une opération réussie.
Au lieu de cela, « tout le monde fait tout » chacun dans son coin, au risque d'une dilution des deniers publics et d'incohérences de calendriers que nous avons constaté sur le terrain.
Alors que des situations de redondance et de concurrence « stérile » entre opérateurs du service public peuvent subsister sur le terrain, l'organisation du « jeu collectif » doit conduire à une répartition des compétences entre Ubifrance et Sopexa fondée sur la complémentarité des savoir-faire et une saine émulation. Mais il apparaît trop souvent qu'aucune mutualisation des moyens n'est à l'oeuvre.
Cette situation est d'autant plus regrettable que les dotations budgétaires diminuent : 9 millions d'euros par an pour Sopexa en 2013 au lieu de 13,5 millions d'euros en 2012. Sans mutualisation des moyens, nous courrons le risque du saupoudrage et de l'abandon de certaines missions. D'ores et déjà, la DSP attribuée à Sopexa pour la période 2013-2017 ne lui permet plus d'assurer sa mission première de promotion auprès du grand public, à moins que la tutelle recentre la Sopexa sur son coeur de métier. C'est un avis communément partagé, sans remettre en cause les compétences de cette entreprise privée.
Pour en venir aux perspectives d'évolution, je dois prendre acte de la volonté de réforme dont fait preuve le Gouvernement et notamment Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur. Je note une réelle prise de conscience gouvernementale pour mettre en place une nouvelle stratégie associant filières, régions et diplomatie économique. Je constate également une réelle mobilisation interministérielle qui s'est manifestée par l'adoption par les ministres de l'agroalimentaire et du commerce extérieur d'un plan interministériel commun pour l'export agroalimentaire. C'est une initiative à saluer.
En outre, dans le cadre de la modernisation de l'action publique (MAP), le rapport Bentéjac-Desponts sur l'évaluation des dispositifs de soutien à l'internationalisation des entreprises préconise la création d'une grande entité unique « France international » réunissant Ubifrance, AFII ainsi que les CCI et les régions. Les contours de cet ensemble sont certainement à expertiser mais cette proposition va dans le bon sens. J'ai moi-même proposé, sur la base d'un projet identifié aux Pays-Bas, le regroupement de nos agences dans une implantation commune qui serait une « maison de la France ».
Mais je constate que, en marge des actions conduites par Ubifrance ou Sopexa, se développent une multitude d'initiatives spécifiques à l'agroalimentaire. Certes, celles-ci ne sont pas nécessairement coordonnées ou soutenues, mais elles démontrent que, dans des logiques de projets, la promotion de l'agroalimentaire français constitue un « vrai produit d'appel » pour la France : comité Asie, Club des exportateurs de l'agroalimentaire USA, « French gourmet » à Hong-Kong ou « Taste of France » à New-York.
Il reste à construire un concept attractif de l'excellence alimentaire française, comme les Italiens ont pu le faire autour du goût et de la simplicité et les Espagnols autour des tapas et de la fête. Sur ce point, le bilan de Sopexa peut sembler inachevé car le positionnement marketing de l'agroalimentaire français ne semble pas clairement défini.
Enfin, pour en venir à mes recommandations, il me semble, à la lumière de l'expérience, que les dysfonctionnements et les errements constatés ne pourront être remis en cause sans une réforme ambitieuse et courageuse.
Dans les trois scénarios de réforme que j'ai identifiés, le premier me semble voué à l'échec. En effet, dans un statu quo amélioré entre agriculture et commerce extérieur, il faut prendre en considération le fait que la situation actuelle résulte déjà de l'empilement de déclarations d'intention, de conventions et de chartes qui n'ont pas été suivies d'effets. Pourquoi cela fonctionnerait-il mieux à l'avenir sans réforme de structure ?
A l'inverse, dans un second scénario, une éviction des opérateurs sectoriels, Adepta, Sopexa, dédiés à l'agriculture est-elle concevable ? Sur un plan strictement rationnel, oui. De nombreux secteurs industriels ne disposent pas d'opérateurs sectoriels spécifiques à l'export et ont recours soit à des opérateurs privés, soit à Ubifrance. Mais il est aussi vrai que des raisons historiques et culturelles font de Sopexa un acteur de référence dans le monde agricole. En outre ses prestations dans le secteur délimité du marketing et de la promotion « B to C » ne sont pas remises en cause.
Aussi, dans le troisième scénario, je propose une reconfiguration du dispositif d'appui autour d'un opérateur commun de référence, dans le respect de l'acquis et des compétences sectorielles. L'expérience passée montre que sans réforme ambitieuse de gouvernance, les pratiques n'évoluent pas. Pour des raisons budgétaires, pour mutualiser les moyens et pour mettre en cohérence les actions, le recours à l'opérateur de référence du commerce extérieur doit être privilégié, tout en conservant les compétences acquises par Sopexa, lequel n'est d'ailleurs pas un opérateur de l'Etat mais un prestataire privé agissant sous délégation.
Il est d'ailleurs dans l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances que l'export soit considéré comme une mission interministérielle à laquelle le ministère de l'agriculture serait associé au ministère du commerce extérieur, ce dernier demeurant naturellement le chef de file de l'export. Mais, cela suppose naturellement que les acteurs de l'agriculture (ministère, Sopexa,...) acceptent un nouveau schéma de tutelle et de gestion.
Il faut certes se féliciter du travail commun réalisé par les ministères de l'économie et de l'agriculture, notamment dans le cadre du plan export agroalimentaire, mais compte tenu de la réduction généralisée des crédits alloués, il convient de travailler sur des axes de mutualisation pour l'application de cette stratégie commune au niveau des opérateurs. Aussi, sans remettre en cause dans l'immédiat la DSP accordée à Sopexa et l'action du ministère de l'agriculture, il est proposé de renforcer la coordination de l'action de Sopexa avec Ubifrance dans le cadre d'une labellisation Ubifrance obligatoire pour toutes les actions menées à l'étranger, comme cela se fait déjà pour certaines CCI françaises à l'étranger et ainsi que le préconise le rapport de l'inspection générale des finances (IGF) relatif à l'industrie agroalimentaire.
Le scénario ici présenté prend acte de la position centrale de la composante Agrotech de l'opérateur Ubifrance pour l'appui aux exportations agroalimentaires, lequel aurait pour vocation de mutualiser toutes les actions en associant Sopexa pour ce qui relèverait de la DSP. Ce schéma présente plusieurs avantages.
Au niveau politique et ministériel, il permet de reconnaître au ministère de l'agriculture un lien de tutelle formel sur Ubifrance dans le cadre de la stratégie commune du plan export agroalimentaire au même titre que le ministère du commerce extérieur. Nous obtiendrions une meilleure lisibilité de la politique mise en oeuvre.
Au niveau stratégique, ce schéma conduit à s'appuyer sur l'opérateur dédié à l'export Ubifrance, ou toute autre structure issue d'un regroupement, par exemple « France international », comme pivot de la traduction des orientations définies par les ministères de tutelle. Cela doit permettre une meilleure coordination des actions à mener.
Enfin, au niveau opérationnel sur le terrain, ce schéma a pour effet d'inscrire tous les acteurs dans une démarche obligatoire de travail en commun et de mutualisation des connaissances et des compétences pour une meilleure utilisation des deniers publics.
Christian Bourquin abordera la question spécifique des régions.
Pour conclure cette partie, j'en viens maintenant à mes recommandations que j'assortirai de cas pratiques de mise en oeuvre. Je propose six recommandations qui vont également dans le sens esquissé par Yannick Botrel :
Faire le choix d'une réforme ambitieuse du dispositif public de soutien aux exportations agroalimentaires ; Reconfigurer la gouvernance de l'export agroalimentaire autour d'un opérateur commun de référence dédié au commerce extérieur ; Prendre en compte et clarifier le périmètre des compétences sectorielles et géographiques sous labellisation des actions et gestion des DSP par l'opérateur commun de référence ; Communiquer sur les marchés extérieurs d'une seule voix, celle de la France, et non au titre du ministère de tutelle ou d'un opérateur particulier ; Mutualiser les moyens par une mise en commun concrète des logos, matériels de promotion, fichiers existant ainsi que de la conception des nouveaux outils dans le cadre de la « Marque France » ; Coordonner les actions sur le plan fonctionnel, géographique et calendaire avec les opérateurs nationaux, les régions et les réseaux consulaires.
Mais ces recommandations ne doivent pas rester lettre morte et celles-ci doivent trouver à s'appliquer dès à présent sur des projets concrets. Ainsi, ai-je identifié quatre cas pratiques que notre nouvelle stratégie doit soutenir.
En premier lieu, elle doit inspirer et diffuser les bonnes pratiques mises en oeuvre par les initiatives diverses (« comité Asie », club des exportateurs de l'agroalimentaire USA, « French gourmet », « taste of France » à New-York) et les appuyer au plus haut niveau de l'Etat.
En deuxième lieu, elle doit intégrer dans la stratégie de promotion de l'export les plateformes logistiques et vitrines commerciales reconnues à l'exemple du marché d'intérêt national de Rungis qui doit être soutenu pour mieux saisir les opportunités d'exportation ou de réexportation.
En troisième lieu, notre stratégie doit associer au développement de la « Marque France » la gastronomie et l'excellence alimentaire française en vue de développer un concept novateur actuel et attractif de la nourriture française à l'international comme l'Italie et l'Espagne ont su le faire.
En quatrième lieu, il faut rendre opérationnelle la nouvelle gouvernance et lui fixer comme objectif la promotion de l'agroalimentaire français à l'exposition universelle Milano 2015 « Nourrir la planète. Energie pour la vie ».
Il s'agit pour nous d'organiser le jeu collectif public et privé. Je dois reconnaître que cette approche n'est pas dans nos gènes et c'est pourquoi il me semble important que l'éducation nationale soit associée, à travers ses programmes, à une sensibilisation plus grande des jeunes générations à l'aspect économique de la mondialisation et aux opportunités données à notre pays par le commerce international.
Je vous remercie et je passe à présent la parole à Christian Bourquin.