Alors, pourquoi un tel entêtement à maintenir les instructions individuelles, mes chers collègues ? Leur maintien est justifié, nous a-t-on dit – nous l’avons entendu en commission, puis en séance publique ; nous l’avons lu dans certains articles – par la spécificité de l’une des missions du parquet, qui est chargé de mettre en œuvre la politique pénale déterminée, en vertu de l’article 20 de la Constitution, par le Gouvernement - vous le rappeliez, madame la garde des sceaux – un gouvernement qui aurait de ce fait toute légitimité pour corriger, accompagner, ou enjoindre que tel ou tel acte soit fait pour le bien de l’autorité judiciaire et de la justice.
Cet argument, comme je l’ai dit en première lecture, est réfutable et doit être, à nos yeux, réfuté.
Premièrement, le parquetier est bien plus qu’un simple acteur de la politique du Gouvernement. Si l’on admet que l’acte de poursuite, qui est sa mission principale, est aussi grave que l’acte de juger, on ne pourra plus longtemps lui refuser sa totale indépendance. Cette mission de poursuite place en effet les magistrats du parquet aux avant-postes de la défense des libertés individuelles et ils doivent, aux termes de la loi, pouvoir choisir les modalités des poursuites qu’ils estiment adaptées.
Deuxièmement, un procureur est un magistrat responsable, je tiens à le rappeler ici : si une affaire le mérite, faisons-lui confiance pour y donner suite. Même s’il y a toujours un risque d’inertie dans la conduite de l’action publique – elle est menée par des femmes et par des hommes -, ce risque est considérablement amoindri dès lors que la nomination des procureurs est fondée sur des critères de professionnalisme, d’expérience et de compétence par un Conseil supérieur de la magistrature indépendant.
Nous sommes donc satisfaits que l’examen de ce texte soit mené à son terme, même si nous savons que la suppression des instructions individuelles écrites ne réglera pas tout, comme nous l’avions également dit précédemment.
Cependant, je vous le disais, la réforme nécessaire est autrement plus ambitieuse. Nécessaire, cette réforme l’est ; ambitieuse, elle devra l’être, mes chers collègues.
Elle est nécessaire, car la situation historique du parquet « à la française », pour employer l’expression consacrée, a été pointée et dénoncée par les juges de la Cour européenne des droits de l’homme.
Nous devrons donc mener cette réforme à son terme – ce n’est qu’une question de temps, je n’en doute pas –, non seulement du fait de ces condamnations, mais, plus largement, du fait du principe de séparation des pouvoirs, garant de la démocratie et dont nous souhaitons une application effective.
Malheureusement, la défiance que certains nourrissent vraisemblablement à l’égard des magistrats a mis un frein à toute évolution favorisant cette indépendance, défiance qui s’est manifestée, souvenons-nous, en 2008, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, mais aussi, malheureusement, voilà quelques semaines seulement dans notre assemblée, sur les travées de droite, du centre, voire encore un peu plus à gauche…
Pourtant, madame la ministre, la réforme que vous avez engagée constitue indéniablement, nous en sommes convaincus, une réelle avancée : elle renforçait l’autonomie du parquet, en exigeant désormais un avis conforme du CSM sur les nominations proposées par le garde des sceaux ; elle accordait la présidence du CSM à un non-magistrat ; elle renforçait le rôle de la formation plénière par la création d’une faculté d’auto-saisine sur les questions de déontologie et d’indépendance ; elle supprimait la référence à toute mission d’assistance du CSM ; enfin, elle instaurait au sein du Conseil supérieur de la magistrature une parité entre magistrats et non-magistrats.
De notre côté, souhaitant une réforme ambitieuse, nous avions, après un travail sérieux avec les organisations syndicales représentatives du monde de la justice, déposé un certain nombre d’amendements visant à améliorer le texte et à poursuivre le débat, convaincus que l’indépendance de la justice est un ouvrage qu’il nous faut remettre sur le métier, parce qu’elle est une exigence de la démocratie.
Nous souhaitions donc une réforme ambitieuse, élaborée avec l’ensemble des acteurs de la justice, avec l’ambition de rapprocher les citoyens de la justice.
Nous avions ainsi soutenu ce texte attendu par l’ensemble du corps des magistrats, qui souhaitent l’instauration d’une distance entre le juge et le politique, indispensable à l’exercice de leur profession, clé de la légitimité inébranlable d’un pouvoir judiciaire au seul service des citoyens.
Nous avions réaffirmé leur souhait de parvenir à une réelle indépendance de cette justice, gage d’une politique équitable et impartiale, qui offre aux magistrats du parquet la garantie d’exercer leur mission en dehors de toute pression politique, c'est-à-dire dans le bon sens, et aux citoyens la garantie de leur propre liberté.
Nous comptons donc sur votre ténacité, madame la garde des sceaux, pour mener à bien cette réforme, et plus largement sur cet idéal que vous partagez et que vous voulez voir inscrit dans la Constitution, afin que soit donnée aux magistrats une indépendance pleine et entière, socle et garantie de notre démocratie.
Nous voterons conforme le texte qui nous vient de l’Assemblée nationale, en attendant la suite, à l’automne, en dépit d’un calendrier parlementaire qui s’annonce chargé, parce que l’un ne va pas sans l’autre !