Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 16 juillet 2013 à 14h30
Attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public — Adoption définitive en deuxième lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Christiane Taubira :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens toujours, par correction et par égard pour les parlementaires, à remercier les intervenants au terme de la discussion générale et à répondre à leurs éventuelles interrogations et observations, indépendamment de ce que j’ai pu dire dans mon intervention liminaire.

Je remercie donc Mmes Benbassa et Cukierman de leurs interventions et de la manière dont elles ont souligné le lien existant entre la logique de ce projet de loi et celle du projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature. En effet, c’est bien ainsi qu’il faut lire ces textes. D’ailleurs, en 1998 et 1999, des textes similaires avaient été présentés par Élisabeth Guigou, garde des sceaux, et la non-convocation du Congrès avait conduit à l’abandon des modifications concernant les instructions individuelles prévues par l’article 30 du code de procédure pénale.

Monsieur Mercier, vous êtes intervenu avec encore plus de punch que d’habitude ! §Vous avez surtout rappelé que ce projet de loi comportait des dispositions claires. À ce titre, le moment me semble venu de redire, un peu plus sommairement sans doute que précédemment, que nous ne touchons pas aux rapports hiérarchiques, car nous ne modifions pas l’article 5 de l’ordonnance de 1958.

Il n’y a donc pas lieu de jeter la suspicion sur un parquet « lâché dans la nature » et « livré à lui-même », parce que le texte du projet de loi est très clair sur ce point. Contrairement à ce que vous nous reprochez, le Gouvernement assume totalement sa responsabilité en matière de politique pénale.

Pour répondre à M. Baylet sur ce point, je rappellerai qu’il n’y avait pas eu de circulaire générale de politique pénale depuis plusieurs années et que nous avons tenu à en élaborer une et à la diffuser dès le 19 septembre 2012.

Cette circulaire générale indique bien les orientations et les principes directeurs de la politique du Gouvernement. En nous appuyant sur l’article 20 de la Constitution, qui rend l’exécutif responsable de la conduite des politiques de la Nation, donc des politiques publiques, nous réaffirmons dans cette circulaire générale de politique pénale et dans la nouvelle rédaction de l’article 30 du code de procédure pénale la responsabilité du garde des sceaux en matière de politique pénale sur l’ensemble du territoire.

Il ne s’agit donc pas de dessaisir l’exécutif de cette politique pénale : au contraire, nous énonçons clairement ce principe de responsabilité, et pour la première fois ! Dans la rédaction actuelle de l’article 30 du code de procédure pénale – introduite par la loi du 9 mars 2004 –, le garde des sceaux « conduit la politique d’action publique » et il ne s’engage pas du tout sur la politique pénale. Non seulement il ne s’y engage pas dans l’article 30, mais il ne s’y engage pas non plus par circulaire générale puisque, je le répète, la nôtre vient introduire une innovation, même s’il ne s’agit pas de la première, qui représente un changement complet par rapport à la pratique observée pendant les dix dernières années au moins.

En ce qui concerne la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, monsieur Baylet, vous avez demandé un temps de concertation. La concertation a eu lieu, j’ai eu l’occasion de le dire lors de la première lecture : M. le Premier ministre avait souhaité, par égard pour les parlementaires, recevoir personnellement les présidents de groupe – il s’est attelé à cette tâche dès octobre 2012. Pour ma part, j’ai conduit toutes les autres consultations et j’ai proposé aux groupes parlementaires de me recevoir en audition, s’ils le souhaitaient – en ce qui concerne le groupe des radicaux et apparentés, j’ai eu le plaisir de le recevoir à la Chancellerie. Cela dit, j’ai bien entendu votre demande de concertation et nous ouvrirons encore des espaces de discussion sur cette réforme.

Pour ce qui est de la séparation et l’équilibre des pouvoirs, nous mettons justement un terme aux ingérences de l’exécutif dans l’exercice de la mission de requérir et dans celle de juger. Nous veillons donc à ce que « le pouvoir arrête le pouvoir », car Montesquieu avait effectivement bien vu les choses !

J’ai entendu M. Vial exprimer des inquiétudes sur les procureurs généraux, qui deviendraient gardes des sceaux dans le ressort de leur cour d’appel. Cette crainte n’a pas lieu d’être, parce que l’exécutif, en l’occurrence le garde des sceaux, engage sa responsabilité en matière de politique pénale sur l’ensemble du territoire national. Surtout, le code de procédure pénale reconnaît déjà aux procureurs généraux le pouvoir d’adapter les directives du garde des sceaux et la pratique est déjà bien établie, comme l’a rappelé M. Mercier.

Cela étant, cette adaptation intervient dans le champ défini par la circulaire générale, mais, les profils des délits et des crimes étant différents d’un ressort de cour d’appel à un autre, la circulaire générale de politique pénale, qui énonce les principes directeurs et les priorités, n’exige pas la même intensité d’effort pour tous les types de contentieux dans tous les ressorts. Ce cadre général fixe les limites de l’adaptation intelligente que doit effectuer le procureur général, dans un souci d’efficacité.

M. Mercier a bien expliqué que cette pratique n’était pas nouvelle, parce que les territoires sont différents.

Quand des territoires présentent de fortes spécificités en termes délictuels ou criminels, il peut être nécessaire de diffuser une circulaire territoriale, ce que j’ai fait : j’en suis à la sixième et nous mettons la dernière main à deux circulaires pour les outre-mer. Dès le mois d’octobre, j’ai diffusé une circulaire territoriale de politique pénale pour la Corse et une autre pour l’agglomération de Marseille.

Il convient donc, lorsque des territoires présentent un profil de délinquance très particulier, loin de se contenter des adaptations que le procureur général peut apporter à la circulaire générale de politique pénale, d’aller plus avant, pour faire en sorte que l’action publique soit efficace sans que le procureur général ait à outrepasser les orientations contenues dans la circulaire générale.

En outre, les procureurs sont appelés, dans certains ressorts et à certains moments, à faire un effort particulier sur tel ou tel type de délinquance. Je vous avais donné des exemples en première lecture. Ainsi, à Lille, on a décidé de consentir un effort particulier, à une période particulière, pour la répression des actes racistes et antisémites, et à un autre moment, un effort a été fait sur les armes ; à Marseille, une attention particulière a été portée aux mineurs. Ces efforts interviennent dans le cadre des circulaires générales que le procureur général peut adapter.

Monsieur Vial, vous craignez que les instructions individuelles écrites que nous supprimons ne soient remplacées par des instructions orales. Ce faisant, vous évoquez une pratique dont je n’ai pas connaissance, mais qui a peut-être existé ! En tout état de cause, le fait d’affirmer très clairement que nous mettons un terme aux instructions individuelles permettra aux magistrats de révéler des instructions orales, s’ils en reçoivent.

Vous savez qu’une commission d’enquête parlementaire, à l’Assemblée nationale, procède à ses dernières auditions et vous avez vu comment a fonctionné la justice. Il est donc possible de ne pas donner d’instructions individuelles : même si cette pratique a eu cours pendant cinq ans, je n’y ai pas eu recours depuis ma prise de fonction et M. Mercier a dit lui-même qu’il n’y recourait pas non plus quand il était lui-même garde des sceaux.

Par ailleurs, j’ai expliqué à la tribune les raisons pour lesquelles des situations particulières pouvaient inspirer des inquiétudes tout à fait légitimes, mais elles n’étaient absolument pas concernées par les instructions individuelles et ne le seront pas davantage à l’avenir.

Mesdames, messieurs les sénateurs, plus aucune instruction individuelle n’est et ne sera adressée, parce que nous tenons à mettre un terme à l’immixtion de l’exécutif dans l’acte de requérir et dans l’acte de juger, afin de permettre aux magistrats de rendre la justice en toute sérénité.

Je vois d’ailleurs difficilement comment certains d’entre vous peuvent sans contradiction exprimer leur crainte d’un « gouvernement des juges » - comment le fait de ne plus adresser d’instructions individuelles au ministère public constituerait-il les prémices de ce gouvernement des juges ? - et nous reprocher par anticipation des instructions orales que ces magistrats subiraient en silence. Outre que l’argumentation ne me semble pas cohérente, je doute qu’il en soit jamais ainsi.

Au demeurant, mesdames, messieurs les sénateurs, notre démocratie est assez solide pour que nous n’ayons pas à nous faire peur avec des inquiétudes infondées !

En conclusion, je vous remercie tous de la qualité de vos interventions et de la fermeté avec laquelle, pour certains d’entre vous, vous avez assuré le Gouvernement de votre volonté d’avancer, et même d’aller plus loin pour que l’action publique soit encore plus lisible. Je remercie aussi de leur constance ceux d’entre vous qui restent convaincus que les instructions individuelles demeurent l’alpha et l’oméga de la politique pénale, alors que celles-ci ne s’élevaient qu’à une dizaine par année, qu’elles n’ont jamais concerné des infractions essentielles telles que les actes de terrorisme ou les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation et qu’elles n’ont, en aucune circonstance, concerné le refus, par un procureur, d’engager l’action publique. Je m’incline devant cette conviction, même si je reste persuadée qu’elle n’est pas fondée !

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