Intervention de Yannick Vaugrenard

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 16 juillet 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Martin Hirsch président de l'agence du service civique et ancien haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté puis à la jeunesse

Photo de Yannick VaugrenardYannick Vaugrenard, rapporteur :

À mon tour, je veux remercier Martin Hirsch d'avoir accepté notre invitation pour parler d'un sujet extrêmement vaste, terriblement difficile mais ô combien important.

La démarche que j'ai entreprise au nom de la délégation s'articule autour de trois objectifs : rappeler la juste réalité ; refuser la fatalité ; rechercher l'efficacité.

D'abord, rappeler la juste réalité : pour se projeter dans l'avenir, il faut partir du présent. Les chiffres sont connus, je n'en citerai que quelques-uns.

La pauvreté, en France, touche 14 % de la population, 8,6 millions de personnes, près de 4 millions de ménages, c'est-à-dire un niveau jamais atteint depuis le début des années soixante-dix. Plus déstabilisant, plus choquant encore, le fait qu'un enfant sur cinq soit pauvre ; dans les zones urbaines sensibles, c'est le cas de plus d'un enfant sur deux.

Loin de diminuer, la pauvreté est un phénomène qui se durcit, s'intensifie, se transforme et s'étend à de nouvelles populations. Pour le dire autrement, en reprenant une expression du sociologue Nicolas Duvoux, « les pauvres sont de plus en plus nombreux et de plus en plus pauvres ». Les professionnels de terrain le constatent : la pauvreté rajeunit, se féminise, s'urbanise et s'installe au coeur du salariat.

Déjà, à ce stade, apparaît un problème de définition et de quantification. D'une part, le phénomène a de multiples visages et ne se limite pas à la pauvreté monétaire. D'autre part, les chiffres que je viens de citer datent de 2010 : nous manquons non seulement de statistiques récentes, fiables, simples et compréhensibles, mais aussi de suivi au long cours, notamment en ce qui concerne la pauvreté des enfants.

Ensuite, refuser la fatalité : nous ne saurions nous résigner à accepter la pauvreté comme un phénomène non réversible. Quand bien même l'objectif d'éradiquer la pauvreté paraîtrait par trop ambitieux, la situation est suffisamment grave pour que nous ne le perdions pas de vue.

Refuser la fatalité, cela passe aussi par combattre les idées reçues, qui ont toujours tendance, en temps de crise, à prospérer et à se propager.

La fraude sociale, que certains mettent en avant, est d'une ampleur bien inférieure à celle de la fraude fiscale.

Et l'assistance, ce n'est pas l'assistanat : je veux le souligner avec force, les personnes en situation de pauvreté, éligibles aux minima sociaux, sont des ayants droit, pas des assistés.

Qui mieux que ces personnes est capable de nous parler de stigmatisation, de culpabilisation, d'estime de soi, de cette méfiance envers un système qui pousse toujours plus de monde, notamment les jeunes, à le rejeter ?

La lutte contre la pauvreté s'est longtemps circonscrite au fait de mener des actions « pour » les pauvres, parfois « avec » les pauvres. Il est temps d'agir « à partir » des pauvres et de les replacer au centre des dispositifs.

Enfin, rechercher l'efficacité : la problématique de l'accès aux droits, le non-recours aux prestations - je rappelle d'emblée que ce non-recours ne concerne pas uniquement le RSA -, la peur du déclassement, le sentiment de plus en plus ancré que plus personne n'est « à l'abri », cette spirale infernale qu'est la transmission intergénérationnelle de la pauvreté, voilà autant d'éléments qui montrent que l'efficacité doit être le maître-mot quand il s'agit de combattre la pauvreté.

Aujourd'hui, un double constat s'impose.

Premièrement, le montant des sommes engagées dans notre pays ne suffit pas à résorber la pauvreté.

Deuxièmement, la multiplicité des intervenants et des acteurs de terrain ne permet d'assurer ni l'accompagnement efficace des personnes ni la coordination satisfaisante, sur le plan national, des politiques mises en place.

J'attends donc de voir les suites qui seront données aux mesures annoncées dans le cadre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale. Il importe également de pouvoir faire des comparaisons avec ce qui se fait dans d'autres pays, notamment en Europe du Nord ou au Canada, en termes d'expériences et de politiques menées.

Sur tous ces aspects, je me réjouis de pouvoir vous entendre et recueillir à la fois votre expertise et votre expérience. Il est un sujet qui me préoccupe plus particulièrement, celui, pour reprendre vos propres mots, de la « pauvreté en héritage », avec cette question : « Comment briser la chaîne de transmission héréditaire de la pauvreté ? »

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