Sur ce dernier point, ma réponse sera extrêmement simple et claire : je suis favorable au versement des allocations familiales dès le premier enfant, mais pas de manière universelle, seulement pour les familles modestes, notamment les familles monoparentales. C'est d'ailleurs ce qui a été prévu au moment de la mise en place du RSA, puisque nous y avons intégré une majoration pour tout allocataire avec un enfant à charge.
C'est pour cela que le non-recours me chagrine tellement. Vous avez tout à fait raison : plutôt que de stigmatiser, il faudrait encourager. L'absence d'allocations familiales au premier enfant s'explique par le fait que, initialement, la politique familiale était plus nataliste que sociale. Quand on a jugé qu'elle devrait aussi être sociale, les caisses étaient déjà vides et il était trop tard pour agir.
L'enjeu est réel pour les familles modestes. Nous en avons la démonstration dans le rapport remis hier au Premier ministre. M. Sirugue, jugeant le RSA trop compliqué, prône une prime d'activité individualisée. Dans cette logique, c'en serait fini du supplément accordé aux femmes élevant seules un enfant. Il prévoit alors d'ajouter au dispositif un « complément enfant », construit sur le même mécanisme qui prévaut actuellement, donc accessible dès le premier enfant.
Par ailleurs, la question de l'évaluation, du poids de la décentralisation et du rôle des collectivités me tient particulièrement à coeur.
Grosso modo, les dépenses sociales payées par les collectivités territoriales, notamment celles qui touchent à la lutte contre la pauvreté, sont à peu près équivalentes à celles que l'État engage. Or je suis frappé de constater les disparités existantes en matière de capacité d'expertise mutualisée.
Du côté de l'État, on trouve notamment la DGCS, la direction générale de la cohésion sociale, avec deux cents personnes, la Drees, la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, avec quatre-vingts personnes, la Dares, la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, avec soixante-dix personnes. Au total, ce sont plusieurs centaines de personnes qui produisent de l'expertise sur les politiques sociales.
Du côté des collectivités territoriales, la capacité d'expertise est quasiment inexistante. Au maximum, sur les sujets sociaux, il doit y avoir au total, à l'Odas, l'observatoire de l'action sociale décentralisée, à l'ADF, à l'ARF et à l'AMF, une petite douzaine de personnes.
Or les milliards d'euros dépensés sont les mêmes et les dossiers tout aussi complexes : c'est totalement délirant ! Du coup, il est strictement impossible de connaître la réalité des situations, d'évaluer les actions mises en oeuvre, donc d'envisager une mutualisation.
Les collectivités n'ont visiblement pas envie de s'engager sur ce terrain. Pourtant, si elles décidaient de financer un organisme commun d'évaluation, elles auraient à leur disposition une batterie d'expertises, ce qui bouleverserait la donne.
C'est ce qui existe dans une certaine mesure dans le domaine des personnes âgées et du handicap. La CNSA, la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, s'apparente presque à une joint venture des départements et de l'État en vue de produire de l'expertise commune. Sur les questions de pauvreté, rien de tel n'existe. Ce vide sidéral pose un problème considérable.
Il est normal de considérer qu'une commune peut préférer construire, en équipement de loisirs, une piscine plutôt qu'une patinoire ou, en matière d'action sociale, un centre d'hébergement plutôt qu'une autre structure. Que les pauvres soient traités différemment selon les territoires n'est pas un problème en soi, mais il faut pouvoir en connaître les raisons : cela passe par l'évaluation des actions menées et le partage des résultats obtenus.
De la même façon que les entreprises sont appelées à cotiser à la taxe d'apprentissage, les collectivités devraient contribuer, à hauteur, disons, de 10 000 euros par an, au financement d'un organisme d'évaluation des politiques sociales décentralisées.