Le projet de loi modifie un point central du statut des pupilles de l'Etat : il clarifie et sécurise en effet, en réponse à une décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 2012 prise sur le fondement d'une question prioritaire de constitutionnalité, les modalités d'exercice des recours contre les arrêtés d'admission en qualité de pupille de l'Etat.
Les pupilles de l'Etat sont des enfants dont la famille n'est plus en mesure d'assurer la prise en charge. Un statut protecteur ouvrant droit à l'adoption leur est alors conféré, fondé sur l'intervention de trois acteurs : le préfet d'abord, désigné comme tuteur ; le conseil de famille ensuite, composé de représentants du département, d'associations et de personnalités qualifiées, qui assiste le préfet ; le service de l'aide sociale à l'enfance (ASE) enfin, placé sous l'autorité du président du conseil général, qui prend en charge les pupilles et veille à l'élaboration d'un projet d'adoption dans les meilleurs délais.
Peuvent devenir pupilles de l'Etat : les enfants sans filiation ; ceux remis au service de l'ASE par leurs parents ou par un seul d'entre eux, sans que l'autre ait manifesté sa volonté d'assurer leur prise en charge ; les orphelins de père et de mère pour lesquels aucune tutelle n'est organisée ; enfin, les enfants dont les parents ont fait l'objet d'un retrait total de l'autorité parentale par décision judiciaire ou pour lesquels une décision judiciaire d'abandon a été prononcée.
Cette classification recouvre en pratique deux grandes catégories. Lorsqu'une décision de justice est intervenue, l'acquisition du statut de pupille est immédiate. Dans les autres cas, un procès-verbal établi par le service de l'ASE au moment du recueil de l'enfant donne à celui-ci le statut de pupille à titre provisoire, avant que le président du conseil général prononce un arrêté d'admission, à l'issue d'un délai de deux ou six mois selon les situations.
Au 31 décembre 2011, 2 345 enfants avaient le statut de pupille de l'Etat, un nombre en diminution constante depuis plusieurs décennies. L'âge moyen des pupilles au moment de leur admission est d'un peu plus de quatre ans et demi. Les situations varient fortement selon le mode d'admission : les enfants nés sous « x » sont généralement recueillis très jeunes avant d'être rapidement placés en vue de l'adoption, ceux qui ont fait l'objet d'une décision judiciaire d'abandon acquièrent souvent le statut plus tardivement, après avoir été pris en charge plusieurs années par l'aide sociale à l'enfance.
Fin 2011, quatre enfants sur dix faisaient l'objet d'un placement en vue de l'adoption. Celle-ci n'a pas vocation à être systématique : l'intérêt de l'enfant commande parfois de le maintenir dans sa famille d'accueil, et cette dernière peut ne pas souhaiter engager une procédure d'adoption. L'adoption constitue cependant le prolongement logique de l'admission en qualité de pupille de l'Etat. Cette mesure étant susceptible de rompre définitivement les liens avec la famille d'origine, les modalités du recours offert aux parents ou proches de l'enfant sont fondamentales.
Depuis 1984, la compétence de l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'Etat appartient au président du conseil général. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 224-8 du code de l'action sociale et des familles, l'arrêté peut ensuite faire l'objet d'un recours devant le juge judiciaire dans un délai de trente jours suivant la date de son édiction. Trois catégories de requérants ont qualité pour agir : les parents d'abord, en l'absence de décision judiciaire consacrant l'abandon ou le retrait total de l'autorité parentale ; les alliés de l'enfant ensuite ; enfin, toute personne justifiant d'un lien avec lui, notamment pour avoir assuré sa garde, de droit ou de fait. Pour que son action soit recevable, le requérant doit demander à assurer la prise en charge de l'enfant.
Soucieux de préserver l'enfant de recours abusifs, sans pour autant exiger de la part des conseils généraux la notification individuelle de l'arrêté à chacun des requérants potentiels, le législateur s'est abstenu de préciser les conditions de publicité de l'arrêté. Or dans sa décision du 27 juillet 2012, le Conseil constitutionnel a jugé que le législateur « ne pouvait, sans priver de garanties légales le droit d'exercer un recours juridictionnel effectif, s'abstenir de définir les cas et conditions dans lesquels celles des personnes qui présentent un lien plus étroit avec l'enfant sont effectivement mises à même d'exercer ce recours ». Le Conseil a déclaré le premier alinéa de l'article L. 224-8 du code de l'action sociale et des familles contraire à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Afin de laisser au législateur le temps de légiférer, il a reporté l'effet de sa décision au 1er janvier 2014.
Le texte que nous examinons aujourd'hui remédie à cette inconstitutionnalité. Il dispose d'abord que l'arrêté d'admission, lorsqu'il n'intervient pas après une décision judiciaire, n'est pris qu'à l'issue des délais de deux ou six mois. En effet, dans le but de sécuriser au plus vite la situation de l'enfant, les conseils généraux prennent parfois un seul arrêté au moment de son recueil par l'ASE, parfois un premier provisoire et un second définitif à l'issue du délai légal. Cette précision harmonisera les pratiques.
Ensuite, l'article 1er précise le champ des personnes ayant qualité pour agir. Celui-ci recouvre désormais quatre catégories : les parents de l'enfant, en l'absence de déclaration judiciaire d'abandon ou d'un retrait total de l'autorité parentale ; les membres de la famille de l'enfant ; le père de naissance ou les membres de la famille de naissance pour les enfants dont la filiation est inconnue ; toute personne ayant assuré la garde de droit ou de fait de l'enfant.
L'ouverture explicite du recours à la famille de naissance ne remet pas en cause le droit pour une femme d'accoucher sous « x », mais consacre une évolution admise par la jurisprudence. En effet, plusieurs juridictions ont récemment reconnu le droit aux parents d'une femme ayant accouché sous « x » de contester l'arrêté d'admission de leur petit-enfant en qualité de pupille de l'Etat. Les professionnels qui ont accompagné la mère ayant interdiction de révéler quoi que ce soit à un tiers, ces personnes avaient été informées par la femme elle-même de son accouchement. Pour la rapporteure du texte à l'Assemblée nationale, il y a une forme d'acte manqué dans le fait d'en parler... Quant au père de naissance, la loi lui reconnaît déjà la possibilité d'engager une procédure en reconnaissance de paternité.
Parmi les personnes ayant qualité pour agir, l'article 1er précise celles à qui l'arrêté devra être notifié : les parents, ainsi que ceux des requérants ayant manifesté avant la date de l'arrêté d'admission leur intérêt pour l'enfant auprès de l'ASE.
Le point de départ du délai de recours demeure fixé à trente jours, mais il court désormais à compter de la date de réception de la notification. Celle-ci devra être effectuée par tout moyen permettant d'établir une date certaine de réception. La notification indiquera en outre la règle - déjà en vigueur - selon laquelle l'action contre le recours n'est recevable que si le requérant demande à assumer la charge de l'enfant.
Cette rédaction remédie parfaitement aux critiques du Conseil constitutionnel. La publicité générale des arrêtés d'admission comme la limitation du droit de recours aux seules personnes à qui l'arrêté aura été notifié ont été écartées. La solution choisie définit les requérants légitimes : d'une part ceux qui, outre les parents, auront fait la preuve de leur « lien plus étroit » avec l'enfant en se signalant auprès de l'ASE et à qui toutes les garanties pour exercer leur recours dans le délai de trente jours sont offertes ; d'autre part ceux qui, sans doute parce qu'ils n'auront pas eu connaissance à temps de la situation de l'enfant, pourront malgré tout effectuer un recours jusqu'au placement de celui-ci en vue de l'adoption.
Cette solution n'exclut pas que, dans des cas très exceptionnels et malgré toutes les précautions prévues, des recours soient formés trop tardivement, c'est-à-dire une fois l'enfant placé en vue de l'adoption. Or aux termes de l'article 352 du code civil, le placement agit comme un couperet puisqu'il exclut toute possibilité de retour dans la famille d'origine. La question de l'évolution de cette règle, qui entend sécuriser au maximum la situation de l'enfant, demanderait une réflexion bien plus approfondie et qui dépasse largement l'objet du présent projet de loi.
Outre plusieurs amendements rédactionnels, l'Assemblée nationale a adopté un article additionnel qui prévoit d'informer les parents des règles fixées à l'article L. 224-8, lorsqu'ils remettent leur enfant à l'ASE.
L'article 2 du texte porte sur l'application de la loi outre-mer. L'article 3 prévoit son entrée en vigueur au 1er janvier 2014, c'est-à-dire à la date où la censure du Conseil constitutionnel deviendra effective. Ce délai est justifié : les conseils généraux vont devoir adapter leurs pratiques afin de répondre aux nouvelles obligations qui s'imposeront à eux en matière de notification des arrêtés d'admission.
En l'état, le texte fournit la solution la meilleure pour garantir à la fois le droit au recours et la sécurisation de la situation de l'enfant dans des délais satisfaisants. Nos collègues de l'Assemblée nationale ont adopté le projet de loi à l'unanimité en commission puis en séance. J'espère qu'un large consensus pourra également se former dans notre Haute Assemblée autour de la rédaction des députés.