Nous examinons un texte qui a beaucoup fait parler de lui. Nous avons été interpelés, beaucoup par les professionnels de santé, moins par les patients. Quoi qu'il en soit, notre seul objectif est d'améliorer l'accès aux soins de nos concitoyens.
L'ordonnance de 1945 a posé le principe de la participation des assurés à leurs frais de santé. Celle-ci s'élevait alors, pour la plupart des prestations, à 20 %. C'est ainsi que se sont développés les organismes complémentaires. Sur les 180 milliards d'euros de dépenses de santé, 138 milliards proviennent de financements publics (essentiellement l'assurance maladie), 17,3 restent à la charge des ménages et 26,1 sont versés par les organismes complémentaires (Ocam).
En 1950, l'assurance maladie prenait en charge 50 % des dépenses de santé. Ce taux a atteint 80 % en 1980 puis a décru pour s'établir à 75,5 % en 2011. Les dépenses de l'assurance maladie ont toujours augmenté plus vite que l'inflation ou la croissance du PIB. Les Ocam financent actuellement 13,7 % des dépenses de santé : 5,6 milliards d'euros de soins hospitaliers, 5,2 pour les médicaments, 4,5 pour l'optique, 3,9 de soins dentaires, 3,7 de soins dispensés par les médecins, 1,5 de soins dispensés par les auxiliaires médicaux et 1,1 de soins dispensés par les laboratoires d'analyse.
Les Ocam ne sauraient être de purs guichets, des financeurs aveugles. La présidente du CNSD, le syndicat majoritaire des chirurgiens-dentistes, décrit du reste les complémentaires santé comme « des payeurs majoritaires » et ajoute qu'il est « logique que nous ayons avec elles des relations conventionnelles ». Dans certains domaines, l'assurance maladie obligatoire n'intervient plus ou quasiment plus et les prix sont libres : le rôle des Ocam y est plus que complémentaire ! En optique, en audioprothèse et pour les soins dentaires prothétiques, les prix sont librement fixés par les prestataires et les assurés n'ont guère la faculté de comparer et d'évaluer les offres. La dissymétrie entre l'information du patient et celle du professionnel est manifeste, alors que les coûts sont peu transparents et le prix final très variable.
La situation des chirurgiens-dentistes est particulière. Les soins conservateurs sont précisément encadrés par la convention existante mais leur tarification n'est en rapport ni avec la pratique ni avec les coûts réels. Les soins conservateurs étant sous-financés, la convention autorise les professionnels à fixer librement leurs tarifs pour les soins prothétiques et orthodontiques, par « entente directe » avec le patient. Les actes de soins conservateurs sont pris en charge en moyenne à 70 % par l'assurance maladie, mais à moins de 15 % pour les prothèses et quasiment pas pour la parodontie et les implants. Au total, l'assurance maladie prend en charge 32 % des soins dentaires et les Ocam, 38 %.
L'audioprothèse est un secteur en développement : entre 30 % et 40 % de personnes appareillées sur 6 millions de malentendants. L'appareil en lui-même ne constitue qu'une part du travail de l'audioprothésiste, qui doit accompagner le patient durant plusieurs mois. L'assurance maladie rembourse en moyenne 14 % des frais - nettement plus toutefois pour les moins de vingt ans - et les Ocam en moyenne 30 %, avec des variations importantes selon les contrats et appareils. Le reste à charge net est donc élevé car un appareil coûte en moyenne 1 500 euros.
L'optique a certainement été le secteur le plus actif auprès de nous ces derniers temps... Quelque 25 000 opticiens-lunetiers, auxiliaires de santé formés en deux ans et titulaires d'un BTS, exercent dans presque 12 000 points de vente : 41 % de plus en dix ans ! Le chiffre d'affaires global - environ 5,3 milliards d'euros dans le champ de l'assurance maladie - a progressé de 60 % en dix ans et serait sensiblement supérieur à celui des pays voisins. Les marges semblent importantes puisque les magasins ne vendent en moyenne que 2,8 paires de lunettes par jour. Certes, le fait que la France ait inventé le verre progressif n'est pas étranger au niveau de nos dépenses d'optique. L'assurance maladie participe de manière symbolique ou résiduelle aux frais d'équipement - environ 4 %. Les Ocam prennent en charge environ 45 % de la dépense, ce qui laisse un reste à charge élevé.
Le total des dépenses potentiellement remboursables dans ces trois secteurs s'élève à 16,4 milliards d'euros. L'assurance maladie en finance aujourd'hui 3,6 milliards et le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie a estimé qu'une enveloppe supplémentaire de 7 milliards d'euros serait nécessaire pour porter le taux de remboursement à 65 %.
Face à cette situation, les Ocam ont créé des réseaux depuis plus d'une dizaine d'années, sans aucune réglementation. Ils ont contractualisé avec les professionnels de santé. Chaque Ocam s'est organisé différemment, pour diminuer le reste à charge, en obtenant des tarifs plus avantageux et parfois en remboursant mieux l'adhérent qui consulte à l'intérieur du réseau. Ainsi, pour un même équipement d'optique, le prix pratiqué par un professionnel du réseau de la MGEN s'élève à 559 euros, contre 880 euros à l'extérieur ; le reste à charge est de 204 euros dans le premier cas et de 596 dans le second, car la MGEN majore son remboursement lorsque l'assuré consulte au sein du réseau.
L'Autorité de la concurrence comme la Cour des comptes l'affirment : les prix dans un réseau d'optique sont inférieurs de 15 % à 40 % ; le reste à charge est également plus faible.
L'article 1er de la proposition de loi place les mutuelles sur un pied d'égalité avec les institutions de prévoyance et les sociétés d'assurance. Comme l'avait rappelé M. Jeannerot au moment de l'examen du projet de loi sur la sécurisation de l'emploi, les mutuelles représentent aujourd'hui 55 % du secteur, les assurances 27 % et les institutions de prévoyance (IP) 18 %. En 2000, ces chiffres s'élevaient respectivement à 61 %, 21 % et 17 %. Le code de la mutualité n'autorise des différences dans le niveau des prestations servies qu'en fonction des cotisations payées ou de la situation de famille. En mars 2010, la Cour de cassation a donné de cette disposition une interprétation stricte, qui empêche les mutuelles de rembourser différemment un adhérent selon qu'il consulte au sein du réseau ou non. Mais rien dans le code des assurances ou dans le code de la sécurité sociale n'interdit cette modulation aux assurances et aux IP. Il existe donc une rupture d'égalité entre les familles de complémentaires, qui ne se justifie aucunement puisque tous les Ocam sont en concurrence.
C'est pourquoi l'article 1er autorise les mutuelles à moduler les remboursements selon que l'assuré choisit de recourir ou non à un professionnel qui a signé une convention avec elles. Il n'y a là aucune obligation : Groupama et Pro-BTP ont mis en place un réseau commun, or le premier utilise la modulation, le second non, alors qu'il le pourrait.
L'article 2, ajouté par l'Assemblée nationale, pose les bases d'un encadrement du fonctionnement des réseaux. Il fixe les principes que doivent respecter les conventions entre les Ocam et les professionnels ou établissements de santé : libre choix du professionnel ou de l'établissement par le patient ; des critères objectifs, transparents et non discriminatoires pour l'adhésion du professionnel ou de l'établissement à la convention ; pas de clause d'exclusivité. L'Assemblée nationale a exclu des conventions avec les médecins les stipulations tarifaires relatives aux actes et prestations de la sécurité sociale, ce qui couvre les honoraires et les autres rémunérations découlant de la classification commune des actes médicaux (CCAM), de la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP) ou des conventions médicales négociées avec l'assurance maladie. Les Ocam doivent fournir une information complète à leurs assurés sur le conventionnement. Ces règles s'appliqueront aux nouvelles conventions, comme aux anciennes lors de leur renouvellement.
Je savais que la tâche du rapporteur sur ce texte ne serait pas aisée. Je me félicite que nous ayons eu le temps nécessaire pour écouter et travailler. J'ai procédé à plus d'une dizaine d'auditions, dont une table ronde avec les syndicats de médecins. A l'initiative de notre présidente, la commission a tenu une table ronde avec les organismes complémentaires.
Il n'existe actuellement aucun encadrement des réseaux de soins : les Ocam peuvent proposer à tous les professionnels, y compris les médecins, des contrats portant sur n'importe quelle question. Rejeter la proposition de loi reviendrait à laisser aux Ocam et aux professionnels une totale liberté contractuelle. Je crois qu'il relève de l'intérêt général et de notre responsabilité de poser les principes que doivent respecter les réseaux. Pour éviter les éventuelles dérives que certains annoncent, il faut légiférer. Avec prudence, car à imposer trop de contraintes, nous risquerions une censure du Conseil constitutionnel qui, à l'occasion du projet de loi de sécurisation de l'emploi, a insisté sur la liberté d'entreprendre et la liberté contractuelle, justement sur le sujet des complémentaires santé.
Il ne semble pas illégitime qu'un organisme complémentaire puisse maîtriser les dépenses financées par les cotisations de ses adhérents. Ces conventions peuvent porter sur des sujets tout à fait consensuels et importants pour nos concitoyens, par exemple le tiers-payant : interdire complètement les conventions pourrait avoir pour effet de supprimer celui-ci dans les pharmacies, à 1'hôpital ou chez les autres professionnels !
Je vous propose de compléter sur trois points substantiels le travail des députés. D'abord, nous ne pouvons pas traiter pareillement l'ensemble des professionnels de santé. Certains - médecins, infirmiers, sages-femmes, masseurs-kinésithérapeutes... - relèvent de conventions avec l'assurance maladie, qui jouent encore un rôle moteur et prédominant dans la régulation du système. Dans d'autres professions, les dépenses de l'assurance maladie sont aujourd'hui minoritaires et, parfois, il n'existe aucune convention nationale. Du reste, l'Unocam joue un rôle renforcé en cas de convention de l'assurance maladie dans les domaines où les dépenses de la sécurité sociale sont minoritaires. Ces professions sont déterminées par arrêté : chirurgiens-dentistes, opticiens et audioprothésistes. Je vous propose de prévoir que, pour les autres professions, des conventions pourront être conclues, sans inclure de stipulations tarifaires liées aux actes et prestations fixés par l'assurance maladie. En outre, pour les médecins, la modulation des remboursements ne sera pas possible.
Réseaux ouverts, réseaux fermés : les premiers accueillent sans restriction tous les professionnels qui remplissent les conditions définies par la convention ; la proposition de loi prévoit que ces conditions doivent être objectives, transparentes et non discriminatoires. Les réseaux fermés limitent le nombre des professionnels admis par zone géographique. Le nombre des chirurgiens-dentistes et des audioprothésistes est limité, soit par un numerus clausus explicite, soit par un nombre de places limité en école : un réseau fermé n'est pas nécessaire. La situation démographique des opticiens-lunetiers est plus inquiétante : chaque année, environ 2 000 nouveaux sortent des écoles, lesquelles se sont multipliées. Le nombre de professionnels a déjà crû de 53 % depuis 2005 ! La profession va au-devant de grandes difficultés. Il serait sage de se diriger vers une formation en trois ans et vers un transfert de tâches des ophtalmologistes, dont le nombre est notoirement insuffisant. Nous pourrions décharger ces derniers de compétences qui ne sont pas du tout médicales, mais cela ne relève pas de la présente proposition de loi. En tout état de cause, un réseau fermé peut se justifier dans le secteur de l'optique, faute de régulation du nombre de professionnels. Pour accepter de modérer leurs tarifs, les opticiens doivent avoir l'espérance de recevoir un nombre significatif d'assurés. Je vous propose donc d'interdire les réseaux fermés, sauf en optique.
Troisième point substantiel, je suggère de préciser que les conventions ne pourront avoir pour effet d'introduire des différences dans les modalités de délivrance des soins, ce qui interdit une éventuelle discrimination selon que le patient s'adresse ou non au réseau.
Je vous présenterai enfin de simplifier la rédaction de l'article 3 relatif au rapport annuel d'évaluation des réseaux, et de modifier l'intitulé de la proposition de loi.
L'urgence est de mettre sur un pied d'égalité les trois familles de complémentaires et de poser les bases d'un encadrement des réseaux de soins. Je vous proposerai donc d'adopter la proposition de loi assortie des modifications que j'ai dites, en espérant que l'Assemblée nationale approuvera ensuite le texte en termes identiques.