Il n'aura échappé à personne que les positions de nos deux assemblées sont, de mon point de vue, trop éloignées pour que nous puissions envisager de trouver un accord.
Certes, sur un certain nombre de points, les positions des deux assemblées ont convergé. Le Sénat a ainsi adopté conformes près de la moitié des articles du texte qu'avait adopté l'Assemblée nationale - trente articles sur soixante-trois - et adopté un certain nombre d'autres articles avec des modifications qui s'inscrivent dans la même philosophie que celle du texte adopté par l'Assemblée. Parmi les articles adoptés par le Sénat, je mentionnerai :
- l'aggravation des peines du délit de fraude fiscale aggravée et la création du délit de fraude fiscale en bande organisée ;
- la possibilité de porter les peines encourues par les personnes morales à 10 % de leur chiffre d'affaires en matière correctionnelle et 20 % en matière criminelle ;
- l'application du statut de repenti en matière de corruption, de blanchiment et de fraude fiscale ;
- l'augmentation des peines encourues pour les faits de corruption ;
- la création d'un délit d'abus de biens sociaux aggravé ;
- l'extension de la compétence de la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) au blanchiment de fraude fiscale, ainsi que l'extension de la compétence du Service national de la douane judiciaire (SNDJ) à l'association de malfaiteurs et la possibilité pour ce service de recourir aux logiciels de rapprochement judiciaire ;
- la protection des lanceurs d'alerte, dont le Sénat a approuvé le principe, même s'il en a, de notre point de vue, trop réduit la portée ;
- les articles sur les saisies et confiscations en matière pénale, tous adoptés conformes ;
- la création d'un registre des trusts ;
- l'encadrement de la politique transactionnelle de l'administration fiscale et la modification de la composition de la commission des infractions fiscales ;
- les articles renforçant les prérogatives des administrations fiscale et douanière dans le cadre des contrôles qu'elles opèrent ;
- et, pour conclure, l'encadrement des prix de transfert, dispositif très important que notre assemblée avait voté à l'initiative de Mmes Sandrine Mazetier et Karine Berger.
Je ne peux que me réjouir de l'adoption de ces différents articles, qui témoigne du fait que le Sénat, comme nous, était prêt, dans une certaine mesure, à renforcer les outils de la lutte contre la fraude fiscale.
Cependant, et sans remettre en cause ni l'utilité ni l'importance des articles votés par le Sénat, l'essentiel du projet de loi n'était pas là, et sur l'essentiel, les positions de nos deux assemblées sont - et demeurent - très éloignées.
Je vois, entre le texte de l'Assemblée nationale et le texte du Sénat, quatre points de divergence principaux.
La première divergence porte sur l'article 1er, qui prévoit la constitution de partie civile des associations de lutte contre la corruption, et que le Sénat a supprimé en invoquant une possible « privatisation » de l'action publique.
Tout en la respectant, je regrette cette position du Sénat, et j'avoue avoir du mal à la comprendre, s'agissant de faits dont la dénonciation est rarissime car ils ne font pas de victimes « directes », ou alors des victimes qui s'ignorent. De plus, la défiance exprimée à l'égard des associations anti-corruption existantes me paraît totalement déplacée et surprenante.
La deuxième divergence porte sur la création du procureur de la République financier, que le Sénat a rejetée et a remplacée par une extension des compétences du parquet et du tribunal de Paris.
La solution adoptée par le Sénat en séance ne répond pas à la nécessité d'une autonomie des moyens dédiés à la lutte contre la grande fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, ni au besoin d'« incarnation » de la lutte contre cette délinquance.
Le rejet des articles du projet de loi sur le procureur de la République financier et de l'ensemble du projet de loi organique me paraît d'autant plus regrettable, que le travail accompli en commission par le rapporteur Alain Anziani pour améliorer le dispositif et régler les difficultés de conflit de compétences était intéressant.
La troisième divergence porte sur la possibilité de recourir aux techniques spéciales d'enquêtes en matière de fraude fiscale en bande organisée et de grande délinquance économique et financière, ainsi qu'en matière d'abus de biens sociaux aggravés, à la suite d'un ajout que j'avais proposé.
Le Sénat a supprimé cette possibilité, ce que je regrette, car la complexification et l'internationalisation de la fraude fiscale et de la délinquance économique et financière rendent absolument indispensable le renforcement des outils procéduraux à la disposition des enquêteurs. Sans cela, les fraudeurs auront toujours une longueur d'avance sur les enquêteurs, et nous ne pourrons que continuer à nous lamenter sur la difficulté à lutter contre la fraude fiscale et la délinquance économique et financière.
Enfin, la quatrième divergence entre l'Assemblée nationale et le Sénat porte sur la possibilité pour les administrations fiscale et douanière de se fonder sur des preuves d'origine illicite dans le cadre de redressements ou d'enquêtes administratives. L'Assemblée nationale avait renforcé la portée de ces dispositions, en supprimant l'exigence de transmission de ces preuves par la justice ou par le biais de la coopération internationale, en étendant leur champ d'application à l'administration des douanes et en élargissant les actes d'investigation que ces preuves pourront permettre d'accomplir. Le Sénat a fortement restreint la portée du texte adopté par l'Assemblée nationale, au point de le priver d'une bonne partie de son intérêt.
À ce stade, en raison de l'importance de ces divergences, l'adoption d'un texte commun par la commission mixte paritaire ne me semble malheureusement pas envisageable.