Je vous prie tout d'abord de bien vouloir accepter les excuses d'Yvon Collin, qui n'a pu être présent ce matin, mais avec lequel j'ai travaillé sur ce rapport.
Dans le cadre de notre programme de contrôle des crédits de la mission « Aide publique au développement » (APD), notre attention s'est portée cette année sur le secteur de l'énergie, qui occupe une place centrale dans le développement. Nous en avons retenu une conception large, y incluant les transports, dans la mesure où ces derniers représentent près d'un tiers de la consommation d'énergie primaire dans le monde.
Pour analyser des projets concrets ressortant de ces deux secteurs, le choix du Maroc s'est imposé par la place qu'occupe ce pays dans l'APD française, dont il est le premier bénéficiaire, et par l'importance et la diversité des projets qui y sont menés en matière d'énergie et de transport. C'est pourquoi je me suis rendue en avril dernier à Casablanca et à Rabat, où j'ai pu rencontrer les équipes locales de l'AFD ainsi que les bénéficiaires de ses concours et visiter les installations les plus emblématiques.
Ce déplacement s'inscrivait également dans le prolongement de ceux effectués l'an dernier en Tunisie par une délégation du bureau de la commission et par moi-même.
Le secteur de l'énergie est au coeur de tous les aspects du développement. Il est un besoin essentiel des populations, comme l'ont récemment montré les « émeutes de l'énergie » au Sénégal et au Pakistan. L'accès à l'énergie est également une condition nécessaire au développement économique. Enfin, ce secteur participe à la préservation de l'environnement, avec des conséquences en termes de santé des populations et de lutte contre le changement climatique. De même, le secteur des transports constitue un outil essentiel de la croissance économique, en désenclavant les zones concernées.
Pourtant, un nombre important de personnes dans le monde sont encore privées d'accès à l'énergie. L'Agence internationale pour l'énergie estime que 1,4 milliard de personnes n'ont pas d'accès à l'électricité et que 2,7 milliards de personnes sont privées de combustible et de technologies de cuisson moderne, c'est-à-dire cuisinent encore en utilisant la biomasse, notamment en Afrique subsaharienne. Elle prévoit qu'en 2030 près de 1,2 milliard de personnes se trouveront encore sans électricité et 2,6 milliards sans combustibles et technologies de cuisson modernes. Pour résoudre ce problème, elle estime qu'il serait nécessaire d'investir 1 000 milliards de dollars d'ici 2030, ce qui nécessiterait de multiplier par cinq les investissements réalisés en 2009.
Au-delà de son importance pour le développement, l'intervention de l'APD dans le champ de l'énergie est également justifiée par la volonté de protéger les biens publics mondiaux, à commencer par le climat. De même, il s'agit d'une question de cohérence entre notre politique d'APD et nos propres politiques énergétiques : les économies d'énergie ou le développement des énergies renouvelables chez nous n'auraient pas de sens si parallèlement nous financions par exemple la construction de centrales à charbon.
Malgré ces arguments, le financement par l'APD des investissements dans les énergies renouvelables peut parfois être remis en cause en partant de l'idée que l'accès à une énergie durable serait un luxe inutile pour un pays en développement ou émergent.
Cependant, le modèle de croissance suivi par les pays du Nord n'est pas reproductible. Il est donc essentiel que les pays du Sud suivent de nouveaux chemins de croissance, véritablement durables, qui permettent un développement économique viable sur le long terme. De plus, le renchérissement et la volatilité des prix des énergies fossiles rendent ces économies vulnérables. La réflexion sur le modèle énergétique est loin d'être un luxe de pays riche ; bien au contraire, elle doit être au coeur de la réflexion stratégique des pays en développement pour ne pas compromettre leur croissance économique et leur environnement.
D'autre part, le financement par l'APD du secteur de l'énergie peut parfois être considéré comme non nécessaire, dans la mesure où il s'agit d'un secteur où la demande est forte et où les investissements peuvent être rentables. Il existe cependant des types d'interventions qui nécessitent un financement concessionnel. Il s'agit notamment des projets relatifs à l'accès à l'énergie, comme l'électrification rurale, qui ont une faible rentabilité financière mais une bonne rentabilité économique à moyen et long terme.
Cette critique se retrouve pour les investissements dans les énergies renouvelables, pour ce qui est des technologies qui n'ont pas encore atteint leur maturité technologique et donc la rentabilité. Elle est d'autant plus forte qu'il s'agit alors de financer une production comportant un surcoût par rapport à d'autres technologies. Cependant, à moyen terme, ces financements doivent permettre de faire émerger de véritables filières locales, qui répondront aux besoins énergétiques tout en alimentant le développement économique.
Malgré l'importance de la question énergétique dans tous les aspects du développement, ce sujet est absent des objectifs du millénaire pour le développement de l'an 2000.
Ce n'est qu'en novembre 2011 que les Nations unies ont lancé l'initiative « Énergie durable pour tous » qui vise à atteindre un accès universel à l'énergie durable d'ici 2030. Cependant, la conférence des Nations unies sur le développement durable, dite « Sommet Rio + 20 », n'a pas permis d'obtenir un engagement contraignant sur cet objectif d'un accès universel à l'énergie d'ici 2030. Cette question reviendra sur la table dans le cadre de l'élaboration des objectifs du développement pour l'après 2015.
Au niveau communautaire, le « consensus européen pour le développement » de 2005 a prévu expressément un objectif d'accès à l'énergie durable dans la politique d'aide publique au développement communautaire.
Dès 2002, l'Union européenne avait lancé l'initiative énergie de l'UE pour l'éradication de la pauvreté et le développement durable, qui vise à assurer l'accès aux ressources et services énergétiques nécessaires à la réalisation des OMD. En avril 2012, elle a lancé une nouvelle initiative en faveur de l'énergie visant à permettre à 500 millions de personnes supplémentaires d'accéder à l'énergie durable dans les pays en développement d'ici à 2030.
En ce qui concerne la France, le document cadre, qui définit les objectifs de notre APD, prévoit quatre enjeux principaux : contribuer à une croissance durable et partagée, lutter contre la pauvreté et réduire les inégalités, préserver les biens publics mondiaux et promouvoir la stabilité et l'Etat de droit comme facteurs de développement. Ainsi, le secteur énergétique est indirectement compris dans les trois premiers objectifs, mais il n'est pas expressément cité en tant que tel.
Pour sa part, dès 2007, l'Agence française de développement s'est dotée d'un cadre d'intervention sectoriel « Energie », articulé selon trois piliers stratégiques : l'énergie durable, l'énergie sécurisée et l'énergie accessible.
Les engagements de l'AFD - qui est notre bras armé sur cette politique - dans le secteur de l'énergie ont considérablement augmenté au cours des dernières années. Ils sont passés de 360 millions d'euros en 2006 à plus de 2 milliards d'euros en 2009. Au total, sur la période 2007-2012, près de 8,9 milliards d'euros ont été engagés par le groupe dans ce secteur, soit environ 30 % de ses engagements hors outre-mer.
Sur la période 2007-2012, des résultats significatifs ont été atteints, les financements de l'AFD ayant permis de raccorder 1,82 million de personnes au réseau électrique, d'améliorer l'accès à l'électricité de 2,8 millions de personnes, d'installer 2 400 MW de puissance énergétique renouvelable, d'économiser 26 000 GWh d'énergie et d'éviter l'émission de 9 millions de tonnes de CO2 par an.
Les engagements du groupe AFD dans le secteur des transports ont également connu une hausse importante ces dernières années, avec plus de 4 milliards d'euros entre 2003 et 2011. En 2012, le niveau record de 1,3 milliard d'euros a même été atteint, soit environ un quart des engagements du groupe hors outre-mer. Le transport ferroviaire, qui nous intéresse ici particulièrement, a représenté sur cette période environ un tiers des engagements du secteur transport.
S'agissant maintenant de l'aide liée, la « Réserve pays émergents » (RPE) bénéficie historiquement en grande partie au secteur des transports, qui en a représenté près des deux tiers sur la période 2010-2013, avec 658 millions d'euros.